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Faut-il vraiment jeter l’euro avec l’eau du bain?

La monnaie unique n'a pas eu l'impact négatif sur la croissance qu'on lui prête


Faut-il vraiment jeter l’euro avec l’eau du bain?
©ROMUALD MEIGNEUX/SIPA / 00863708_000020

L’euro n’est pas le principal responsable de la croissance molle de certains pays européens. Il a au contraire permis d’amortir les chocs qu’ils ont encaissés. Se débarrasser de la monnaie unique serait une erreur inique. 


L’euro a été introduit le 31 Décembre 2001. Mais quel a été son impact sur la croissance économique des pays qui l’ont adopté par rapport à ceux qui ont préféré s’en tenir éloignés ? Pour répondre à cette question, il n’est pas inutile de remonter dans le temps. Rien n’est moins simple grâce aux remarquables travaux réalisés par l’économiste britannique Angus Madison[tooltips content= »Angus Madison est un économiste Britannique qui a consacré l’essentiel de sa vie à estimer les Produit intérieur brut par pays depuis Jésus Christ. »]1[/tooltips].

L’euro n’est pas responsable du déclin de l’Europe

En 1929, les neuf pays qui composaient l’Union européenne en 1980 (Europe des six, plus Royaume-Uni, Irlande et Danemark) étaient plus puissants que les Etats-Unis. La France à elle seule représentait un quart de la production américaine. Mais au sortir de la guerre, ce n’était plus le cas, les neufs pays ne comptant alors que pour 63 % de la production américaine, et la France était tombée à 5 %. Dans la période qui va suivre, jusqu’en 1980, la puissance européenne va considérablement se renforcer puisque les neuf pays atteindront 90 % de la puissance américaine en 1980, la France à elle seule 19%. Le continent retrouve le poids relatif qu’il avait avant la Deuxième Guerre mondiale.

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Depuis cette date néanmoins, l’Europe enregistre un déclin relatif régulier par rapport aux Etats-Unis: en 2017, l’économie des neuf pays européens de 1980 ne pesaient plus que 69 % du poids de l’économie américaine, et le poids de la France était tombé à 15%.

Premier constat, ce déclin relatif ne s’est pas accéléré depuis l’introduction de l’euro en 2002, il s’est au contraire ralenti pour la plupart des pays d’Europe, France compris.

Deuxième constat, tous les pays européens n’ont pas souffert de la même manière. Parmi les grands perdants, la Grèce et l’Italie, dont le poids économique s’est littéralement effondré depuis 1980, avec une nette accélération depuis 2001. Dans le milieu du panier, la France, l’Allemagne, la Belgique et le Danemark, mais aussi la Suisse, non-membre de la zone euro. Dans le groupe de ceux qui s’en sont le mieux sortis : la Suède, le Luxembourg, l’Irlande, le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Or cette liste inclut des pays qui font partie de la zone euro et d’autres, comme la Suède et le Royaume-Uni, qui ont refusé d’y entrer.

Un euro, des choix de politique économique

S’il y avait un dénominateur commun entre les pays qui ont le moins souffert, ce serait plutôt leur choix de mettre en œuvre des politiques de dumping fiscal, tous dans cette liste à l’exception de la Suède. Cette stratégie permet d’attirer des investissements mais aussi des ressources fiscales qui se seraient destinés à des pays voisins, ainsi que des emplois, en général qualifiés. Mais, en réalité, bien que ce facteur explique sans conteste les bons résultats irlandais ou luxembourgeois, il n’apparait pas comme essentiel ou pouvant expliquer à lui seul les bonnes performances des uns et les plus mauvaises des autres.

En réalité, les pays gagnants sont ceux qui ont mis en place des politiques macro-économiques plus rigoureuses visant, notamment, à réduire le coût du travail, gérer au mieux le problème du financement des retraites, améliorer la formation. En résumé, plutôt que s’en prendre à l’euro, les pays d’Europe devraient d’abord s’en prendre à eux-mêmes.

