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Que cesse ce fatalisme gaulois !

Ni l'islamisme ni le libéralisme ne sont des fatalités


Que cesse ce fatalisme gaulois !
Manuel Valls sur la Promenade des Angais en 2016 à Nice. Sipa press / 00764845_000001

Le 17 juillet 2016, après l’attentat de la promenade des Anglais à Nice, Manuel Valls déclarait : « le terrorisme fait partie de notre quotidien pour longtemps […] Soyons clairs : nous avons changé d’époque ». Sans s’aventurer à remettre en cause la détermination de l’ancien premier ministre, ne s’est-il pas abandonné dans ces paroles à une légère débauche de fatalisme ? Il est dans l’air du temps de considérer que l’on ne pourra pas modifier le cours des événements, de considérer que l’ « on va droit dans le mur » et que de toute façon « c’est déjà foutu » ! Il y a peu, une petite dame me soufflait dans une bibliothèque que « plus rien ne marche dans ce pays ».


Au début de Jacques le fataliste, Jacques affirme à son Maître que « tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici bas est écrit là-haut ». Laissons aux théologiens le loisir de discuter de ce « sujet dont on a tant parlé, tant écrit depuis deux milles ans, sans en être d’un pas plus avancé », comme le dit Diderot, mais malgré le « stade terminal de la déchristianisation » de notre société, dixit Jérôme Fourquet, auteur de L’Archipel français, n’a-t-on pas trop intégré cette idée que le cours des choses est inéluctable ?

Comme l’a brillamment énoncé Jacques Julliard, Emmanuel Macron a réussi le coup de force de réussir « l’alliance, en somme, des pages saumons du Figaro et des pages arc-en-ciel de Libération ».

Dans le néolibéralisme à la française, nous aurions droit, libérés de toute sujétion divine grâce à la déchristianisation, au privilège du libre choix qui en découlerait : plus de choix, plus de liberté! arguent à l’envi ses hérauts, bienfaiteurs autoproclamés d’une société qui serait pour de bon libre, car libérée des caprices de l’au-delà. Et en effet, on n’entend jamais un Français catholique, même pratiquant, dire « si Dieu le veut », alors qu’un musulman français ponctuera immanquablement ses phrases de « Inch Allah ». En Amérique latine, contrées qui n’ont pas encore connu notre sacro-sainte déchristianisation, on entend régulièrement « si Dios quiere », qui veut dire exactement la même chose. Une formule qui invoque l’au-delà certes, mais signifie-t-elle pour autant résignation ?

L’audace triomphe du fatalisme, si Dieu le veut!

Quand j’étais en promenade en Cisjordanie il y a quelques années, un chauffeur de taxi palestinien à petite barbe et à keffieh à carreaux rouge et blanc m’avait dit : « Palestinian state, Inch Allah! ». La formule m’avait surpris et m’était apparue comme une certaine résignation. Mais les islamistes qui martèlent « Inch Allah » à longueur de journée ne sont en rien résignés. Les images des Françaises converties de retour du fameux califat, drapées de noir de la tête au pieds, narguant avec des doigts d’honneur les photographes de presse et affirmant que l’Etat islamique ne mourra jamais, suffisent pour mesurer leur foi inébranlable dans leur capacité à nous mettre à genoux. Le califat est physiquement secoué certes, mais il est désormais plus réparti dans le monde -comme l’ont démontré les attentats du Sri-Lanka- avec une volonté toujours aussi bétonnée : démonter notre mode de vie.

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Retournons chez nous. Fin 1939 et début 1940, la « drôle de guerre » a suscité perplexité et divisions entre soutiens au ministre Edouard Daladier et tenants d’une ligne plus offensive. Alors qu’Hitler était seul contre l’ouest, seul contre l’Amérique, seul contre l’empire des colonies en Afrique, Hitler a surpris notre armée dans les Ardennes. Hitler a été le plus audacieux, Hitler était déterminé. Les Français avaient toutes les pièces pour gagner la première manche mais les Français l’ont perdue. En neuf mois, la France a capitulé. Le pacte germano-soviétique, m’objecteront certains. Ne serait-ce pas trop facile d’incriminer le « feu vert » de l’armée rouge dans cette humiliation ? Il semble que la conquête en un rien de temps de la Pologne ait suffit à nous impressionner. Comme l’a dit un ancien soldat, repris par le documentaire de France 3 La drôle de guerre, «nous n’avons pas été vaincus, nous nous sommes suicidés».

