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Un peuple peut en cacher un autre

À Crépol, les deux peuples qui vivent côte à côte se sont retrouvés face-à-face


Un peuple peut en cacher un autre
Rencontre entre Emmanuel Macron et Yassine Belattar dans un bar des Mureaux (département des Yvelines), 7 mars 2017. © ERIC FEFERBERG/AFP

L’attaque de Crépol est la version rurale de l’offensive anti-occidentale menée ailleurs en France, en Europe, comme en Israël. Certains y voient une guerre de civilisations. Mais les civilisations n’ont pas de numéro de téléphone, ni d’armée. Quel que soit le nom qu’on lui donne, comme l’avait prédit Gérard Collomb un face-à-face s’esquisse entre les deux peuples qui coexistent sur notre sol.


On dira que ça n’a rien à voir. Qu’il faut avoir un esprit tordu (également dit d’extrême droite) pour tirer un trait entre le 7 octobre et le bal tragique de Crépol le 18 novembre. Comment peut-on comparer le pogrom antijuif commis par le Hamas au sud d’Israël et le meurtre d’un adolescent, poignardé un soir de fête au village ? Les deux événements sont assurément sans commune mesure. Mais peut-être pas sans rapport. Peut-être que le drame de Crépol fait partie de la version locale d’un affrontement plus large qui se joue sur plusieurs fronts –Proche-Orient, Europe, Amérique – et sous plusieurs formes – terrorisme, séparatisme, guerre.

Quant à savoir si le syntagme « guerre de (ou des ?) civilisations » est ou non une grille de lecture pertinente du monde, chacun se fera une idée en puisant dans les vastes réflexions d’Éric Zemmour et de Michel Onfray, largement convergentes sur ce point. Ce dernier observe ironiquement qu’on accuse généralement les tenants du diagnostic d’encourager la maladie, comme si le mot guerre avait le pouvoir maléfique de créer la chose.

Quelles que soient ses vertus descriptives, le concept n’est guère opératoire, pour la bonne raison que les civilisations n’ont pas de numéro de téléphone. Elles n’ont pas d’armée ni de police, elles n’ont pas de lois écrites ni de frontières. Et pour finir, elles n’ont pas de chef suprême ni de Politburo. Aussi discréditées et empêchées soient-elles, les nations ont encore les premiers rôles dans l’histoire. Quand elles s’allient comme elles l’ont fait contre l’État islamique, les nobles combats pour les valeurs et les libertés se conjuguent toujours à des intérêts stratégiques plus ou moins compris – les Occidentaux étant passés maîtres ces dernières décennies dans l’art de se tirer des balles dans le pied. Si les Américains aident Israël, ce n’est pas par amour des juifs (heureusement, parce que l’ambiance sur les campus outre-Atlantique suggère qu’il n’est pas très tendance). Il se peut que des nations culturellement proches aient plus de facilité à coopérer. Elles en ont tout autant à se faire la guerre.

Anti-Juifs, anti-Blancs…

Nonobstant ces réjouissantes querelles conceptuelles, la France des bistrots ne s’empaille pas pour savoir si Huntington a gagné contre Fukuyama. Mais elle sait que trois points, ça fait une ligne. Elle n’a pas besoin de lire les maîtres-penseurs du djihad pour comprendre qu’à Gaza et Arras, Malmö et Bruxelles, Marseille et Magnanville, c’est la même idéologie qui tue ou terrorise, le même vent mauvais qui souffle, diffusé par les prédicateurs numériques qui sont autant de sergents-recruteurs, la même volonté de tuer des juifs et des kouffars, tout en s’arrogeant le contrôle de la communauté. À Paris, l’islamo-gauche, rassemblée autour du drapeau palestinien, refuse de soutenir les femmes juives violées et torturées le 7 octobre. Juives, donc coupables. À Londres, on ne se cache plus pour crier « Free Palestine, from the river to the sea », ce qui en bon français veut dire « Mort aux juifs ! », comme vous l’apprendrez en répondant au test de Céline Pina qui vous dira, parce qu’il faut bien rire, quel antisémite vous êtes.

Il est vrai que les racailles de Crépol n’ont pas tué au nom de l’islam, n’ont pas crié Allahu Akbar !, elles ont simplement sorti des couteaux pour saigner du céfran. Peut-être ne sont-ils pas islamistes, ces « offensés », ainsi que les a qualifiés sans rire Patrick Cohen, payé par nos soins pour propager la bonne parole diversitaire. Juste racistes, haineux et d’une pauvreté culturelle confondante. Même Le Monde, tout en dénonçant « l’indécente exploitation de la colère », évoque « l’existence de préjugés raciaux dans tous les milieux », reconnaissant ainsi à mots couverts la réalité du racisme anti-Blancs.

