Accueil Monde « Pour Arafat, Oslo n’était qu’une étape avant la conquête de toute la Palestine »

« Pour Arafat, Oslo n’était qu’une étape avant la conquête de toute la Palestine »

Entretien avec Stéphane Amar, auteur du "Grand secret d'Israël"


« Pour Arafat, Oslo n’était qu’une étape avant la conquête de toute la Palestine »
Yitzakh Rabin, Yasser Arafat et Bil Clinton, lors de la signature des accords d'Oslo à Wahsington, 13 septembre 1993. ©J. David Ake

Auteur du Grand secret d’Israël: Pourquoi il n’y aura pas d’Etat palestinien, le journaliste Stéphane Amar voit dans le processus de paix un jeu de dupes. Prenant acte de l’échec d’Oslo et de l’intégration des Arabes en Israël, il préconise la création d’un seul Etat, du Jourdain à la Méditerranée. 


Causeur. Nous sommes à quelques jours du 25e anniversaire des accords d’Oslo (13 septembre 1993). Côté israélien comme côté palestinien, le processus de paix est perçu soit comme un échec (pour ses détracteurs), soit comme une grosse déception (pour ses partisans). Votre livre, Le Grand Secret d’Israël : pourquoi il n’y aura pas d’État palestinien, retrace l’histoire de ce fiasco. Du point de vue israélien, pourquoi la logique d’Oslo était-elle vouée à l’échec ?

Stéphane Amar. Tout simplement parce qu’Israël n’a jamais réellement voulu renoncer aux acquis essentiels de la guerre des Six-Jours, à commencer par la vieille ville de Jérusalem. Il faut rappeler que le mur des Lamentations est juridiquement en territoire occupé et que la plupart des Israéliens ne veulent pas y renoncer. Dans l’opinion israélienne, la volonté de conserver la possession de la vallée du Jourdain, de certaines zones de la Cisjordanie, des nappes phréatiques ainsi que des grosses colonies autour de Jérusalem est l’objet d’un large consensus, y compris à gauche. Or, en signant les accords d’Oslo, les Israéliens partaient du présupposé que les Palestiniens allaient accepter ces exigences. Ils se sont lourdement trompés.

Il y a eu plusieurs tentatives pour sortir le processus de paix de l’impasse. Certains ont proposé d’échanger les blocs d’implantations juives rattachés à Israël en échange de territoires de la même surface accordés aux Palestiniens. Est-ce une option viable ?

Non, car les Palestiniens n’ont jamais accepté le principe des blocs et encore moins la perspective d’échanger des bouts de désert du Néguev ou le long de la bande de Gaza contre des régions urbanisées autour de Jérusalem. Les diplomates sacralisent la ligne verte au pourcentage près, alors qu’il s’agit d’une démarcation complètement fictive qui ne correspond ni à l’histoire, ni à la géographie, ni au ressenti des peuples. En 1949, c’est une simple ligne d’armistice. La partie arabe avait alors bien insisté sur le fait qu’elle ne devait jamais constituer une frontière. In fine, quand on arrive aux points de partage les plus sensibles comme Jérusalem, on voit bien que cette ligne n’a aucune pertinence.

La ligne verte a au moins le mérite d’être un point de repère. À partir de 1967, c’est devenu une référence pour la communauté internationale. Elle semble être une frontière légitime, à défaut d’être naturelle.

C’est vrai, mais le grand paradoxe de ce conflit, c’est que le plus important pour chaque peuple se situe de l’autre côté de la ligne. Pour les Palestiniens, Lod, à côté de l’aéroport de Tel-Aviv, ou Jaffa, dans la banlieue de Tel-Aviv, sont des marqueurs identitaires plus importants que Ramallah. La plaine côtière et la Galilée, l’Israël reconnu internationalement, étaient le cœur de la Palestine d’avant 1948. Inversement, la colonne vertébrale de la nation juive (Hébron, Jérusalem, Naplouse) se situe de l’autre côté de la ligne verte.

Pourtant, entre 1949 et 1967, les Israéliens semblaient se contenter des territoires obtenus à l’issue des guerres, sans le Golan ou Jérusalem-Est, ni la Cisjordanie et Gaza.

Pragmatiquement, ils ont accepté ces réalités – avaient-ils le choix ? –, mais n’oublions pas les efforts considérables qu’Israël a déployés en 1948-1949 pour tenir au moins une partie de Jérusalem. Contrairement à une idée reçue, Ben Gourion était profondément imprégné de culture biblique. Il disait toujours : « Sans Jérusalem nous n’avons aucune légitimité. C’est une priorité de conquérir Jérusalem. » Pendant la guerre de 1948, il a dégarni d’autres fronts afin de briser le blocus de Jérusalem et d’occuper la ville juive. Vingt ans plus tard, la guerre de 1967 a été vécue comme une guerre de libération puisqu’elle a permis aux Israéliens de renouer avec leurs racines. Ceux qui allaient s’installer en Cisjordanie à partir de 1968 étaient certes très minoritaires, mais ils étaient portés par un sentiment largement partagé qui explique la réussite de leur entreprise. Non seulement le nombre d’Israéliens vivant en Cisjordanie a augmenté de façon exponentielle, mais d’après les sondages, de plus en plus de leurs concitoyens sont attachés à cette partie historique d’Israël.

