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Macron, la diplomatie du « en même temps »

Nommer l'ennemi, c'est bien. Le traquer partout, ce serait mieux


Macron, la diplomatie du « en même temps »
Emmanuel Macron devant les ambassadeurs réunis, août 2017. Sipa. Numéro de reportage : AP22096034_000003.

Je dois l’admettre, le discours d’Emmanuel Macron devant les ambassadeurs mardi a été plutôt une bonne surprise. « En même temps », on peut craindre les grandes phrases creuses, les déclarations d’intention jamais suivies d’effets. « En même temps » aussi, certains détails font tiquer, notamment si on les met en rapport avec des déclarations précédentes, ou les propos tenus par des membres du gouvernement.

La distinction réaffirmée entre réfugiés et migrants économiques, pour évidente qu’elle soit, est une base nécessaire à toute réflexion pragmatique sur le sujet, et suffit à rendre Emmanuel Macron nettement plus crédible que le pape. C’est déjà ça.

Ni Ryad ni Téhéran

Le refus de se laisser entraîner à choisir un camp entre l’Arabie saoudite et l’Iran est une excellente chose. Naturellement, entre les deux, nous avons beaucoup plus en commun avec l’Iran, ne serait-ce que parce que, malgré tous ses défauts, la république de Rohani consacre un musée à son passé préislamique, alors que la monarchie des Saoud s’emploie à anéantir méthodiquement même ses vestiges musulmans. Il y a une différence entre la civilisation et la barbarie, et une inflexion plus marquée en faveur de Téhéran serait la bienvenue, mais la volonté assumée de se détacher de la collusion malsaine entre Washington et Riyad est déjà très positive.

De même, l’importance accordée à la résolution de la crise libyenne, dans laquelle la France a hélas une grande part de responsabilité, et l’approche a priori pragmatique de la situation en Syrie et en Irak, avec une mention explicite du rôle positif de la Russie.

De même, aussi, le soutien à une solution à deux états pour Israël et la Palestine, solution qui n’est pas sans danger mais qui est sans doute à terme la seule viable.

De même, enfin, la conscience des enjeux de la crise climatique, la condamnation claire de la dictature de Maduro, et la volonté que l’Europe soit autre chose qu’un marché.

Et Macron nomma l’ennemi islamiste

Reste ce qui est sans doute l’essentiel, ce que le président lui-même estime être la priorité: « Assurer la sécurité de nos concitoyens fait de la lutte contre le terrorisme islamiste la première priorité de notre politique étrangère. Oui, je parle bien d’un terrorisme islamiste et j’assume parfaitement l’emploi de cet adjectif, car rien ne serait plus absurde que de nier le lien entre les actes terroristes que nous vivons et une lecture à la fois fondamentaliste et politique d’un certain islam. L’angélisme n’est pas de mise à cet égard. Pas d’avantage que ne l’est une peur de l’islam qui confond islamiste et islamique, et tend à embarquer dans le soupçon général les millions de musulmans qui vivent en Europe et n’ont aucun rapport avec ces doctrines fanatiques. Et je n’oublie pas ici les musulmans qui se dressent, parfois au péril de leur vie, contre cet obscurantisme assassin. »

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Après le déni fort justement souligné par Ingrid Riocreux, après les propositions du ministre de l’Intérieur dont Nicolas Dhuicq rappelait l’absurdité, après la démonstration d’ignorance crasse de Christophe Castaner qu’analysaient entre autres Benoît Rayski et Pascal Bruckner, entendre Emmanuel Macron parler de terrorisme islamiste est un soulagement. En un sens, c’est inquiétant, puisque cela montre à quel point la capacité de nos dirigeants à dire clairement le réel est loin d’être acquise ! C’est néanmoins un progrès.

Des islams

Bien sûr, je regrette le « certain islam ». Notre ennemi naît d’« une lecture à la fois fondamentaliste et politique » de l’islam, et même de toute lecture littérale du Coran. Mais ce qui a été dit est déjà bien.

Je suis, en revanche, nettement plus réservé sur la phrase suivante. Naturellement, il est absurde d’assimiler sans distinction l’islam-religion tel que défini par ses textes sacrés ; l’islam-religion tel qu’il est pratiqué (et dans cette acception du terme il y a évidemment des islams, multiples et très divers) ; l’Islam-civilisation (là encore, il y a des Islams) ; et les musulmans dans ce qui les rassemble mais aussi ce qui les distingue – en de nombreux groupes parfois antagonistes, comme entre individus dont chacun est par évidemment unique, y compris dans son rapport à sa religion, son adhésion à ses dogmes ou son esprit critique, et dont tous ne se définissent d’ailleurs pas avant tout comme musulmans.

Comment pourrait-on sérieusement confondre l’hypocrisie obscurantiste et les rêves totalitaires de Tariq Ramadan avec la sincérité et les élans lumineux d’Abdennour Bidar, ou l’ambition haineuse de Marwan Muhammad avec l’engagement lucide et courageux d’Amine El Khatmi ? Et on peut ajouter à ces nécessaires distinguos les personnes non-musulmanes bien que « de culture musulmane » par leurs origines, de Malek Boutih à Majid Oukacha.

Que de discours lénifiants…

Pour autant, la formulation choisie par notre président laisse entendre que l’islam politique serait très minoritaire au sein des populations musulmanes d’Europe, et je crains qu’il y ait là un déni de l’ampleur extraordinaire du défi auquel nous sommes tous confrontés. Le rapport de l’Institut Montaigne a montré qu’en France, en tout cas, ce sont les musulmans adhérant aux valeurs de la République qui seraient minoritaires. Le douloureux constat fait par Bernard Ravet, s’il ne doit pas se transformer en « soupçon général », devrait au minimum obliger l’État à une fermeté sans ambiguïté. De même, l’incohérence entre les discours lénifiants des représentants « officiels » de l’islam en France et la réalité vécue dans les pays musulmans impose d’exiger de rapides clarifications. Et puisque « l’islamisme est la maladie de l’islam, mais les germes sont dans les textes », la possibilité de critiquer ces textes et même l’encouragement à les critiquer ne peuvent pas être négociables – et tant pis si parfois cela choque, heurte ou vexe. Faute de quoi, la « première priorité de notre politique étrangère » risque bien de rester lettre morte.

…tenus par des hypocrites

Pour finir, je veux prendre Emmanuel Macron au mot. Monsieur le président, vous avez dit ne pas oublier « les musulmans qui se dressent, parfois au péril de leur vie, contre cet obscurantisme assassin. » Voilà de très belles paroles. Il est temps de les traduire en actes.

Monsieur le président, nous attendons de vous que vous vous détourniez très clairement des hypocrites de tous bords, du CFCM à la Mosquée de Paris. Nous attendons de vous que vous souteniez sans faillir Kamel Daoud contre les pseudo-intellectuels qui l’accusent, Amine El Khatmi contre vos anciens alliés politiques, Raïf Badawi contre la monstrueuse théocratie saoudienne, et les femmes d’Algérie ou d’Iran dont le désir de liberté et le simple courage sont l’espoir de l’islam. Chiche ?



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Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Dernière publicatrion : "Refuser l'arbitraire: Qu'avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ?" (FYP éditions, 2023)

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