Accueil Édition Abonné Et si j’avais eu tort pour le Syndicat de la magistrature?

Et si j’avais eu tort pour le Syndicat de la magistrature?

Mais pourquoi Philippe Bilger fait-il donc amende honorable aujourd'hui?


Et si j’avais eu tort pour le Syndicat de la magistrature?
Le Syndicat de la magistrature, présent à la fête de l'Humanité, le 16 et 17 septembre 2023. Capture d'écran Youtube/Journal l'Humanité.

Le magistrat doit rester impartial politiquement, ce statut est clairement défini par la loi organique. Dès lors, Philippe Bilger s’émeut: pourquoi le Syndicat de la magistrature participe-t-il à la fête de l’Huma?


Il m’a suffi d’une seule année à Lille – de 1972 à 1973 – pour comprendre que le Syndicat de la magistrature ne servait pas la Justice mais s’en servait au nom d’une conception idéologique de gauche, voire d’extrême gauche. Les magistrats qui, comme moi, en son sein étaient hostiles à cet extrémisme partisan se trouvaient confrontés à cette alternative : demeurer et souffrir avec une parole inaudible ou partir. C’est ce que j’ai fait en créant une association « Justice nouvelle » qui n’a pas répondu à mes espérances. Pour la raison essentielle que des modérés étaient certes venus vers moi mais en me faisant regretter les quelques intelligences singulières que j’avais quittées en dépit de la calamité souvent absurde des délibérations collectives du Syndicat de la magistrature.

C’est un point important sur lequel on hésite à insister. Sans tomber dans une nostalgie de mauvais aloi, je soutiens qu’il y avait un gouffre entre les dirigeants du Syndicat de la magistrature d’alors et ceux d’aujourd’hui. Les premiers faisaient réfléchir, quoi qu’on en ait, et, comme ils intervenaient sur un terrain vierge, leurs idées et leur action, dans les années 1970, ont eu des effets positifs. Les excès et les outrances, déjà perceptibles, étaient en partie compensés par la liberté, l’ouverture et la dénonciation légitime de comportements judiciaires choquants. Un monde inutilement guindé était heureusement décorseté.

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La suite ne fut pas de la même eau. D’abord parce que le Syndicat de la magistrature s’étant vidé de ce qu’il avait eu de meilleur n’était plus en capacité d’offrir au monde judiciaire et à la société autre chose que des analyses partisanes et des attitudes collectives scandaleuses. Mais, surtout, à cause de cette aberration intellectuelle soutenue complaisamment, sans l’ombre d’un questionnement, que tout était politique, ce qui paraissait légitimer les pires partialités et les plus odieuses inégalités dans l’administration de la Justice. C’était gravement confondre le processus judiciaire qui doit intégrer, pour être équitable, singulier de l’être et pluriel social avec une idéologie polluant en amont toutes les délibérations et décisions essentiellement pénales.

Faux syndicat, vrai parti

Faut-il rappeler les mille exemples qui sans cesse remettaient sur le tapis démocratique l’interrogation sur le droit au syndicalisme judiciaire ? Les inféodations aux partis de gauche et d’extrême gauche lors des congrès du Syndicat de la magistrature, la participation à des manifestations clairement hostiles au pouvoir présidentiel dès lors qu’il n’était pas de gauche, le soutien systématique octroyé à des causes politiques et syndicales qui contestaient l’institution judiciaire et ses jugements, la perversion de pratiques judiciaires, inspirées par l’idéologie, qui s’en prenaient au patronat et à la police au prétexte des quelques policiers ou patrons renvoyés devant les tribunaux correctionnels, la détestation de certaines lois ou de tel ou tel président de la République, qui conduisait à des injustices, l’indulgence, voire la complaisance pour les émeutiers d’il y a quelques semaines, le mépris régulièrement diffusé à l’égard du sentiment populaire aspirant à l’ordre, à la sûreté des personnes, à la protection des biens et à la rigueur à l’égard des coupables avec le souhait de peines exécutées.

Le « mur des cons » du Syndicat de la magistrature, en 2013. Image: Capture d’écran Youtube.

Le Mur des cons, sur lequel j’avais l’honneur d’être, est venu ajouter de l’ignominie à ce qui prétendait n’être qu’une pochade et qui en réalité a rendu presque insurmontable le fossé entre la société et l’institution judiciaire, il a amplifié de manière dramatique la perte de confiance et d’estime du citoyen à l’égard des juges. Ce qui a suscité l’indignation, au-delà de l’abjection tournant en dérision le père d’une victime, le créateur d’une association en faveur des victimes ou moquant exclusivement certains politiques, est l’incroyable laxisme qui a prévalu au sujet de ce désastre dont nous sommes loin d’être encore revenus.

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Et pourtant, aussi bien dans mes écrits que dans mes propos, dans les conférences, dans les multiples circonstances où un magistrat, de surcroît devenu honoraire, a le droit de s’exprimer, longtemps, tout en dénonçant le scandale de ce syndicat politisé et ses effets délétères sur l’opinion publique, j’affirmais aussi qu’il était inconcevable qu’on le supprimât et que d’ailleurs aucun pouvoir n’en aurait l’envie ni le courage. Mon argumentation était de bonne foi et cependant, sans cesse, on me rétorquait, sur les réseaux sociaux ou ailleurs, que j’avais tort, on me mentionnait des textes, on stigmatisait l’impuissance des gouvernements. Le citoyen ne s’en laissait pas conter !

