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Emilie de Turckheim: la Parisienne est pavée de bonnes intentions

"L'écrivaine" a accueilli un réfugié afghan chez elle


Emilie de Turckheim: la Parisienne est pavée de bonnes intentions
Emilie de Turckheim dans l'émission 28 Minutes sur Arte, 20 août 2018. ©Capture d'écran Youtube

« L’écrivaine » Emilie de Turckheim raconte dans son dernier livre comment elle a accueilli Reza, un réfugié afghan, dans son cocon familial. Un livre touchant et bien écrit rendu amer par excès de moraline…


En voyant Emilie de Turckheim passer sur Arte lundi soir, 20 août, pour présenter son nouveau livre Le Prince à la petite tasse, j’avais pensé écrire une satire de cet auteur que je ne connaissais pas, et qui prétendait donner à l’auditoire des leçons d’humanité. Les journalistes sur le plateau de 28 minutes, avec la bienveillance gênée des gens de bien qui ont trouvé meilleurs qu’eux, ont expliqué que son livre racontait les mois de 2017 où elle avait hébergé un migrant afghan de 22 ans, nommé Reza. D’où le titre, référence à La Princesse au petit pois, personnage qui, selon les mots de l’auteur, « demande l’asile dans un château ». Il y avait de quoi ironiser : de la « chasse aux femmes nues » dans son appartement avant l’arrivée de l’Afghan, pour ne pas lui « imposer » cette torture alors qu’elle pensait qu’il était musulman ; à cette réponse au journaliste quand il lui demande si elle n’a pas peur de culpabiliser les gens : « La culpabilité, c’est une très bonne chose ».

Mais après avoir lu le livre en question, je n’ai plus le cœur à la raillerie. Emilie de Turckheim écrit très bien. Ecriture poétique, plus poétique dans sa prose que dans les poèmes qu’elle insère au fil de son récit d’ailleurs ; écriture des infimes détails, des moments fugaces, qui parvient à donner l’indéfinissable impression de la vie.

Adopte ton prochain

Et puis surtout, Emilie de Turckheim écrit en chrétienne, comme on l’apprend au fil du roman. C’est ce qui fait que, au contraire de la plupart des zélateurs du camp du Bien, qui n’adoptent la même posture qu’elle que par hypocrisie ou conformisme, on ressent la sincérité des sentiments qu’elle professe vis-à-vis des migrants. Sa morale humaniste, qui ne s’incarne, il est vrai, pas uniquement chez des chrétiens (tout comme tous les chrétiens ne l’adoptent pas), fait de la personne, le « prochain », le fondement de son action. L’ « ouverture à l’autre » n’est pas dans son livre un fétiche sémantique abstrait, grossièrement utilisé pour justifier les niaiseries politiques en vogue ; c’est un sentiment tangible, illuminé par la foi, cette foi chrétienne qui veut voir dans chaque individu un être participant au divin. Emilie de Turckheim, peut-être à son insu, transmet tout au long du livre le « sentiment océanique » de la présence de l’éternel.

« Faire passer un message »

Cela rend d’autant plus navrants les moments où l’auteur abandonne sa poésie légère pour le sermon. Comme dans le chapitre où elle rapporte les propos de ses fils qui disent que Marine Le Pen aurait été un « dictateur » ; ou quand l’un d’eux, à propos des pays francophones, explique doctement au jeune Afghan : « En gros, c’est des pays qu’on a envahis pour leur voler leurs richesses ». Ou encore quand elle déclare, à la fin d’un chapitre : « Charybde et Scylla, c’est nous », comme si l’Europe était un monstre n’attendant rien d’autre que de dévorer les malheureux voyageurs. Emilie de Turckheim enfile parfois ses gros sabots pour « faire passer un message » politique et sauter dans les flaques des poncifs ; il est dommage qu’elle ne s’en tienne pas au récit de sa rencontre avec un individu, ce qu’elle a su infiniment mieux faire.

Le Prince au petit poids

Car la foi chrétienne n’est pas un programme politique. La compassion individuelle ne peut fonder l’action collective ; c’est cet effort de dissociation, souvent douloureux, que l’on exige des représentants du pouvoir politique. Emilie de Turckheim, comme beaucoup de ses coreligionnaires ayant reçu les enseignements du christianisme contemporain, s’abîme dans la contemplation universaliste de la figure de l’Autre, confondant la personne et la collectivité ; montrant ainsi son incapacité à raisonner sur le plan politique. A l’inverse, résonnent alors, en fin de compte, les conseils de Machiavel au prince avec une particulière acuité : « Tu peux sembler – et être réellement – pitoyable, fidèle, humain, intègre, religieux : fort bien ; mais tu dois avoir entraîné ton cœur à être exactement l’opposé, si les circonstances l’exigent. »

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