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Pourquoi l’élection de Taïwan n’est pas forcément une défaite pour Pékin

L'analyse géopolitique des élections du weekend à Taiwan, par William Thay et Pierre Clairé


Pourquoi l’élection de Taïwan n’est pas forcément une défaite pour Pékin
Lai Ching-te, aussi appelé William Lai, le soir de son élection, Taipei, Taiwan, 13 janvier 2024 © Louise Delmotte/AP/SIPA

Sur l’île de Formose, que la Chine rêve de remettre sous sa férule, le libéral William Lai a été élu hier avec 40% des voix. Il nous est présenté comme le candidat démocrate dont ne voulait par Pékin. Mais, lors de ses vœux, le président chinois Xi Jinping annonçait qu’une réunification était selon lui inévitable, et cette élection pourrait ne pas être une si mauvaise nouvelle pour lui… Analyse.


La première réaction de beaucoup d’observateurs plus ou moins aguerris au soir de l’élection présidentielle à Taïwan fut de comparer la victoire du libéral William Lai à une douche froide pour Pékin. Pour autant, même si l’élection du candidat le plus opposé à la discussion avec le continent ne ravit pas la Chine populaire, les choses ne sont pas aussi simples qu’elles ne paraissent. La victoire à la Pyrrhus de Lai ne conduira pas le Parti Communiste chinois à la réaction attendue.

L’élection mitigée de William Lai

Pour la première fois de l’histoire démocratique de Taïwan et la fin de la loi martiale le 15 juillet 1987, un parti a réussi à remporter l’élection présidentielle trois fois d’affilée. William Lai, du DPP (Parti Démocratique Progressiste), a été élu président de l’île et prendra ses fonctions le 20 mai prochain. Il est issu d’un parti qui est historiquement hostile à Pékin et à tout rapprochement avec le continent. Sous Tsai Ing-wen, l’actuelle présidente, les tensions entre les deux Chines ont connu un sommet jamais atteint depuis près de trois décennies. Lai a amélioré sa popularité en étant la cible privilégiée des fakes-news lancées par Pékin et sa campagne d’influence. La Chine continentale a perdu son pari et a vu le candidat qui lui est le moins favorable être élu. Cela pourrait inciter les dirigeants communistes à intensifier la pression sur l’île, mettant un terme à leurs espoirs de réunification pacifique.

En parallèle, les élections législatives se tenaient le même jour sur l’île ; elles ont débouché sur un échec du président élu. Ce dernier n’est pas parvenu à sécuriser une majorité absolue au Yuan Législatif, lui laissant un goût d’inachevé. Depuis les premières élections présidentielles ouvertes en 1996, nous avions l’habitude de voir le président élu bénéficier d’une majorité à la chambre, lui permettant de mettre en application son programme. William Lai est donc un président mal élu, n’ayant recueilli que 40% des voix populaires et ne disposant que d’une majorité relative à la chambre. Cette demi-victoire va considérablement mettre un frein à la présidence Lai, qui démarre donc mal et présage une crise politique d’envergure.

Le nouveau président doit composer avec un parlement hostile

Les élections du 13 janvier à Taïwan ont délivré deux enseignements majeurs : les forces favorables à la Chine n’ont pas perdu de terrain, car elles représentent plus de la moitié de l’électorat et disposent de la majorité au parlement ; ces élections ont vu l’émergence d’une troisième force politique, le TPP de Ko Wen-je qui apparaît déjà comme le faiseur de roi.

William Lai va devoir composer avec une chambre législative hostile. En effet, les deux partis d’oppositions, le Kuomintang et le TPP sont favorables à un rapprochement avec la Chine. Si William Kai ne veut pas se retrouver avec un pays ingouvernable, il devra faire des concessions et éviter de s’attaquer frontalement au continent. Ainsi, Lai ne pourra pas imposer les politiques sécuritaire et extérieure qu’il avait défendues durant la campagne. Ce changement radical a déjà pu être observé dans ses premières déclarations de président nouvellement élu, qui n’exclut plus le dialogue mais veut se montrer pragmatique et modéré. Ce revirement devrait plaire à Pékin, qui s’évite un régime hostile sur l’île qu’elle revendique.

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Dans sa quête de trouver un allié parlementaire, William Lai semble vouloir se tourner vers le TPP et son dirigeant Ko Wen-je. Le président fraîchement élu ne pourra pas s’allier avec le Kuomintang pour des raisons historiques, en revanche des points communs existent avec le TPP. Ko Wen-je, bien que partisan d’un rapprochement économique avec la Chine, veut accentuer les efforts sécuritaires et renforcer les capacités de défense de l’île. Cependant, cette alliance peut se montrer nocive pour le président élu. Ko, s’étant distingué par un discours aux accents populistes, n’a pas hésité à critiquer le système en place et le DPP. Cet antisystème séduit dans une population critique face à la classe politique traditionnelle, ce qui fait du TPP le seul parti qui a amélioré son score par rapport à l’élection de 2020.

Pékin garde les deux options sur la table : militaire ou pacifique

L’éventualité d’une 4ème crise du détroit de Taïwan s’est considérablement réduite avec le résultat des élections. L’élection de William Lai, qui doit s’accommoder d’une majorité relative au parlement, rebat véritablement les cartes. Ainsi, le régime communiste ne peut plus totalement exclure qu’une réunification progressive et pacifique soit possible. Les résultats des dernières élections ne peuvent être interprétés comme une défaite intégrale de la Chine, car elles maintiennent la possibilité d’une réunification pacifique. Cette option était mise à mal durant la présidence de Tsai, et on observait un éloignement de plus en plus important de l’île du continent.

La présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, Nancy Pelosi, en compagnie de la présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen, dans le bureau présidentiel à Taipei, le 3 août 2022 © TAIWAN PRESIDENTIAL OFFICE/AP/SIPA

Cela ne veut pas dire pour autant que Xi Jinping va exclure l’option militaire, alors qu’il a rappelé lors de ses vœux, que la réunification était inévitable. Ainsi, la Chine va évidemment continuer à investir pour moderniser et préparer son armée afin qu’elle soit prête pour une invasion militaire d’ici 2027… Il s’agit d’une année symbolique pour le président chinois, car elle marquera le 100ème anniversaire de la fondation de l’Armée Populaire de Libération, mais surtout, elle coïncidera avec la fin de son troisième mandat à la tête du parti communiste. Il voudra certainement se présenter au Congrès du PCC fort d’une réussite majeure, notamment avec l’idée d’une réunification avec Taiwan – qu’importe la manière. Les élections à Taïwan ouvrent une fenêtre de tir pour le régime communiste chinois qui doit arbitrer la meilleure manière d’opérer une réunification avec l’île. Les résultats initialement apparus comme hostiles, doivent être analysés avec plus de profondeur. Ainsi, ils peuvent laisser place à un rapprochement ou à une réunification pacifique selon l’attitude adoptée par le président chinois, qui reste le maitre des horloges sur cette question essentielle.


William Thay, président du Millénaire, think-tank indépendant spécialisé en politiques publiques

Pierre Clairé, Directeur adjoint des Études et spécialiste des questions internationales et européennes.



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Politologue et fondateur du Milllénaire, think-tank gaulliste spécialisé en politiques publiques

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