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Doit-on lire la critique littéraire?

Et d’ailleurs, qui les lit encore vraiment ?


Doit-on lire la critique littéraire?
Image d'illustration Unsplash

Pourquoi ce genre journalistique ne répond plus aux attentes des « nouveaux lecteurs » et aux exigences du monde de l’édition ?


Qui lit encore la critique pour se faire une opinion sur un livre ? Quelques papivores égarés dans la jungle digitalisée, quelques professeurs précieux se targuant de faire la différence entre Montherlant et Giraudoux, quelques confrères velléitaires se lamentant du niveau général, mais surtout, essentiellement, des auteurs qui relèvent les compteurs, à chacune de leurs parutions. La critique n’est lue que par des écrivains obsédés par les retombées : leur poids, leur fréquence et leur qualité. A défaut de percevoir des droits d’auteur, ne leur retirez pas cette dernière raison ou illusion d’exister ! Critiques et auteurs dont les rôles sont interchangeables selon la saison se nourrissent d’ingratitudes et de caresses réciproques, dans un va-et-vient qui laisse les lecteurs indifférents aux enjeux éditoriaux et aux luttes de pouvoir en place.

Ménage à trois

Dans cette relation à trois, le lecteur est souvent de trop. Comme la vieille copine qui tient la chandelle, il gêne la rencontre. Car, en France, terre de culture, seule une poignée d’écrivains vit confortablement de sa plume. Il est si difficile de vivre de sa propre production littéraire ou agricole dans notre beau pays. La majorité des « écrivants » cumule donc plusieurs emplois et se partage les miettes de la recette, à la volée. Dans un secteur économiquement faible, où l’argent est concentré sur quelques têtes, j’ai toujours été frappé par le nombre croissant d’intervenants et d’impétrants à mesure que la profession se paupérisait. Comme si rien ne pouvait arrêter ce cercle infernal. Les professions oisives et non rémunératrices sont certainement plus attractives que les emplois stables. À un jeune auteur, je conseillerai toujours la voie de la raison, c’est-à-dire abandonner l’écriture au profit d’un engagement plus citoyen : la Police, les services à la personne ou la téléphonie mobile. La critique officielle, celle qui est encartée dans les médias, n’a pas bonne presse. Elle serait forcément vendue aux forces obscures et coupable de toutes les compromissions. Elle serait soumise aux influences néfastes, aux copinages intempestifs et aux règlements de compte. C’est pourquoi les acheteurs n’auraient plus confiance en elle, comme ils ne l’ont plus dans la profession de foi des candidats en campagne électorale. Elle puerait le délit d’initiés et la rouerie de l’entre-soi. Les métiers à vocation « artistique » activent généralement les imaginaires complotistes et suscitent plus qu’ailleurs des délires psychotiques.

À lire aussi, du même auteur: Michel Deville à l’Elysée!

La critique littéraire n’est pas plus inféodée aux puissants cordages du système que l’essai automobile, le commentaire footballistique, le comparatif beauté ou l’analyse sondagière. Plus qu’une autre rubrique, par contre, elle tente de résister avec des moyens toujours en baisse. La rétractation des pages « culture » dans les magazines ressemble à l’érosion côtière en Normandie. Les éditeurs eux-mêmes ne font confiance qu’aux courbes des ventes et préfèrent miser, aujourd’hui, sur de dociles non-professionnels et leurs très rentables communautés.

Une profession grand-remplacée par les amateurs ?

Une prime de crédibilité irait naturellement à l’amateur, au passionné, à l’altruiste des réseaux sociaux ou au néophyte, ce serait la garantie d’une information plus transparente et objective. La fable est jolie ; la crédulité a des limites à la décence.

La critique littéraire comme nous l’avons connue, il y a trente ans, ne correspond plus aux attentes actuelles du lecteur pressé. On ne dépiaute plus un texte à l’usage de quelques savants disséqueurs, on se contente d’en résumer les grandes lignes et de s’attacher plus au thème (si possible dans l’air du temps) qu’au ramage du style. Je crois sincèrement qu’un malentendu de fond perdure depuis de nombreuses années. Quand, fougueux journaliste, je dévorais les papiers de Renaud Matignon (1935-1998) dans Le Figaro et louais sa maestria imagière, je me foutais éperdument du nom de sa victime ou de son héros du jour. Je lisais, avant tout, du Matignon et perforais mon système cognitif au charme de sa formule carnassière. Je faisais en quelque sorte mes humanités, j’apprenais mon futur métier. Désolé, je ne crois pas à l’objectivité-reine et au fact-checking obsessionnel, aux gentils blogueurs et aux méchants journalistes, je conteste vivement les catégories infamantes qui déconsidèrent l’écriture dite journalistique avec celle, plus littéraire et hautaine, réservée aux romans. Je crois à la critique incarnée comme une forme d’expression personnelle. Dans cette histoire, le livre ou l’écrivain sont finalement accessoire. Je crois au retour des signatures, les seules susceptibles de nous faire lire, à nouveau, la critique.

À lire. La liberté de blâmer – Quarante ans de critique littéraire – Renaud Matignon – Préface Jacques Laurent -Introduction Etienne de Montéty – Bartillat

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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