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Le plus désespérant, c’est que les vieilles nations européennes, et singulièrement la France, ont construit leur malheur en accueillant massivement une immigration musulmane qu’elles étaient bien incapables d’intégrer et à laquelle, au fil des ans, on a cessé de demander le moindre effort d’acculturation. De sorte qu’un deuxième peuple a émergé sur notre sol. Ce peuple islamo-gauchiste agrège deux populations qui partagent la même détestation de la culture française : d’une part, les musulmans identitaires et les immigrés nourris au ressentiment, de l’autre, une partie notable de la jeunesse étudiante, des élites universitaires et des people. Pour la néo-gauche wokiste et racialiste, les musulmans sont le nouveau prolétariat et la jeunesse islamo-délinquante des quartiers, son avant-garde – qu’on a du mal à dire éclairée. Aussi cette gauche s’emploie-t-elle depuis des années à leur farcir le cerveau avec un discours victimaire grossier, mais efficace. Le sociologue Charles Rojzman décrit sans fard la bouillie qui tient lieu de pensée à une partie notable de la jeunesse immigrée. « Les Français sont racistes et islamophobes, les juifs sont riches, et soutiennent l’entité sioniste génocidaire. Les kouffars ne respectent pas l’islam. Nous, musulmans, sommes discriminés pour les logements et les emplois, harcelés par la police qui nous chasse au faciès, parqués dans des cités pourries. La police tue nos jeunes, toujours impunément. La justice les enferme dans des prisons et des centres éducatifs fermés. Nos filles et nos femmes n’ont pas le droit de s’habiller comme elles le souhaitent dans un pays qui se prétend libre. On nous demande de nous assimiler, de changer nos prénoms comme l’exige le nazi Zemmour alors que nous sommes intégrés, français. D’ailleurs, ce sont les racistes qui devraient quitter ce pays et tous ceux qui ne comprennent que ce pays est désormais le nôtre et que nous pouvons y vivre à notre guise[1] ! »  Il précise que cette rhétorique n’est pas l’apanage des enfants des cités : « Elle existe aussi, on l’oublie trop souvent, chez de nombreux musulmans “intégrés”, chercheurs, professeurs, médecins qui diffusent cette vision d’une société qui ne veut pas de l’islam et qui jalousent les juifs et leur réussite. »

Nos dirigeants savaient. François Hollande redoutait en secret le risque de partition, tout en proclamant publiquement que tout allait très bien, madame la marquise. Emmanuel Macron a promis de combattre le séparatisme avant de décider qu’il y avait de plus grandes causes allant de la gratuité des préservatifs à l’instauration de congés menstruels (qu’on me pardonne ma légère mauvaise foi).

« Eux ou nous »

J’ignore si c’est une mauvaise blague ou un hommage posthume du destin : le jour de la mort de Gérard Collomb, sa prophétie devenait réalité – une première fois à Crépol, une deuxième à Romans-sur-Isère. À Crépol, les deux peuples qui vivent côte à côte se sont retrouvés face-à-face, une autre manière de dire que peu à peu, « eux et nous » menace de dégénérer en « eux ou nous ». C’est ce que commencent à croire de nombreux Français qui pensaient avoir trouvé la paix loin des violences et des fracas des métropoles – encore que la présence de quatre vigiles pour un bal villageois prouve que cette paix était très relative.

Alors que la cocotte-minute française semble prête à exploser à la première alerte, la répugnance d’Emmanuel Macron à prendre position est pour le moins surprenante. On peut comprendre que le président ne se soit pas rendu à la marche du 12 novembre. Ce qui inquiète, ce sont les raisons qu’il a invoquées, après avoir semble-t-il consulté, par le truchement de deux de ses conseillers, Yacine Belattar, humoriste tendance islamo-racaille – condamné pour menaces de mort. Louis XIV avait Mazarin, de Gaulle, Malraux, Mitterrand, Attali. Emmanuel Macron a Belattar. Le niveau monte.

La Macronie s’est récriée, expliquant qu’il fallait ne rien connaître au pouvoir pour imaginer que les décisions de notre immense président puissent être dictées par un tel personnage. Il semble en effet que Macron ait aussi été influencé par sa visite à Boulazac, en Dordogne, où on ne lui a pas parlé d‘antisémitisme, ni du 7 octobre, mais de pouvoir d’achat et de retraite. C’est la méthode des capteurs censés permettre à l’exécutif d’ausculter les tréfonds du peuple. Belattar pour prendre le pouls des quartiers, un village de Dordogne pour sonder l’humeur du pays profond et le tour est joué.

