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Comme un ouragan

Tout sonnait faux. Nous étions à l’ère du toc et du bourrage de crâne.


Comme un ouragan
Jane Fonda pour Gym Tonic, années 80 / Capture d'écran Youtube d'une vidéo du 19/03/22 de la chaine Tonic

Suite à sa visite de l’exposition « Années 80 », Thomas Morales dresse un portrait un peu moins flatteur mais plus réaliste de cette décennie qui, comme celles des années 60 et 70, est désormais auréolée de nostalgie.


Décennie funeste où la laideur et la démagogie ont scellé un pacte diabolique. Les espoirs y ont été piétinés avec allégresse. Les faux-semblants y ont pullulé, un peu partout, dans les médias et les hémicycles, à la sortie des usines ou des boîtes de nuit. Halo de mort réhaussé d’une couleur fluo criarde, voilà ce qui restera dans les mémoires. Bien sûr que je suis injuste, les années 1970 poseuses et politiquement indécentes n’étaient guère plus clairvoyantes. Et les Sixties avec leur fausse libération et la naissance d’une jeunesse, consommatrice et individuelle, n’ont pas tellement brillé par la suite. Chaque époque est vouée à l’échec et au ressentiment. Je ne parle même pas ici de la mienne. Génération perdue qui s’abstint de tout engagement, réfractaire à l’action et au changement, cherchant désespérément le CDI et la voiture de fonction. Quelle infamie d’avoir eu vingt ans au milieu des années 1990.

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Tous les objets sentaient le factice. Tout sonnait faux. Nous étions à l’ère du toc et du bourrage de crâne. Sous le coup de l’asservissement idéologique et de la loi du marché, nous étions pris en tenaille. Notre industrie se désagrégeait lentement pendant que notre nation se disloquait doucereusement. Nous avons écopé d’une double peine, d’une double catastrophe, l’hégémonie d’une Europe assimilatrice et de l’homo festivus. Si l’on y ajoute des monospaces dans les rues et l’autofiction dans les librairies, vous comprendrez l’état actuel de notre délabrement intellectuel. Alors, c’est remonté comme un pré-quinqua amer et vindicatif que je me suis rendu au Musée des Arts Décoratifs avec la ferme intention de saborder l’énergie des années 1980, d’y fustiger leur force tranquille et d’y pointer toutes les aberrations esthétiques. On connaît la chanson, elle sert de mémorandum : clip, fric, pub, dope et SIDA, musique urbaine et grands travaux, Mai 81 et tournant de la rigueur, Montand transfert du PCF à Vive la Crise ! GTI Turbo au volant et montre Swatch au poignet, lunettes Mikli et chaussures Éram, Clio Goldsmith et Maruschka Detmers en topless au ciné, Ticket chic et Gini, je t’aime, Starck aux affaires et Putman au musée, Pacadis au Palace et Paradis dans un taxi, Alaïa au corset et Saint Laurent à la Fête de l’Humanité, col mao à l’assemblée et denim signé Marithé et François Girbaud. Le triumvirat Goude, Mugler et Séguéla, tu ne dépasseras pas ! Bien sûr, on peut railler, la moquerie est salutaire, mais la tendresse nous rattrape. Nous sommes trop sentimentaux, trop attachés aux signaux faibles. Qu’on le veuille ou non, notre adolescence a été bercée par cette décennie-là, par ses excès de moraline et ses injonctions marchandes, par ce joyeux foutoir et cette forme de bordel permanent, par des images et des catafalques. Nous avons tant aimé les pubards croqués par Martin Veyron, leur morgue jubilatoire et leur absence d’interdits. Ils furent probablement les seuls à avoir vraiment tenu leurs promesses.

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Le 4 septembre, Myriam avait effectivement enlevé le bas pour le groupe AVENIR. Grace Jones crachait une CX et Julien Clerc grimpait sur le toit d’une BX, Citroën était aux anges. Alice Sapritch vaporisait et se trouvait moins moche. Carole Bouquet conduisait une Ferrari pour Chanel sur du Nina Simone. Il faudrait être folles pour dépenser plus ! Les Roses de Dublin à la télé hypnotisaient les garçons ayant eu la permission de se coucher après 20 h 30 avec cette question toujours sans réponse : où es-tu Spring Kavanaugh ? Souad Amidou explosait l’écran dans « P’tit con » de Lauzier. Valérie Mairesse chantait « Bombe anatomique » avec cette accroche indépassable de poésie claudicante « delirium très, très mince ». Que restera-t-il de ces années-là ? Probablement le visage altier de Farida Khelfa et le « body » d’Elle Macpherson. Et puis des vers qui n’étaient pas d’Éluard mais s’imprimaient dans nos têtes : « Je fouille mes poches, je sais c’est moche » ; « Mais c’est la mort qui t’a assassiné Marcia » ; « Mais cette machine dans ma tête, machine sourde et tempête » ; « Elle s’en fout, elle balance son cul avec indolence » ; « J’vais pas t’laisser partir avec un légionnaire en perm » ; « Mais de vous à moi je vous avoue que je peux vivre sans vous », etc…

«Années 80: Mode, Design et Graphisme en France», exposition au Musée des Arts Décoratifs, jusqu’au 16 avril 2023.

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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