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Emmanuel Macron, Churchill 2.0 à la peine

À vouloir être flamboyant, on peut finir incendiaire...


Emmanuel Macron, Churchill 2.0 à la peine
Le président Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz, Berlin, 15 mars 2024 © snapshot-photography/F Boillot/S/SIPA

Céline Pina a suivi l’intervention télévisée du président français, hier soir. Elle la juge inutile et mal pensée. Quel était le but de l’exercice ? A quelle urgence répondait cette intervention ? Quel était le message à retenir ?


Ce jeudi 14 mars, j’étais, comme beaucoup de Français à 20H00 devant mon écran de télévision pour voir quelle version des multiples personnalités du président Macron allait apparaitre. Aurait-on droit au diplomate madré, à l’héritier du gaullisme soucieux de l’originalité de ses positions, au va-t’en guerre matamore qui promet beaucoup et tient peu ou à un dirigeant responsable qui parle peu mais clair et agit efficacement. Hier soir la personnalité qui a pris le contrôle était celle de Tartarin de Tarascon. On ne pouvait plus mal tomber.

Pourtant le sujet de l’intervention n’a rien d’une plaisanterie et les enjeux sont réels, comme les peurs ataviques qu’elles réveillent. La guerre se prête mal au jeu de rôle où un adulescent trop gâté joue à Churchill 2.0, s’offrant le grand frisson de l’histoire alors qu’il peine à garder quelque constance quelle que soit son action.

Si on voulait être acide, on pourrait aisément faire le compte-rendu de cette intervention sous forme d’une version pour enfant. Le message essentiel de ces 35 minutes d’onanisme verbal se traduirait ainsi :« La Russie fait peser sur l’Europe une menace existentielle. Tout ça c’est de la faute à Poutine. Alors dire qu’on s’interdit rien, c’est pas une erreur, c’est normal et c’est la preuve que je suis un grand stratège. Donc j’ai raison depuis le début. Et même à la fin les autres chefs de l’Europe, y sont d’accord avec moi. »

Un message peu clair

Seul cet exercice d’autosatisfaction était d’ailleurs cohérent. Au-delà, on se demande bien quel était le message qu’Emmanuel Macron cherchait à faire passer. Voulait-il préparer le peuple à la guerre avec la Russie car il la pense inéluctable et qu’il est prêt à envoyer des soldats mourir pour Odessa, s’il le faut ? Voulait-il réparer son ego blessé en s’offrant un exposé magistral à une heure de grande écoute parce qu’il vit mal son isolement en Europe, alors que, selon lui, dire que l’on ne s’interdit aucune option est la base du jeu de la guerre et ne saurait lui être reproché ? Joue-t-il avec la peur de la guerre pour créer un réflexe légitimiste et redorer son image alors que son parti est à la peine aux Européennes ? Difficile à dire tant cette intervention était mal venue et tant le narcissisme présidentiel l’a parasité.

Un début d’intervention lunaire

Le début de l’intervention est franchement lunaire avec une tentative pathétique d’illustrer par un exemple concret l’importance de rester dans le flou stratégique : face à Anne-Sophie Lapix qui ouvre l’interview en rappelant au président qu’il a sidéré tout le monde en Europe en refusant d’exclure l’envoi de troupe au sol en Ukraine, en affirmant qu’il n’y avait aucune limite au soutien français à Kiev : « Vous êtes assis devant moi, est-ce-que vous êtes debout, non. Est-ce-que vous excluez de vous lever à la fin de cette interview ? Bien sûr vous n’allez pas l’exclure ? » La réponse est cinglante « On est même sûr de le faire. » Emmanuel macron est alors obligé de passer en mode rameur : « Bon, nous on n’est pas sûr de le faire. » C’est ce qu’on appelle rater son entrée.

