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Conseil d’État, Conseil constitutionnel: le coup d’étau permanent

Les sages navrants


Conseil d’État, Conseil constitutionnel: le coup d’étau permanent
Discours de Laurent Fabius dans le grand salon du Conseil constitutionnel, pour la cérémonie du 65e anniversaire de la Constitution de 1958, Paris, 4 octobre 2023 © JEANNE ACCORSINI/SIPA

Après le Conseil constitutionnel qui a censuré la loi immigration, le Conseil d’État veut censurer CNews. Ces hautes juridictions pensent protéger les Français, qui ne sont pas dupes, d’un péril fasciste imaginaire. Vous avez dit « République des juges » ?


Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on ne s’ennuie pas au Palais-Royal depuis le début de l’année ! Passons vite sur la nomination surprise, le 11 janvier, de Rachida Dati à la tête du ministère de la Culture, dont le siège se trouve dans l’aile Valois du bâtiment, et venons-en à l’aile Montpensier, qui abrite, de l’autre côté de la Cour d’honneur, le Conseil constitutionnel.

La loi immigration censurée

Le 25 janvier, l’instance présidée par Laurent Fabius nous a offert un spectacle édifiant. Saisie par le président de la République, elle a censuré plus de la moitié de la loi « immigration », telle qu’approuvée au Parlement un mois plus tôt. Les dispositions les plus fermes du texte ont ainsi été supprimées. Leur tort ? En induisant un changement des conditions d’obtention du permis de séjour et d’accès à certaines prestations sociales « non contributives » pour les étrangers, elles seraient, à en croire les sages de la Rue Montpensier, dénuées de tout lien, « même indirect », avec l’objet d’une loi « immigration ». On se pince.

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Le 13 février, c’est au tour du Conseil d’État, abrité quant à lui dans le corps de bâtiment principal du Palais-Royal, de nous réserver une autre tragi-comédie. Suite à un recours de l’ONG Reporters sans frontières (RSF) déposé en 2022, la plus haute juridiction administrative française rend ce jour-là un arrêt reprochant à l’Arcom de ne pas suffisamment veiller au « pluralisme des courants de pensée » sur CNews, chaîne qui pourtant respecte scrupuleusement l’équilibre du temps de parole entre les partis et les candidats aux élections. Seulement, les magistrats estiment que le gendarme de l’audiovisuel ne devrait pas uniquement scruter la parole du personnel politique à l’antenne, mais aussi les « interventions de l’ensemble des participants aux programmes diffusés, y compris les chroniqueurs, animateurs et invités ». En d’autres termes, il est sérieusement envisagé de placer sous la surveillance de l’État l’opinion s’exprimant sur les ondes. On se re-pince.

La République confisquée ?

Ainsi vogue le bateau ivre du pouvoir, avec à bord une élite fière de se dresser contre un péril fasciste imaginaire et d’employer pour ce faire des méthodes grossières et machiavéliennes, sous le regard médusé d’une majorité de citoyens. Ne crions pas non plus à la République confisquée. Les arguties juridiques du Palais-Royal n’empêcheront pas les Français, s’ils le souhaitent, d’envoyer Marine Le Pen à l’Élysée ; ni Vincent Bolloré, s’il en a le désir, de continuer à posséder la deuxième chaîne d’information continue française.

Notons aussi que la piteuse jurisprudence CNews ne concerne que les canaux de la TNT (30 chaînes nationales et 42 locales) et épargne les centaines de chaînes non hertziennes, comme celle du Figaro par exemple, ou la très gauchiste Le Media, que plus de 80 % des Français peuvent regarder sur leur téléviseur grâce aux box fournies par les opérateurs internet. Contrairement au Web ou à la presse imprimée, la TNT est en effet, comme la bande FM, un domaine public sous tutelle de l’État : les médias autorisés à y émettre n’ont dès lors qu’un statut de concessionnaire (n’en déplaise aux producteurs de l’émission « Quotidien » sur TMC, qui estiment à tort avoir le droit, « parce qu’ils sont privés », de ne jamais inviter le RN sur leur plateau).

Au Palais-Royal, il se murmure que Roch-Olivier Maistre, le président de l’Arcom, pourrait obéir au Conseil d’État en demandant aux chaînes hertziennes de ne plus convier dans leurs émissions de débat que deux types d’intervenants : les « récurrents », à qui il serait demandé d’être détenteurs d’une carte de presse, et les « invités », pouvant venir de tous horizons mais à condition d’espacer leurs participations. Le travail d’appréciation du pluralisme en serait ainsi facilité. En espérant toutefois que l’Arcom s’abstiendra d’employer la stupide grille d’analyse du sociologue François Jost, auteur d’une étude ayant servi de base au Conseil d’État, et pour qui, par exemple, un opposant à l’IVG doit être nécessairement classé à « l’extrême droite » (« C médiatique », le 22 février). Le pape François appréciera…

Consternants Reporters Sans Frontières

Reste l’arrière-plan politique de ces deux affaires. Que ce soit par rapport à la loi immigration ou à CNews, les magistrats du Palais-Royal manifestent d’inquiétantes pulsions autoritaires. Car si leurs sentences sont libérales sur la forme, elles n’en demeurent pas moins incontestablement illibérales sur le fond. Libérales sur la forme, car l’une comme l’autre consistent respectivement à traiter le Parlement et l’Arcom, qui sont deux institutions de l’État, comme des justiciables comme les autres – c’est la définition de l’État de droit. Illibérales sur le fond, car les sentences prononcées vont dans le sens d’une indéniable restriction des libertés publiques.

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Le Conseil constitutionnel vient ni plus ni moins de priver députés et sénateurs du droit de traiter la question migratoire comme ils l’entendent, c’est-à-dire en établissant un lien de cause à effet entre l’attractivité de l’État-providence et les flux d’entrée sur le territoire. Des magistrats interdisent en somme à la représentation nationale de décider en conscience d’une logique politique. Quant au Conseil d’État, son arrêt CNews esquisse tout simplement l’instauration d’une police politique – et non plus seulement électorale – dans l’audiovisuel. Un corsetage inimaginable dans des démocraties comme les États-Unis et le Royaume-Uni.

On se rassurera toutefois en observant que la demande consternante de RSF d’interdire carrément à la chaîne d’information de Vincent Bolloré de diffuser des émissions d’opinion n’a pas été retenue. Au pays du « J’accuse » de Zola, les magistrats du Conseil d’État n’ont pas poussé le ridicule jusqu’à valider l’idée débile et dangereuse selon laquelle le commentaire d’actualité serait l’ennemi du journalisme.

Mars 2024 – Causeur #121

Article extrait du Magazine Causeur




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est journaliste.

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