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Une auberge espagnole verrouillée

Les dernières élections en Espagne n'ont pas dégagé de majorité permettant de gouverner


Une auberge espagnole verrouillée
L'actuel Premier ministre Pedro Sánchez et Alberto Núñez Feijóo, Madrid, 30 août 2023 © Juan Carlos Rojas/LaPresse/Shutt/SIPA

Faute de majorité absolue, aucun gouvernement n’a pu être composé en Espagne depuis les élections du mois de juillet. Un nouveau scrutin pourrait se tenir en janvier, et permettre à la coalition droite-extrême droite de prendre les rênes du pays.


C’était prévisible au soir des élections générales de juillet dernier, c’est dorénavant près d’arriver : de nouvelles élections vont être organisées en Espagne faute de majorité claire. En effet, la semaine dernière, les conservateurs ont échoué par deux fois à former un gouvernement, ce qui signifie vraisemblablement que le Parlement se dirige vers une dissolution. Ces nouvelles élections pourraient notamment déboucher sur une prise de pouvoir de la droite.

Sans majorité claire, la droite ne peut pas gouverner

Lors des élections du 23 juillet dernier, le Partido Popular (PP, centre-droit) d’Alberto Núñez Feijóo est arrivé en tête avec 137 députés. Ce bon score, qui n’offre pas cependant de majorité absolue, n’a pas permis la formation d’un nouveau gouvernement. Face à cette situation inconfortable, une alliance avec d’autres partis était donc nécessaire. Seulement, le parti d’extrême droite Vox, que beaucoup voyaient comme un allié possible de la droite, a enregistré de mauvais résultats, passant de 52 à 33 députés. Pas suffisant pour que l’alliance PP-Vox obtienne la majorité absolue.

Malgré cela, le roi Felipe VI a chargé Alberto Núñez Feijóo de former un gouvernement. Pour cela, il devait se présenter devant la Chambre Basse du Parlement pour se soumettre à un vote de confiance. Avant cela, Santiago Abascal, chef de file de Vox, avait annoncé qu’il soutiendrait le gouvernement présenté par le PP sans demander pour autant à y participer. Ce cadeau empoisonné a certes rapproché Feijóo de la majorité absolue, mais il a également rendu impossible tout rapprochement avec le PNV basque qui est viscéralement opposé à toute entente avec l’extrême droite. Ainsi, l’investiture de Feijóo a été rejetée par deux fois, le PP restant bloqué à 172 députés, insuffisant pour gouverner le pays.

C’est maintenant au tour de Pedro Sánchez de tenter sa chance

Après ces deux échecs consécutifs de la droite, il revient au socialiste Pedro Sánchez de tenter de former un nouveau gouvernement, mais ses chances de réussite sont extrêmement réduites. Alors que le parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) est arrivé en deuxième position lors des élections avec 121 députés, Pedro Sánchez peut également compter sur les 31 députés de la gauche radicale de Sumar ou les 6 députés des régionalistes basques de Bildu. Mais ce n’est pas suffisant, puisque le Premier ministre sortant a besoin du soutien des partis régionalistes catalans de l’ERC (gauche indépendantiste) et de Junts (centre droit indépendantiste à l’origine du référendum d’indépendance de 2017) et aussi, ce qui semble plus complexe, du soutien du PNV, plus proche du PP.

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Alors que cette investiture de Pedro Sanchez est peu probable, une nouvelle élection risque d’avoir lieu le 14 janvier prochain. En effet, depuis le premier vote d’investiture, un compte à rebours de deux mois a débuté : si aucun gouvernement ne peut être formé dans cette période, le roi devra alors dissoudre le Parlement et convoquer de nouvelles élections. Ainsi Sánchez doit-il se dépêcher pour séduire les différents régionalistes, alors que les Catalans demandent l’amnistie pour les personnes impliquées dans l’organisation du référendum d’indépendance jugé illégal, et la promesse d’organiser un nouveau référendum. Les basques du PNV ont bien voté contre le gouvernement Feijóo mais cela ne signifie pas qu’ils sont favorables à Sánchez, et sans leur accord il est impossible de voir le socialiste reconduit.

Vers de nouvelles élections aux résultats différents ?

Sauf coup de poker politicien, il semblerait que Sánchez ne soit pas en mesure de former un gouvernement car une majorité de la Chambre lui est hostile. Mais sa politique qui l’amène à se rapprocher des régionalistes et à leur faire des concessions pour tenter de rester en place va sûrement laisser des traces. Il semble donner plus d’importance à son avenir politique qu’à celui de l’unité de l’Espagne alors que le pays est encore traumatisé par les évènements de 2017. À ce moment, l’unité nationale était attaquée par les indépendantistes catalans. De nombreux Espagnols pensaient que ces problèmes étaient derrière eux et voient d’un mauvais œil les pourparlers entre socialistes et indépendantistes.

L’organisation de nouvelles élections pourrait être une bénédiction pour Vox. En effet, ce parti a émergé face aux velléités d’indépendance de la Catalogne, faisant campagne sur la défense de l’unité du pays et de ses valeurs traditionnelles qui étaient attaquées par les régionalistes. Toutefois, les indépendantistes catalans ont été moins présents sur la scène politique ces dernières années, ce qui a provoqué une baisse d’influence de Vox : c’était le seul thème sur lequel il était vraiment audible et cohérent. C’est pourquoi un possible retour en force des indépendantistes et l’hypothèse du désordre qu’ils apporteraient dans une coalition au pouvoir, pourrait conduire Vox à retrouver un espace politique.

Cet espace pourrait conduire à l’avènement d’un gouvernement de droite allié à l’extrême droite. Une tendance que l’on observe ailleurs sur la scène européenne, avec le retour en force de la droite de gouvernement et l’émergence d’une droite plus radicale.




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Pierre Clairé est spécialiste des questions européennes, diplômé du Collège d’Europe et Directeur adjoint des Études du Millénaire, think-tank gaulliste spécialisé en politiques publiques.

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