Était-ce dans l’ADN du projet sioniste d’aboutir à ce résultat ?

L’ADN du projet sioniste a fait l’objet de thèses et de livres entiers, donc d’intenses controverses. Chez Herzl, la centralité de Jérusalem est évidente. Dans son roman d’anticipation Altneuland, il imagine une ville où le monde entier viendrait se rencontrer, faire la paix et élaborer des projets. Pour cet homme mort cinq ans avant la création de Tel-Aviv, l’État juif était davantage Jérusalem, Hébron ou Naplouse que sur la plaine littorale. Il n’y a rien d’absurde à ce que les Juifs souhaitent vivre à Jérusalem, à Hébron, dans une patrie qui a finalement toujours été la leur.

Chez les Palestiniens, il y a une sorte d’image miroir : l’OLP parle officiellement d’un État palestinien à l’est de la ligne verte, mais veut en fait beaucoup plus…

Oui, c’est une vaste hypocrisie. Les médias occidentaux n’ont pas voulu l’entendre, mais Yasser Arafat avait bien dit qu’Oslo n’était qu’une première étape avant la conquête de toute la Palestine, du Jourdain jusqu’à la mer.

Acculé par ses erreurs – le soutien à Saddam Hussein en 1990-1991 – et le contexte international – la chute de l’URSS –, Arafat a décidé de prendre ce qu’on lui donnait. Quand ses conseillers lui objectaient que ces accords étaient inacceptables pour les Palestiniens, il leur répondait en substance : « Oui, je sais, mais ce sera un moyen de revenir nous installer en Cisjordanie et à Gaza, d’obtenir un statut, des armes. Le moment venu, on lancera l’attaque pour nous emparer de toute la Palestine. » C’est exactement ce qui s’est passé en 2000. Prenant le prétexte de la visite de Sharon sur l’esplanade des Mosquées, Arafat a lancé une Intifada préparée de longue date.

Yitzhak Rabin et Shimon Peres, qui ont négocié les accords d’Oslo au nom d’Israël, étaient-ils conscients de cette duplicité ?

J’ai posé la question à Yossi Beilin, le bras droit de Peres et l’homme-clé des négociations avec les Palestiniens. Il m’a répondu que, pour eux, le double discours d’Arafat était une manière de faire avaler la pilule aux Palestiniens. Il y a eu un excès d’optimisme, voire un véritable aveuglement. Et cette illusion a continué jusqu’à ce que Sharon arrive au pouvoir en 2001, en plein milieu de la deuxième Intifada. Il y a sans doute eu des gens sincères des deux côtés souhaitant vraiment arriver à une issue pacifique, mais ils ne faisaient pas le poids. Dans ce grand jeu de dupes, chacun pensait qu’il allait réussir à imposer à l’autre ses conditions. Personnellement, je crois qu’il n’existe aucune frontière possible puisque chacune des deux parties veut tout.

Mais tout n’a pas échoué : la coopération sécuritaire israélo-palestinienne fonctionne.

C’est en effet la seule chose qui marche très bien, surtout depuis la mort d’Arafat. Cependant, ce fait même accrédite la thèse selon laquelle Israël utilise les accords d’Oslo pour perpétuer l’occupation par d’autres moyens. Ainsi, les Israéliens se déchargent du fardeau de la gestion des populations civiles tout en gardant la main sur la sécurité.

Quel est l’intérêt palestinien là-dedans ?

Il y a une industrie du processus de paix. Dans son livre Ramallah Dream, Benjamin Barthe montre que l’Autorité palestinienne et toute une constellation d’ONG vivent de l’aide internationale – qu’elle soit européenne ou américaine. Personne n’a envie de tuer la poule aux œufs d’or qui entretient des milliers de fonctionnaires palestiniens et garantit une forme de stabilité. Tout le monde fait donc semblant de continuer à croire en une négociation.

Ce troc – une certaine autonomie pour la Cisjordanie contre un contrôle israélien sur presque tous les territoires hormis Gaza – peut-il se poursuivre encore des décennies ?