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Le reste de l’interview sera de la même eau. Les mots sont forts, la Russie fait peser un danger existentiel sur l’Europe. Le fait d’aller faire la guerre sur le sol ukrainien est présenté comme possible voire probable en 2024 et dans le même temps est mis en avant le fait que l’on n’y est pas encore, que tout cela est stratégique, de bonne guerre en quelque sorte. L’image oscille en permanence entre le chef de guerre belliqueux et le président qui se voudrait à la fois lucide et rassurant. Sauf que le chef de guerre n’inspire pas confiance : trop verbeux et que l’on connait le président : il n’a ni gouvernail ni constance dans les idées. L’idée de se présenter comme le Churchill 2.0 de l’Europe est aussi crédible que le discours de Vladimir Poutine expliquant qu’il n’envahit l’Ukraine que pour sauvegarder la Russie.

Une intervention aussi peu nécessaire qu’inquiétante

Assez rapidement, en tant que téléspectatrice, j’ai eu l’impression de me trouver devant un acteur qui croit avoir trouvé le rôle de sa vie et qui passe à côté du personnage. Je me suis demandé quel était le but de l’exercice. A quelle urgence répondait cette intervention ? Quel était le message à retenir ? A quoi jouait le Président et dans le fond, à qui s’adressait-il ? On pouvait avoir l’impression, durant cette interview, que l’homme était en circuit fermé, qu’il répétait devant un miroir et qu’il riait de se trouver si beau dans le reflet renvoyé par celui-ci. Une impression hélas peu partagée par les téléspectateurs.

A-t-on en effet jamais vu un chef de guerre perdre 35 mn à se répandre en considérations diverses dans lesquelles se mélangent auto-flatteries et autocongratulations, paroles sur l’inéluctabilité de la guerre et flou sur le degré de l’implication, attitude martiale et tentative de réassurance, mensonges éhontés et demande de confiance ? Le tout dans une ambiance complaisante, façon causerie ? Est-ce avec cela que la nation, éveillée dans sa conscience collective par la parole du leader (on suppose que c’est l’intention), va se dresser contre Poutine et réclamer elle-même d’être soumise aux sacrifices que nécessite une économie de guerre ?

Un positionnement peu crédible

Mais pardon, j’oubliais ! selon le président, la France est déjà en économie de guerre. Le mensonge est ici énorme. Nous ne sommes absolument pas et même bien loin d’être en économie de guerre. Ce type d’économie se caractérise par le fait de satisfaire prioritairement les besoins de la guerre. La production est donc ponctionnée par l’Etat par le biais de réquisitions, l’industrie réorientée autoritairement sur les besoins de la guerre et le pouvoir d’achat très bas car la production massivement ponctionnée pour les besoins de la guerre. Augmenter les budgets militaires et augmenter légèrement notre capacité de production militaire, ce n’est pas passer en économie de guerre si les mots ont encore un sens.

La vérité est qu’il ne reste que l’impression d’un président trop bavard et bien peu réfléchi, alors qu’il n’y avait aucune utilité à parler à ce stade. Autre aspect gênant de son discours, sa propension à l’accumulation des « d’ailleurs c’est moi qui », des « moi je » et des « je ». L’effet était on ne peut plus déconcertant s’il s’agissait de préparer les esprits à la possibilité d’un engagement plus direct dans le conflit, car il transformait un destin collectif en simple jeu d’image personnelle. Cette difficulté à s’effacer derrière le « nous », derrière « la France », en dit long sur l’absence de  compréhension de son rôle. Être chef, ce n’est pas être ivre de soi, c’est être conscient de ses responsabilités envers son peuple. Or, quand Emmanuel Macron veut enfiler le costume du chef de guerre, on voit que celui-ci plisse beaucoup sur les mollets…

S’il voulait ainsi préparer les esprits à une possible entrée dans un conflit armé, il y a de quoi ressentir une inquiétude profonde tant l’homme n’apparait pas fait pour le rôle. Incapable du sang-froid nécessaire. Car la sortie intempestive d’hier soir n’est guidée par aucun besoin, ni aucune nécessité. Le président français a déjà agacé ses partenaires par ses foucades et ses discours peu préparés ni partagés. Vexé, il en rajoute une louche car il n’a pas apprécié que ses homologues le rabrouent. Il a donc un besoin viscéral de prendre les Français à témoin pour leur dire qu’il ne s’est pas trompé. Car il ne se trompe jamais. Se faisant c’est son immaturité et son inadaptation aux enjeux qu’il exhibe. Il a donc réveillé toutes les peurs liées à la guerre, sans apparaitre comme capable de faire face au danger. 