D’ailleurs, si certains économistes, y compris des Nobel, discutent des bienfaits réels de l’euro, les peuples d’Europe, eux, ne s’y sont pas trompés, refusant de porter au pouvoir ceux des politiciens qui prônaient une sortie de l’euro. Français, Grecs et Italiens, pourtant prompts à critiquer l’Europe/l’euro et lui attribuer toutes leurs difficultés, ont bien compris les risques d’une sortie de la zone.

L’Amérique trompe son monde

Il faut d’autre part temporiser ce qu’il est convenu d’appeler les bonnes performances de l’économie américaine. Il ne s’agit pas de nier que l’économie du pays s’est, depuis 1980, considérablement renforcée par rapport à celles des autres pays de l’OCDE. Le PIB par habitant, mesuré en PPP, c’est-à-dire en tenant en compte de la cherté du coût de la vie, est aux Etats-Unis aujourd’hui 30% supérieur à celui de l’Europe[tooltips content= »Toutes les données économiques depuis 1980 sont tirées de la base de données du Fonds monétaire international »]2[/tooltips].

Mais ces chiffres sont en partie trompeurs. En premier lieu, la croissance économique dépend de l’évolution de la production par tête et de l’évolution de la population. Or la démographie américaine reste plus dynamique que celle de l’Europe. Plus de la moitié du différentiel de croissance entre l’Europe et les Etats-Unis s’explique par un différentiel de croissance démographique.

D’autre part, le PIB/habitant ne donne aucune indication de comment sont réparties les richesses produites. Or, si une majorité de la population ne perçoit pas les bénéfices de la croissance économique, c’est en fait comme si, pour cette partie de la population, il n’y avait aucune croissance économique. Or les inégalités n’ont cessé de croitre aux Etats-Unis alors qu’elles sont restées relativement stables en Europe continentale[tooltips content= »Source: OCDE et WID (World Inequality Database) »]3[/tooltips].

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Autre facteur essentiel, la surcroissance américaine par rapport à l’Europe est, à certains égards, un leurre. Une des nombreuses illustrations de ce leurre apparaît dans le domaine de la santé. Les Etats-Unis dépensent 2,5 fois plus par habitant dans le domaine de la santé que les pays européens. Les dépenses de santé atteignent 17 % du PIB, contre 8-11 % dans les autres pays de l’OCDE[tooltips content= »Source: OCDE »]4[/tooltips]. Or si le système de santé américain est loin de fonctionner aussi mal qu’on le dit de ce côté de l’Atlantique, les résultats obtenus en matière de santé publique sont au mieux équivalents à ceux des autres pays de l’OCDE, Europe, Japon et Canada compris. En fait, tout se passe comme si près de 10 % du PIB américain était gâché en pure perte. Le gâchis ne s’arrête d’ailleurs pas là : par rapport à l’Europe, les Etats-Unis utilisent par exemple 60% plus d’énergie par habitant que l’Europe pour le chauffage et l’air conditionné des bâtiments publics et privés[tooltips content= »Source: IEA (International Energy Agency), Global Energy Database »]5[/tooltips]. Le touriste est frappé de voir les centres commerciaux surchauffés en hiver et glacés en été ; or toute cette énergie dépensée en pure perte est comptée dans les chiffres de la production américaine. Autre exemple, le problème de l’obésité, qui touche 40 % des Américains[tooltips content= »Selon le National Health Center, 39,8% des Américains souffrent d’obésité, dont 7,8% d’obésité sévère »]6[/tooltips]. La surconsommation de nourriture liée à l’obésité, les ventes de régimes divers, les médicaments utilisés pour en soigner les effets, tout cela compte dans le PIB américain. Sans que bien sûr l’on puisse parler d’un plus grand confort de vie pour ceux qui souffrent de ce problème. Certes, les pays européens ne sont pas exempts de gâchis, particulièrement ceux comme la France où la dépense publique est très élevée. Néanmoins, au jeu de celui qui gâche le plus, les Etats-Unis ont toutes les chances de sortir gagnant, notamment par rapport aux pays européens ayant, comme l’Allemagne, une dépense publique raisonnable.

