Éloge de Jean-Pierre Pernaut, par Jérôme Leroy
J’ai lu avec intérêt le parallèle esquissé entre Jean-Pierre Pernaut et Eric Zemmour par François Tauriac. Finalement, le départ de Pernaut signalerait à la fois une présence majeure d’une certaine sensibilité réactionnaire (il avait les meilleures audiences européennes sur cette tranche horaire du midi) et le caractère minoritaire de cette même présence face à la bien-pensance, ce mot qui est devenu pour le réac un tic de langage.
Le bienpensant, c’est celui qui ne pense pas comme moi
Est bienpensant, pour le réac, tout ce que ne pense pas comme lui. Le mot bienpensance permet en plus de se victimiser, de se donner une aura de rebelle obligé de se cacher pour dire la vérité vraie : dans le désordre, celle du Grand Remplacement, de l’horreur des pistes cyclables, de l’innocuité du changement climatique, du caractère intrinsèquement pervers de l’Islam (comme autrefois le pape Pie IX avait déclaré intrinsèquement pervers le communisme dans son Encyclique Divini Redemptoris), de la vilenie du bobo sans qu’on ne sache plus trop ce que c’est, un bobo, un prof obligé de vivre en banlieue et qui fait son marché bio ou un communicant politique surpayé pour murmurer à l’oreille des élus « bienpensants », c’est à dire se situant sur un prisme qui va de la gauche du RN jusqu’à Nathalie Artaud.
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Le problème, c’est que le rebelle réactionnaire, dans l’audiovisuel, dispose désormais d’une chaine dédiée, CNEWS qui est un peu le France Inter du malpensant, une Fox News française où on est toujours certain que les faits divers témoignant de l’insécurité – quitte à les gonfler un peu comme l’histoire de la collégienne « lynchée » à Reims qui n’était qu’une banale brutalité en milieu scolaire – seront toujours considérés comme plus important qu’un plan social annoncé par des pirates façon Bridgestone. Le porte-étendard de la chaîne étant Eric Zemmour qui incarnerait la relève de Jean-Pierre Pernaut.
Identité heureuse
Il y a pourtant une différence essentielle entre Jean-Pierre Pernaut et Eric Zemmour, c’est que Jean-Pierre Pernaut avec son JT qui était un magazine des terroirs, était le chantre d’une identité heureuse aurait dit Juppé (un vrai bienpensant celui-là) tandis que Zemmour se fait le chantre d’une identité malheureuse, inquiète, menacée où l’on entend le sanglot de l’homme blanc assiégé par les féministes, les migrants, les écologistes, j’en passe et des pires. Jean-Pierre Pernaut, lui, son truc, c’était les beaux villages du vieux pays, le travail séculaire de l’artisan sabotier, la fête du jambon dans une sous-préfecture aux toits de lauzes. Jean-Pierre Pernaut aimait cette France rurale, fraternelle, éternelle. Il y avait bien ses réflexions, entre deux reportages des correspondants locaux, sur la fainéantise des fonctionnaires ou les étudiants qui feraient mieux d’étudier, mais somme toute, ça restait du réac à l’ancienne, c’est-à-dire sans haine parce qu’au bout du compte, ce qui était important, c’était que la France restait bien la France malgré tout, une France finalement pas très différente de celle que l’on trouve dans une chanson de Jean Ferrat.
Pernaut n’excluait personne et même ceux qu’il critiquait, il ne leur déniait pas la qualité de Français. Pernaut était anxiolytique quand Zemmour est anxiogène.
Nostalgie soyeuse contre réflexes paniquards
Ce qui me fait dire, finalement, que le réac, c’est comme tout le reste, c’était mieux avant.
Je me souviens par exemple d’après-midi passées avec Pierre Boutang dans son grenier de Saint-Germain en Laye, de ses explications lumineuses sur Le Banquet de Platon ou la pensée de Maurras. Il cherchait à me convaincre, pas à m’exclure, et c’était bien. Je trouvais chez lui une tolérance qui est l’apanage de ceux qui préféraient discuter qu’asséner. Je pourrais dire la même chose d’ADG qui était un écrivain délicieux, drôle, profondément humain et je donnerai tous les livres paniquards et violents d’Obertone pour une phrase de Pour venger Pépère, un roman noir sur l’insécurité et la vengeance pourtant, mais qui était empreint d’humour et d’humanité, de nostalgie soyeuse comme un matin d’automne brumeux sur une levée de Loire. Même un chanteur aussi farouchement anticommuniste que Jean-Pax Mefret m’inspirait de la sympathie parce qu’il se battait pour et pas contre. Pour garder le souvenir de Dien-Bien Phu, de Camerone, de Kolwezi, « Képi blanc, vive la Légion », pour les chrétiens d’Orient et la mémoire des Pieds Noirs. Ce n’était pas forcément mes combats, encore que, mais il les chantait avec un talent qui emportait l’adhésion, au moins le temps de la chanson.
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Jean-Pierre Pernaut était un des derniers réacs « old school », écolo sans le savoir, anticapitaliste par défaut, défendant avec ferveur et sans aigreur la périphérie contre le centre, le petit contre le gros, la province contre Paris mais certainement pas le Blanc contre le « sauvage » parce que cette grammaire lui était étrangère, même en se forçant. Plus les années passaient, plus c’était un plaisir de l’écouter. Il y avait chez lui, d’une manière subliminale, la certitude que malgré tout, tout pouvait continuer comme avant, pour peu qu’on s’en donne la peine.
Je vous salue ma France
Même pendant le confinement, surtout pendant le confinement, alors qu’il s’était réfugié en Picardie, il continuait en duplex, à nous dire que rien ne valait la pêche à la crevette, qu’il fallait faire attention aux vieux, qu’on allait s’en sortir tous ensemble. Il avait même piqué une colère, comme n’importe quel type de gauche, contre l’incompétence et l’incohérence du gouvernement dans sa gestion de la crise sanitaire. Et je pensais alors, en l’écoutant, au vers de l’Aragon de la Diane Française :
Je vous salue ma France aux yeux de tourterelle
Jamais trop mon tourment mon amour jamais trop
Ma France mon ancienne et nouvelle querelle
Sol semé de héros ciel plein de passereaux
Réac ou pas, progressiste ou pas, on a toujours raison quand on préfère l’amour et l’honneur aux rivalités mimétiques qui finissent toujours, comme nous l’expliquait René Girard, par le besoin de trouver un bouc émissaire. Quand ce n’est pas le souhait apocalyptique, plus ou moins clairement formulé, d’une guerre civile, histoire de se retrouver entre soi, bien au chaud. Pernaut nous disait qu’on en n’était pas là, et que rien ne valait une partie de boule ensemble à Argenton-sur-Creuse le dimanche, après la messe ou après être allé voter, même si l’un avait communié et l’autre pas, même si l’un avait voté à droite et l’autre pas.
Je n’aurais jamais cru cela possible, mais Jean-Pierre Pernaut me manque déjà.
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