Souvent on est tenté de penser que le même manque d’humanité et de savoir-vivre gangrène à la fois nos vies politique, professionnelle et quotidienne. Pourtant, parfois le bon exemple vient de là où on ne l’attendait pas. Le regard de Philippe Bilger…
La vie politique peut être déprimante et désespérants ses affrontements. Sans qu’on sache véritablement s’ils sont sincères ou seulement inspirés par l’envie d’en découdre.
Je me demande si derrière ce délitement républicain, la conscience qu’on a tous d’une France qui va mal, d’un pays qui chaque matin craint de nouvelles crises, d’autres polémiques, des scandales artistiques et des indécences de toutes sortes, quelque chose de plus grave ne nous affecte pas. Comme l’intuition que notre démocratie, avec ses conflits ouverts, apparents, est gangrenée par bien plus profond qu’elle. Que c’est moins d’options partisanes dont nous manquons que d’humanité et d’éducation. Il y a un terreau de plus en plus putride sur lequel une société ne peut pas espérer se construire et se battre victorieusement contre ses adversaires.
Quand le pire nous accable, nous indigne, lorsque la malfaisance a frappé et que l’horreur a sévi, on entend qu’il aurait fallu qu’en amont les parents éduquent, que l’école enseigne, que le travail paie et que la justice sache être ferme.
Mais c’est trop tard.
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Constater la dégradation du savoir-vivre, la violence des mots, la grossièreté des comportements, la déplorable libération de tout ce qu’une forme de civilisation avait tant bien que mal étouffé, revient à déplorer qu’on ait tout manqué avant.
Et c’est trop tard.
La haine remplaçant la courtoisie, l’affrontement voulu, désiré, cultivé, les élèves frappant les maîtres et les parents s’en prenant aux professeurs, le monde politique oubliant la contradiction des idées pour les invectives, sont autant de tristes signes qu’il y a longtemps, quand tout était encore possible, on a échoué. Et que tout serait à refaire, à redresser.
Hélas, il est trop tard.
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Voir des femmes enceintes demeurer debout et des adolescents ne pas se lever, des personnes âgées attendre que la fatigue de la jeunesse se dissipe pour leur laisser la place, remarquer sur les visages, partout où il y a du collectif, l’indifférence, l’hostilité, chacun rivé à sa communication personnelle comme à une bouée, être suspecté parce qu’on a souri devant un nourrisson, entendre les cris et les hurlements, relever qu’autrui ne compte pas, observer que personne n’écoute personne, révèlent qu’à un certain moment, les destins singuliers ont emprunté un mauvais chemin et qu’on les a laissés faire. Il faudrait revenir en arrière.
Mais il est définitivement trop tard.
Dans les univers professionnels, dans celui du pouvoir, partout où on ne sait plus répondre aux attentes, aux messages, aux courriers, quand l’être est devenu indésirable, que les élites se prennent pour le sel de la terre et que le peuple oscille entre résignation ou révolte, il conviendrait de scruter le passé. Quand l’éducation a-t-elle failli et la politesse sombré ?
Peu importe puisqu’il est trop tard.
Derrière la façade effervescente, tumultueuse, tonitruante et si peu exemplaire de la vie politique, l’écume incessante du fil des jours, c’est l’édifice de l’humanité qui est touché en plein coeur avec tout ce qu’il portait et qu’on croyait inaltérable.
Trop tard pour vaincre ce déclin inéluctable.
Pourtant, le 22 décembre, vers 19 heures 15, dans un métro bondé, un jeune homme africain s’est spontanément et immédiatement levé pour céder sa place et il a été remercié.
Sans doute un miracle de Noël.
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