Le fait est qu’il dure depuis maintenant cinquante et un ans. Mais quand je vois des foules de Palestiniens, parfois 2 000 ou 3 000, qui attendent depuis quatre heures du matin devant un barrage pour passer en Israël, je me pose des questions. La méthode de la séparation ethnique, qui était l’esprit des accords d’Oslo avec les Palestiniens d’un côté et les Juifs de l’autre, n’a pas marché. Cela a même abouti à un bain de sang et toutes les tentatives de parrainage extérieur ont échoué.

Une amélioration de la situation économique pourrait-elle diminuer les tensions et déclencher une dynamique politique positive ?

Sur le plan économique, il y a déjà des choses qui fonctionnent. D’abord, ces quelques dizaines de milliers d’employés palestiniens de Cisjordanie qui vont chaque jour travailler en Israël, notamment dans le bâtiment, constituent une source de revenus essentielle pour les territoires. Israël sous-traite aussi aux Palestiniens : meubles, textile et désormais certains services informatiques. Mais ces signes positifs ne forment pas encore une masse critique. Les contraintes sécuritaires et la pression du mouvement BDS sur les zones industrielles dans les implantations – qui sont de grands pourvoyeurs d’emplois pour les Palestiniens – gênent toutefois cette dynamique.

Face à cet empilement d’impossibilités, constatant l’échec du processus de paix, vous préconisez la recherche d’une solution alternative sans séparation entre les deux peuples. N’est-ce pas utopique ?

La clé est démographique. D’une certaine manière, il existe déjà un État binational : Israël, dans ses frontières de 1967, un État dans lequel cohabitent dans une relative harmonie des citoyens juifs et des citoyens arabes – chrétiens ou musulmans. La question est donc à partir de quelle quantité une minorité devient-elle dangereuse pour Israël ? Il y a 20 % d’Arabes en Israël. Est-ce qu’atteindre 25 % serait plus dangereux ? Aller jusqu’à 30 % est-il impossible ? À partir de quel seuil le caractère juif de l’État juif peut-il être menacé ? Et puis il y a la question de la qualité : que voudront ces Arabes-là ? Renverser l’État d’Israël ? Changer le caractère juif d’Israël ? Ou s’y intégrer pacifiquement comme le fait déjà l’écrasante majorité des Arabes israéliens ? De mon point de vue, ce qui semble marcher avec les Arabes de 1948 pourrait marcher avec ceux de 1967.

À cet égard, la nouvelle Loi fondamentale israélienne, qui accorde un statut subalterne à la langue arabe et porte en germe le risque de discrimination des citoyens arabes de l’État juif, menace-t-elle la cohabitation pacifique entre Israéliens ?

Je ne crois pas. Cette loi a surtout une portée symbolique et n’aura guère de conséquences au quotidien. À mes yeux, l’essentiel est ailleurs, dans une réalité qui incite plutôt à l’optimisme. Bien sûr, des discriminations existent, mais, globalement, les citoyens arabes s’intègrent de mieux en mieux dans la société israélienne. On ne compte plus les grands médecins, les professeurs d’université, les commissaires de police, les magistrats et même les diplomates issus du secteur arabe. Et la fameuse start-up nation n’est pas en reste : le numéro deux d’Apple est un Arabe chrétien né à Haïfa et diplômé du prestigieux Technion. Quant aux violences intercommunautaires, elles sont statistiquement insignifiantes. Aucune loi ne pourra remettre en cause l’intégration réussie des Arabes.

Inversement, imaginez-vous l’intégration de Juifs israéliens en Cisjordanie ?

Je m’interroge sur l’incapacité à envisager une minorité juive en Cisjordanie sous souveraineté palestinienne. Mahmoud Abbas a annoncé souhaiter un État palestinien totalement vide de Juifs. Bien que cela n’ait jamais choqué la communauté internationale, c’est une vision profondément xénophobe ! Un Juif pourrait vivre à Téhéran et pas à Hébron ? C’est absurde.

Je suis persuadé que si on offrait à tous un statut digne de ce nom, le droit de vote, un seul État entre le Jourdain et la mer pourrait très bien fonctionner.

On ne peut pas terminer cet entretien sans dire un mot de Gaza. Dans cette équation déjà très compliquée, que faire de l’enclave palestinienne aux mains du Hamas ?

Le schisme avec l’Autorité palestinienne est si profond depuis juin 2007 que la bande de Gaza est en train de devenir, de facto, indépendante. Israël négocie (par l’intermédiaire de l’Égypte et de l’ONU) un statut de plus grande autonomie, voire la levée du blocus. Le gouvernement Netanyahou envisage de construire un port pour Gaza sur une île artificielle ou à Chypre. Israël n’a aucun intérêt stratégique ou identitaire à Gaza. Sans préjuger du modèle institutionnel qui prévaudra, j’entrevois deux dynamiques parallèles : un État palestinien à Gaza et l’annexion progressive de la Cisjordanie par Israël.

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Septembre 2018 - Causeur #60

Article extrait du Magazine Causeur



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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