Si, avec ce billet, je vais faire en quelque sorte amende honorable, je ne suis pas décidé à battre ma coulpe tout seul. Faut-il oublier une grande part de la classe médiatique qui a durablement tressé des louanges à ce syndicalisme et vanté son opposition aux pouvoirs de droite, passé sous silence tous les gardes des Sceaux de gauche qui ont favorisé ce syndicalisme en l’installant confortablement dans les arcanes des décideurs et des hiérarchies, dans les rouages politiques, minimisé cette lâcheté qui n’a jamais incité les indignés à droite à franchir le pas opératoire de la suppression du Syndicat de la magistrature ? Convient-il d’exonérer de sa responsabilité le syndicalisme judiciaire centriste qui, au nom de sa propre sauvegarde et pour se faciliter l’action, par corporatisme aussi, n’a jamais mis en cause la dérive de ce faux syndicat, de ce vrai parti ?

Le parti-pris de « magistrats militants dans un cadre social »

Pourquoi alors s’émouvoir maintenant de ce qui affecte, infecte depuis si longtemps la Justice ?

Parce que nous avons un garde des Sceaux qui s’est dit « énervé », « excédé » par la participation du Syndicat de la magistrature à la fête de l’Humanité. Pour lui, « le Syndicat de la magistrature, ce n’est pas la Justice ».

Parce que malheureusement ce constat a été avéré avec la prestation honteuse de ces magistrats, en compagnie du Syndicat des avocats de France qui, lui, n’est tenu à aucune réserve politique, monologuant contre les violences policières, stigmatisant la police et osant même qualifier de « révoltés » ceux qu’une personne avait nommé « émeutiers parce qu’ils avaient dégradé et brûlé des bâtiments publics ».

Parce que ces mêmes magistrats se sont présentés, déniant être des juges politisés, comme des « magistrats militants dans un cadre social » en affichant donc sans vergogne le caractère partisan de leur implication dans cette fête organisée par le parti communiste français. Je suis persuadé que sollicités par LFI, ils n’auraient pas hésité à venir apporter leur approbation à Jean-Luc Mélenchon pour qui « la police tue » tandis que Fabien Roussel s’est toujours gardé à ce sujet d’une attitude non républicaine. Débordé sur sa gauche par le Syndicat de la magistrature !

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Parce que l’arrogance de cette exhibition montre bien qu’à force de laisser le ver prospérer, le fruit se détruit.

Parce que, saisi il y a plusieurs mois par le ministre Dupond-Moretti, le Conseil supérieur de la magistrature n’a toujours pas répondu aux trois questions posées, dont l’essentielle portait sur le droit de grève des magistrats (JDD). Si un jour la réflexion collective aboutit à un résultat, je doute fort qu’il soit sans la moindre équivoque. Ce qui laissera le pouvoir politique face à ses responsabilités. Celui d’aujourd’hui et celui de demain, de 2027.

Parce qu’il y a, de plus en plus, une incompréhension citoyenne face à cette partialité publique ostentatoire quand on sent intuitivement ou à la réflexion que l’acte de justice exige sérénité, prudence, équité et, plus que tout, impartialité et que l’absence de ces dispositions chez le magistrat fait craindre le pire à tous ceux qui d’une manière ou d’une autre ont à faire avec l’institution. Ce superbe métier, cet honneur de raccommoder, de réparer, de sanctionner ne doivent plus être à la merci d’une conception dévoyée du droit, d’une perversion politicienne. Un magistrat est un serviteur, pas un militant.

Parce qu’il y a enfin dans le statut de la magistrature défini par la loi organique, dans son article 10, ces dispositions très claires qui n’ont été méconnues que par l’impuissance, la lâcheté ou la perversion politiques : « Toute délibération politique est interdite au corps judiciaire ; toute manifestation d’hostilité au principe ou à la forme du gouvernement de la République de même que toute démonstration de nature politique incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions ; est également interdite toute action concertée de nature à arrêter ou entraver le fonctionnement des juridictions ».

Par quelque biais qu’on les interprète, elles concernent le Syndicat de la magistrature, ses dérives, ses préjugés et son idéologie. Et son absence totale de réserve.

On a pu longtemps être arrêté par une sorte de scrupule. Interdire n’est jamais gratifiant. Mais le Syndicat de la magistrature, dans son naufrage, entraîne bien plus que lui : la Justice, la confiance qu’elle doit susciter, le respect qu’elle doit inspirer.

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Suffirait-il, comme un sénateur l’avait proposé, lors de l’examen du projet de loi organique sur la Justice en juin 2023, de prescrire « le respect du principe d’impartialité pour les magistrats syndiqués » ? Ce qui devrait aller de soi et qui pourtant a été contesté au nom de la liberté d’expression. Ne faudrait-il pas, selon une revendication constante d’Eric Ciotti, par exemple en janvier 2023, « interdire l’appartenance syndicale des magistrats » ?

Ce qui a relevé longtemps d’un débat théorique, parce qu’apparemment rien ne pressait et qu’une sorte de tabou existait, est dorénavant inscrit dans une réflexion qui ne peut plus faire comme si le militantisme politique revendiqué par le Syndicat de la magistrature ne posait pas un immense problème dans notre démocratie. Celle-ci peut-elle se permettre d’avoir un tiers de la magistrature qui viole ouvertement ses principes et stigmatise les forces régaliennes qui la servent ?

Ce syndicat contraint à s’interroger sur la survie du syndicalisme judiciaire.

Quel pouvoir républicain aura l’audace d’une radicalité en me donnant modestement raison demain parce que j’ai eu tort hier ?

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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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