Soyons francs, l’euro a contribué à une certaine stabilité 

Enfin, le PIB et le PIB/tête, tous les économistes en conviennent, sont des indicateurs très imparfaits du niveau de vie d’un pays. Ils sont certes une composante essentielle, qui mesure le niveau de confort matériel, mais exclut toute une série de facteurs également importants. Pour s’en rendre compte, il suffit de s’interroger sur ce qui importe dans la vie d’un couple de la classe moyenne. Le niveau de PIB/tête conditionnera sans aucun doute la taille de son logement et son niveau de confort, généralement plus élevé aux Etats-Unis qu’ailleurs à classe sociale comparable, mais aucun des autres aspects de son confort de vie quotidien et celui de ses enfants, parmi lesquels : le niveau de sécurité, la qualité de l’enseignement pour ses enfants, la qualité de l’air, la capacité de retrouver ou non du travail, parmi d’autres facteurs. Or sur ces différents points, les Etats-Unis font parfois mieux, parfois moins bien que l’Europe. Si l’on utilise l’indice de développement humain, qui tente d’intégrer tous ces éléments, les Etats-Unis sont à la traîne par rapport à de nombreux pays européens, en 13ème position (mais devant la France à la 24ème position).

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Au total, la croissance économique américaine a certes été plus forte que celle de la plupart des pays d’Europe, mais c’est en partie en raison d’une démographie plus dynamique. D’autre part, sur bien des plans, les Etats-Unis fonctionnent plutôt moins bien que les pays d’Europe et son modèle de développement apparaît surtout comme beaucoup moins soutenable, notamment quand on le compare à ceux de l’Allemagne ou des pays nordiques. Quant à l’euro, il n’est finalement qu’un facteur relativement secondaire s’agissant d’expliquer les performances économiques des uns et des autres. On ne peut que lui reconnaître d’avoir contribué à une relative stabilité monétaire, en général favorable au développement économique. Certains pays se montrés capables de tirer parti de cette stabilité monétaire, d’autres non.

Tout le monde a laissé faire l’Allemagne

La politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) n’est pas exempte pour autant de critiques. Les choix réalisés par l’institution n’ont rien à voir avec l’introduction de l’euro, au contraire celle-ci offrait des marges de manœuvre supplémentaires. Or, de 2001 à 2007, la BCE a imposé un cours de l’euro artificiellement élevé, il a pratiquement doublé par rapport au dollar entre 2002 et 2008 pour atteindre le niveau aberrant de 1,58 en Juillet 2008, entraînant une sérieuse perte de compétitivité pour des pans entiers de l’industrie européenne. Ce choix a été imposé par l’Allemagne, dont l’industrie par sa structure ne souffrait guère d’une telle situation. Or, le cas suisse le montre bien : il est très facile pour une institution bancaire de limiter la hausse des cours de sa monnaie dans la mesure où elle peut sans limite en vendre pour acheter de la devise concurrente, en l’espèce le dollar. Il suffit d’annoncer qu’elle n’acceptera pas que le cours de sa monnaie aille au-delà d’un certain niveau, cette affirmation suffit à refroidir les appétits des spéculateurs. Or, pendant cette période, l’Europe et la France en particulier, sous les présidences de Jacques Chirac, de Nicolas Sarkozy puis de François Hollande, sont restées totalement muettes sur ce sujet, alors que, unie à l’Italie ou l’Espagne, il aurait été facile à la France de pousser à un infléchissement de la politique monétaire européenne. Qui faut-il donc blâmer? L’euro ? Non, les responsables politiques de ces pays.

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