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Enfin une femme à l’Académie française !


Enfin une femme à l’Académie française !

A Paris, quand une femme atteint l’âge malheureux qui invite au respect plus qu’il ne pousse au crime, s’offre à elle une alternative pour occuper ses jeudis après-midi : aller à la Coupole ou sous la Coupole. La vie, vraiment, tient à peu de choses. Une simple erreur de préposition et vous vous retrouvez à devoir supporter la compagnie des taxi boys plutôt qu’à endurer la conversation de leurs grands-pères. C’est le grand malheur qui vient de frapper Simone Veil : les chemins qui mènent boulevard Montparnasse lui sont désormais fermés, elle vient d’être élue à l’Académie française.

Hier, c’était jour de fête chez les trente-neuf autres gérontes et gérontesses du quai Conti. On s’est congratulé à s’en faire péter le sonotone, on a débouché une roteuse pour faire chabrot au champagne, il s’en est fallu de peu pour qu’Erik Orsenna entonnât le grand air de La fille de Madame Angot. Giscard avait déjà déballé l’accordéon. L’ambiance y était. La plus contente était de loin Jacqueline de Romilly, qui escompte bien recevoir de l’impétrante quelques tuyaux – et peut-être des rabais – sur l’IVG. Il n’y a pas d’âge pour la gaudriole. Vert, toujours vert.

Tandis que René Girard dissertait sur La Pesanteur et la Grâce – le chef d’œuvre de Simone[1. L’auteur consacre la majeure partie de cet ouvrage à établir la différence sémiologique entre le V et le W.] –, il se trouvait l’un ou l’autre râleur pour marmonner : « Encore une femme… On avait déjà Yourcenar, ça ne leur suffisait pas ? » Plus mesurée encore, Hélène Carrère d’Encausse faisait part à Angelo Rinaldi des craintes qu’elle éprouvait : le job de première secrétaire a beau être à perpétuité, on ne se méfie jamais assez des nouvelles. Rinaldi a maugréé. Quant à Jean Dutourd, qui ne boudait ni son plaisir ni sa satisfaction, il a demandé de quel fauteuil Momone avait hérité et si l’on trouvait encore à Paris des coussins péteurs assez corrects.

Que de quolibets ! A même pas cent ans, Simone Veil a l’âge de rejoindre les Immortels – une ancienne tradition recommande de les choisir suffisamment vieux pour que la promesse d’immortalité ne dure pas trop longtemps. Elle en a aussi toutes les qualités. Il se raconte même que son élection n’est pas le fruit du hasard : jamais on n’aura vu lexicographe plus achevé que l’ancienne présidente du Parlement européen. Il suffit de lui susurrer à l’oreille le nom de François Bayrou pour l’entendre labourer un champ lexical de long en large : « Mauvais, intrigant, opportuniste, ambitieux, arriviste, prétentieux, carriériste, menteur, trompeur, hâbleur, esbroufeur, bluffeur, poseur, traître, factieux, séditieux, apostat, infidèle, félon, fourbe, déloyal, parjure, lâcheur, renégat… »

Mais la compétence lexicographique n’est pas la seule qualité de Simone Veil. Elle n’a pas son pareil en versification française et, depuis la mort de Racine, on ne lui trouve aucun rival sérieux sur la place de Paris. Il suffit de lui demander ce qu’elle pense du président du Modem pour qu’elle octosyllabise sur-le-champ :
« Ah ! c’est un traître sûrement,
Mais aussi un illuminé… »

Et puis, on ne le dira jamais assez : Simone Veil, c’est aussi une œuvre littéraire colossale. Elle est l’auteur de deux ou trois livres qui rempliraient à eux seuls la bibliothèque de Nicolas Sarkozy s’il avait songé à les acheter. On n’hésitera pas à se procurer sa remarquable autobiographie, parue sous le nom assez surprenant de : Une vie. Le lecteur en consultera notamment la traduction anglaise qui seule sait parfaitement rendre le style inimitable de la nouvelle académicienne : « François Bayrou is an asshole. »

Et modeste, avec cela ! A peine était-elle élue hier à l’Académie française qu’elle répondait à un journaliste qui lui demandait de débiter quelques phrases pour compléter la nécro fournie par l’AFP : « J’éprouve un très grand honneur qui m’étonne encore aujourd’hui, parce que je ne vois pas les raisons pour lesquelles je me trouve dans cette situation. » Pousser la modestie jusqu’à cacher qu’on a fait soi-même acte de candidature à un poste, c’est ce qui s’appelle de la grande classe. Ou un petit Alzheimer. Va savoir, Simone.

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Née à Stuttgart en 1947, Trudi Kohl est traductrice, journaliste et romancière. Elle partage sa vie entre Paris et le Bade-Wurtemberg.

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