Le libéralisme n’est pas une fatalité

La chance sourit aux audacieux, dit un dicton détourné du sens originel de Virgile dans l’Enéide. Chez le poète, la prudence triomphe de l’audace. C’était il y a deux millénaires. Dorénavant, l’audace semble triompher de la prudence. Ce qui est certain, c’est qu’elle triomphe du fatalisme. Incompatible avec l’esprit de résistance, le fatalisme est le meilleur allié de l’esprit de résignation. Si les islamistes venaient à s’immiscer plus dans les organes de notre société, il nous faudrait absolument s’en débarrasser pour avoir une chance de gagner. Qu’on se le dise, rien n’est fichu: bien que les tumeurs de l’islamisme nous contraignent à un état d’alerte quasi perpétuel, elles peuvent être vaincues ; à condition de ne pas collaborer.

Pour l’heure, laissons donc les islamistes en sourdine et penchons nous sur le libéralisme, car c’est un rouage de notre société qui n’est même plus vraiment questionné, telle une fatalité. Le libéralisme économique semble découler d’Adam Smith. En France, la lumière du XVIIIème semble en avoir déployé les bases, ceci malgré toutes les divergences entre ses penseurs. Libéralisme renvoyant à liberté, peut-être est-ce pour ça qu’il est si difficile de remettre en cause ses dérives sans risquer de se faire traiter de rouge, de brun, ou des deux à la fois. Si les dérives du libéralisme sociétal sont de plus en plus pointées du doigt, notamment dans les colonnes de Causeur, le libéralisme économique – excepté par la voix de quelques « révolutionnaires de professions », comme dirait Jean-Claude Michéa- est de moins en moins contesté.

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C’est pourtant Margaret Tchatcher qui avait affirmé le 3 mai 1981 au Sunday Times que « l’économie, c’est la méthode. Mais notre but reste de changer le cœur et l’âme de l’être humain ». On entend « les gens ne se parlent plus », on déplore le fait que « les Français sont de moins en moins généreux », comme s’en navrait Le Monde le 10 janvier 2019. Tout ceci ne découlerait-il pas du modèle actuel de notre économie de marché ? Bien entendu, il ne s’agit pas de construire une société vouée à l’échec sur le mode vénézuélien, mais la remise en cause des dérives du libéralisme sociétal n’est-elle pas intrinsèquement liée à une remise en cause de notre modèle économique ? La question mérite quand même d’être posée. Il est cocasse d’observer les contorsions de la droite filloniste jonglant entre messe le dimanche et ouverture des supermarchés le même jour, jonglant entre valeurs traditionnelles et promotion du libéralisme économique.

Notre ennemi, le capital

Emmanuel Macron incarne la révolution libérale dans toute sa splendeur. Comme l’a brillamment énoncé Jacques Julliard, Emmanuel Macron a réussi le coup de force de réussir « l’alliance, en somme, des pages saumons du Figaro et des pages arc-en-ciel de Libération ». Pour briser l’entre-soi, les dérives communautaires, le déclin de l’entraide et l’atomisation de notre société, sans doute faut-il sérieusement remettre en question notre modèle de libéralisme économique. Cette idée fait sourire, nous ramenant à un Philippe Poutou qui passe chez Ruquier tous les cinq ans, doux rêveur sympathique mais à côté de la plaque pour beaucoup, idiot utile du libéralisme économique pour d’autres. Pourtant, s’il a auparavant largement contribué à élever notre niveau de vie, notre modèle néolibéral arrive à bout de souffle, comme en a attestée l’irruption spontanée des gilets Jaunes.

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Les progressistes actuels s’accommodent très bien du libéralisme économique. Comme le dit Jean-Claude Michéa dans Notre ennemi, le capital, il s’est généralisé, « parmi les nombreux repentis de l’intelligentsia trotskyste ou maoïste l’idée que toute volonté de s’opposer à la dynamique aveugle de l’accumulation du capital conduirait inévitablement au goulag ou transformerait la France en une nouvelle Corée du Nord ». [tooltips content= »Notre ennemi le capital de Jean-Claude Michéa page 60″]1[/tooltips] Leurs descendants, nos Nostradamus de la théorie de l’effondrement où les apôtres bien de chez nous de la sainte ado Greta remettent peu en cause l’économie de marché -preuve en est l’indifférence de leur égérie au CETA !  La droite qui s’inquiète des « apprentis sorciers de la condition humaine » remet peu en cause l’économie de marché. Ceux d’entre-nous qui se lamentent que « c’était quand même mieux avant », qui s’indignent, à juste titre, de la casse de l’Education nationale, qui s’attristent que les jeunes ne pensent qu’au fric, délaissent les livres et soient rivés sur leur smartphone dès l’adolescence, remettent peu en cause l’économie de marché. C’est pourtant par-là qu’il faudrait chercher pour laisser place à une société « libre, égalitaire et décente », selon les mots de George Orwell. Et quoiqu’en disent ses prosélytes, le libéralisme économique n’est pas une fatalité.

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Enseignant, auteur du roman "Grossophobie" (Éditions Ovadia, 2022).

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