Intervention des CRS au cours de la tentative d’expédition punitive menée par des activistes d’ultra-droite dans le quartier de la Monnaie, à Romans-sur-Isère, 25 novembre 2023. © D.R

En attendant, le président et le voyou s’accordent pour estimer qu’en marchant contre l’antisémitisme, Emmanuel Macron aurait porté atteinte à l’unité du pays. Si on en croit le bla-bla sur les valeurs de la République, l’antisémitisme devrait justement nous rassembler. Mais non, il parait que ça offense certains musulmans qui hurlent au détournement de compassion publique, parce que les vraies victimes, c’est eux. Et ça, ça n’offense personne. « Protéger les Français de confession juive, ce n’est pas mettre au pilori les Français de confession musulmane », a tranquillement déclaré le chef de l’État. Belattar en a rajouté. « Attention, a-t-il dit en substance, à ne pas commettre l’erreur irréparable qui donnera aux quartiers des raisons de s’enflammer. » Autrement dit, si le président avait marché contre l’antisémitisme, les quartiers auraient pu s’enflammer. L’aveu se passe de commentaire. Comme l’a résumé Ranson dans un dessin féroce publié par Le Parisien, Macron n’oublie pas qu’il est aussi le président des antisémites.

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Ce n’est pas la première fois que le pouvoir semble faire allégeance aux voyous et/ou aux musulmans identitaires, et qu’il méprise la peur et la colère de la France bien élevée, dont nombre de macronistes, à l’instar d’Olivier Véran, répètent du matin au soir qu’elle est rance. Rappelons la complaisance dont a bénéficié le comité Mensonge pour Adama ou la minute de silence observée à l’Assemblée nationale le lendemain de la mort de Nahel, tué par un policier après un refus d’obtempérer. Ou Gérald Darmanin insistant lourdement sur la présence, parmi les émeutiers, de Kévin et Matteo (nouveaux prénoms typiquement français). On a donc moult raisons de soupçonner qu’entre les deux peuples qui coexistent en France, Emmanuel Macron a choisi le dernier arrivé. Cela s’explique peut-être en partie par sa dilection pour les bad boys – illustrée par sa proximité avec Benalla ou sa photo à Saint-Martin avec un jeune torse nu qui fait un doigt d’honneur. Ou peut-être est-il réellement convaincu que « la culture française n’existe pas »[2] et que l’avenir de la France se joue en Seine-Saint-Denis, notre « Californie sans la mer »[3].

Cependant, s’il marche sur des œufs, s’il flatte la fibre victimaire des voyous en reconnaissant, comme ils l’exigeaient, l’existence de violences policières, s’il prend toujours soin de dénoncer des amalgames que personne ne fait avant de condamner la violence que tout le monde voit, c’est d’abord parce qu’il a peur : le chantage à l’émeute, ça marche. Il ne faut pas énerver les quartiers. Aussi, dans les territoires perdus comme dans les petites villes dont les noms étaient autrefois synonymes de douceur de vivre, la loi du plus fort a déjà remplacé celle de la République.

Dans ce climat, il faut rendre hommage à la France paisible, qui comprend d’ailleurs nombre de descendants d’immigrés. Elle tient et elle se tient. Malgré son désespoir de ne plus se sentir chez elle, elle ne cède pas aux sirènes des ultra-droitards qui opposent à l’islamo-gauchisme une conception tout aussi racialiste de la nation. Ciblés comme « blancs », les Français refusent, dans leur écrasante majorité, de se définir comme tels. Ils ne croient pas à ces sauveurs autoproclamés qui braillent dans des tenues ridicules inspirées par les nazis ou les chevaliers Teutoniques, et rêvent de « casser du bougnoule ». Ils voudraient simplement que la France reste la France, un pays où on peut saucissonner, se moquer de tous les prophètes, un pays où les femmes peuvent aller court vêtues. Beaucoup se disent que, pour compter, il faut casser. S’ils se sentent vraiment lâchés par ceux à qui ils ont confié leur destin collectif, ils pourraient en perdre leurs bonnes manières.


[1]. Charles Rozjman, « Racailles de cité : et c’est ainsi que naissent les monstres », causeur.fr, 27 novembre2023.

[2] Déclaration du 5 février 2017.

[3] Déclaration du 26 mai 2021

Décembre 2023 – Causeur #118

Retrouvez cet article dans le Magazine Causeur N°118 de Décembre 2023

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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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