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Argentine: pour danser le tango, il faut avoir le ventre plein…

Le pari risqué de Javier Milei


Argentine: pour danser le tango, il faut avoir le ventre plein…
À Buenos Aires, un manifestant qui bloquait une rue est emmené par la police, 27 décembre 2023 © Gustavo Garello/AP/SIPA

Le résultat de l’élection présidentielle argentine nous apparait comme une bizarrerie, et la situation du pays digne d’un carnaval d’Amérique du Sud. Certes, Javier Milei est extravagant. Mais, dans un pays à l’économie exsangue, ses solutions ultra-libérales ont été vues par une majorité d’électeurs comme un dernier recours. Driss Ghali analyse ce pari risqué


Un conseil aux lecteurs français : si vous voulez savoir quoi penser d’une personnalité politique latino-américaine, regardez France 24 et lisez Le Monde, s’ils tressent des éloges à quelqu’un, méfiez-vous en, et s’ils en disent du mal, accordez-lui quelque sympathie. N’étant pas de gauche, Javier Milei rentre dans la catégorie des mangeurs d’enfants. Il se définit comme anarcho-capitaliste. Une espèce rare qui promet de bâtir une société harmonieuse et prospère, débarrassée de l’État et régie par la seule grâce du capitalisme. Cela suffit pour le classer à l’extrême-droite aux yeux des grands médias français qui ne publient de lui que les photos qui en donnent l’aspect le plus sidéré ou le plus répulsif. Il n’avait qu’à penser comme Ortega (le persécuteur des chrétiens au Nicaragua), ou encore Maduro (le fléau du Venezuela qui a provoqué l’exode de millions de civils innocents). Sur les rives de la Seine, il n’y a qu’une seule politique possible au sud du Rio Grande : le socialisme – peu importe qu’il soit appliqué par des dictateurs sanguinaires (Cuba, Nicaragua) ou en collusion avec les cartels (Venezuela) ! 

Aventure argentine

Mais, si le peuple argentin a osé déplaire à Libération, c’est qu’il avait une raison valable. Il est en train de mourir. Il succombe à quarante ans de casse sociale et de démembrement économique. La pauvreté dépasse les 40% de la population dans une nation jadis prospère. Surtout, l’inflation annuelle dépasse les 200%. Les Argentins n’ont pas snobé les candidats préférés du Nouvel Obs par sadisme, c’est qu’ils n’y ont trouvé aucun espoir de voir leur frigo se remplir à nouveau. Pour danser le tango, il faut avoir le ventre plein.

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Les Argentins ont peur de l’avenir et ils ont honte de participer d’une chute libre qui n’en finit pas. En effet, l’Argentine ne « peut » pas être un pays pauvre. Elle a tout pour réussir et elle l’a prouvé par le passé : elle a de l’eau à en revendre, la terre est très fertile, l’agriculture est parmi les plus productives au monde, le pays est vide ou presque, les liens familiaux et culturels avec l’Europe sont richissimes. Il y a un siècle, les jeunes Français déshérités mais ambitieux allaient faire fortune en Argentine. Désormais, les Argentins quittent leur pays pour échapper à l’enfer économique. Mais, aux yeux de la presse française, le scandale n’est pas celui-là. Le véritable scandale, le seul dérèglement qui mérite l’indignation est l’élection d’un candidat de droite. Au diable, le calvaire du peuple argentin…

Milei condamné d’office ?

Est-ce que Milei peut sauver l’Argentine ? Honnêtement, il est très difficile de miser sur un politicien provocateur, sans aucune expérience sérieuse du pouvoir. Dépourvu de réseaux dans l’État profond. Condamné d’office par l’establishment international. Il est aussi très difficile d’envisager une sortie de crise pour l’Argentine. Les fondamentaux du pays sont tellement « pourris » qu’il faudrait, en toute rigueur, tout démonter pour reconstruire à zéro. Le système monétaire est en ruines, le commerce extérieur problématique, la fonction publique inefficace, les entreprises sous-financées, la dette externe impossible à rembourser. Cela dit, Javier Milei veut s’y essayer. Souhaitons-lui bonne chance. 

Javier Milei, 3 jours avant son élection à Córdoba, le 16 novembre 2023 © Nicolas Aguilera/AP/SIPA

Il veut commencer par une cure de libéralisme dans une économie qu’une administration ultra-interventionniste empêche de tourner en rond. Offre et demande sont totalement perturbées par des politiques populistes. Prix contrôlés, loyers encadrés, subventions à la consommation. On traite Milei d’extravagant, et il l’est assurément, mais l’extravagance véritable est du côté de ses prédécesseurs qui ont installé jusqu’à dix régimes de change différents entre le dollar et le peso. Aujourd’hui, l’Argentine est en effet un mélange entre l’économie française des années 1960, où l’État est producteur-distributeur-régulateur, et l’économie informelle de la Sicile où les petits patrons rivalisent d’audace et de combines.

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Le 20 décembre, Milei a promulgué un paquet d’urgence libéralisant les prix et les loyers et levant tous les obstacles aux exportations. La monnaie est dévaluée de 50% et plusieurs aides à la consommation sont annulées. Quelques jours plus tard, le nouveau président a annoncé que les grévistes qui s’aviseraient de bloquer les routes seraient poursuivis pénalement. Vu depuis Paris, il s’agit d’une nouvelle « avancée du fascisme ». Vu de près, il s’agit d’une mesure de précaution face à la dégradation sûre et certaine du pouvoir d’achat de millions d’Argentins du fait de la nouvelle politique. Qui dit dévaluation dit inflation des produits importés, qui dit libéralisation des prix dit hausse des prix comprimés artificiellement par le passé. Le pari de Milei est que l’Airbus avarié qu’est l’Argentine cessera sa chute libre au bout de quelques mois et commencera à redresser son nez. Et si ça marchait ? Je paierais cher pour voir les correspondants locaux de la « grande » presse parisienne rendre compte des « vents favorables », aussi intenses qu’inattendus, « qui ont outrageusement facilité la tâche à Javier Milei »

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Ecrivain et diplômé en sciences politiques, il vient de publier "De la diversité au séparatisme", un ebook consacré à la société française et disponible sur son site web: www.drissghali.com/ebook. Ses titres précédents sont: "Mon père, le Maroc et moi" et "David Galula et la théorie de la contre-insurrection".

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