Une mise-en-scène de la montée vers la guerre peu responsable

Les références à Munich, dont nous avons été témoins dans les jours précédant l’intervention, semblent s’inscrire dans la mise-en-scène de cette montée vers la guerre. Celle-ci est d’ailleurs orchestrée comme un processus dramatique destiné à révéler la vraie dimension d’Emmanuel Macron, celle de l’homme lucide qui se dresse devant le dictateur.

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En effet, s’il ne prépare pas les gens à la guerre, que signifie ce discours ? Personne ne prendrait de tels risques juste pour satisfaire un égo écorné, non ? Et s’il était destiné à les y préparer, qui pense réellement que les intérêts vitaux de la France sont en jeu aujourd’hui ?

Pire même, dans ses rodomontades, Emmanuel Macron a expliqué que nous avons les moyens de nous battre contre la Russie et que la France était dotée d’une véritable puissance d’intervention et qu’elle l’avait prouvé au Sahel ! Dommage pour l’Hannibal germanopratin, nous nous sommes fait virer d’Afrique d’une manière humiliante. Et ce grâce à la Russie. L’exemple était particulièrement mal choisi.

Dans le fond, qu’a fait notre président dans cet exercice narcissique ? il a pris le risque que ses paroles soient sur-interprétées et n’a ajouté que de la confusion à la confusion, dans le pays et en Europe.

L’intervention d’hier était à la fois inutile, mal pensée et donc contreproductive. Pourtant sur le constat, tout n’est pas faux : Vladimir Poutine est bien une menace pour l’Europe et l’Ukraine est réellement en mauvaise posture. Mais Emmanuel Macron commet un péché d’orgueil en prenant ses désirs pour des réalités. Et rien n’est plus dangereux en période de tension qu’un dirigeant incapable d’appréhender la réalité. En effet, l’Europe n’est pas en mesure de résister à la Russie, si elle n’entre pas en économie de guerre, mais outre qu’elle en est bien loin, elle n’a même pas commencé à en discuter tant cette logique est incompatible avec ses fondements néo-libéraux. Or la guerre n’est pas morale, et encore moins juste. Même si Poutine est l’agresseur, même si l’Ukraine ne mérite pas cette guerre, elle peut la perdre et la menace russe arriver aux frontières de l’Europe. La vraie question qui se posera alors est : « comment construire une armée pour la repousser ? », comment réarmer les pays d’Europe et comment envisager une capacité de défense européenne ? Et nous en sommes bien loin. Faire des exposés pompeux et solennels à des heures de grande écoute où on s’écoute parler et où on se gargarise d’une fausse puissance permet de se faire plaisir mais n’est d’aucune utilité s’il faut protéger la paix en préparant la guerre.

Espérons surtout que notre président ne joue pas à la guerre par désœuvrement ou cynisme mal placé et qu’il ne cherche pas l’effet drapeau parce que celui-ci lui permet une fois de plus d’échapper à ses échecs et à son impuissance actuelle. En sciences politiques, l’effet drapeau décrit le resserrement automatique d’une communauté autour de son leader quand elle se sent menacée. Or là, « Renaissance » est en mauvaise posture aux Européennes. Dramatiser les enjeux est une façon de peser dans le jeu et de réveiller un réflexe légitimiste dans la population. En revanche il ne faut pas que celui qui manipule ce type de matière inflammable présume trop de son habileté : à vouloir être flamboyant, on peut finir incendiaire.




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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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