Quantitative Easing, monnaie de songe


Quantitative Easing, monnaie de songe

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Mario Draghi a capitulé. Le 22 janvier, cédant aux sirènes des marchés financiers des deux côtés de l’Atlantique, il a, emboîtant le pas à la Banque d’Angleterre, à la Réserve fédérale et à la Banque du Japon, annoncé son programme de Quantitative Easing, c’est-à-dire le rachat programmé d’obligations publiques et privées de la zone euro, étalé sur dix-huit mois, pour un montant total de 1 160 milliards d’euros.

La personnalité de Mario Draghi est controversée depuis sa participation à la première falsification des comptes de l’État grec, il y a quinze ans, lorsqu’il dirigeait la filiale européenne de Goldman Sachs. Ce mensonge avait alors permis à Athènes d’accéder à cette nouvelle terre de Canaan figurée par la zone euro. Il ne faudrait pas pour autant prendre notre homme pour un joueur de bonneteau. Sa capacité technique, précisément acquise chez Goldman Sachs, en a fait un orfèvre des marchés, de leurs techniques et de leur psychologie. Et son action à la direction de la Banque centrale européenne, à partir de la fin 2011, en pleine crise des pays de la zone Sud, a permis de voir tout ce qui séparait un homme de l’art du butor qui l’avait précédé. Le crédit des États, des banques et des entreprises des pays en détresse s’est rétabli, la perspective d’un défaut définitif s’est éloignée, et, avec elle, celle d’un éclatement de la zone monétaire.[access capability= »lire_inedits »]

Mais le triomphe lui a été refusé. La zone euro est restée encalminée tout au long de l’année 2014 et l’Allemagne elle-même a subi la stagnation. Dans le même temps, la reprise économique longtemps retardée aux États-Unis et en Angleterre a fini par se déclarer. Ces deux économies, fort différentes au demeurant, produisent aujourd’hui plus qu’elles ne produisaient avant la crise[1. Mais pas l’économie japonaise toujours engluée dans la stagnation.]. Or, elles avaient été les premières à connaître – dès 2009 – ce changement inouï de politique des banques centrales connu sous le nom de « Quantitative Easing » (littéralement « assouplissement quantitatif »). Et les innombrables grenouilles qui peuplent les marais médiatiques et politiques se sont mises à coasser, en direction de la Banque de Francfort : « Quantitative Easing, Quantitative Easing ! »

Mais pourquoi Mario Draghi a-t-il si longtemps résisté à l’appel au « QE », lui qui sait que ce mécanisme n’est pas une innovation comme tant d’autres, qu’il modifie la structure même du système financier ? Je vous propose donc de jouer au banquier central, de faire comme si nous étions Mario Draghi pour dire ce qu’est le QE et, d’abord, ce qu’il n’est pas.

Ce que n’est pas le Quantitative Easing

Le QE ne consiste pas à monétiser les dettes. Le premier réflexe de certains économistes ou politiques a été de rattacher la nouvelle politique des banques centrales, à Washington, à Londres ou à Tokyo, à une monétisation des dettes publiques, voire privées. Monétiser la dette, cela signifie soit que le gouvernement emprunte directement à la banque centrale, soit que cette dernière achète des obligations de l’État. Or, les 4 500 milliards de dollars de dettes privées et publiques rachetées par la Réserve fédérale, les 375 milliards de dollars de dettes du Trésor anglais rachetées par la Bank of England figurent toujours dans le décompte des dettes des emprunteurs concernés. Les banques centrales perçoivent les intérêts dus, comme si elles étaient des créanciers ordinaires.

Le QE ne vise pas à réguler le crédit. Les principales banques centrales ont entre un siècle et trois siècles et demi d’existence. Or, depuis leur création, elles pratiquent une politique de régulation de crédit destinée à soutenir l’activité ou, au contraire, à combattre l’excès de crédit et l’inflation qui l’accompagne si souvent. Dans ces buts, elles agissent auprès des banques commerciales en procurant de l’argent frais ou en retirant au contraire des liquidités. Comment ? En modulant à la hausse ou à la baisse le montant des créances reprises auprès des banques – assouplissement quantitatif ou réduction quantitative – et en abaissant ou en rehaussant les taux de l’argent prêté par elles – assouplissement qualitatif ou durcissement qualitatif.

Il faut retenir une chose essentielle. Les créances bancaires autour desquelles gravitent les opérations de la politique monétaire sont à court terme : quelques jours, quelques semaines, quelques mois (la Banque centrale de Chine agit avec un horizon maximal d’un an). De la sorte, l’action de la banque centrale reste en prise directe avec l’activité et les décisions courantes des agents économiques. Osons cette métaphore : le banquier central est comme le conducteur automobile qui joue de son levier de vitesse pour réguler l’action du moteur.

La violence de la crise survenue en 2008 a conduit les banques centrales occidentales à inonder le système bancaire d’argent créé à leurs guichets, octroyé gratuitement pour la première fois dans l’histoire économique. Elles ont ainsi épuisé les ressources de la politique monétaire. Et les plus hardies d’entre elles, à Tokyo, Washington ou Londres, se sont résignées à sortir des chemins balisés de leur politique traditionnelle. C’est ainsi que le QE est entré en scène.

Ce qu’est le Quantitative Easing

Le QE consiste à retirer des créances du marché. Les obligations publiques et privées émises à un moment quelconque sont toujours, d’une manière ou d’une autre, sur le marché : soit réellement, quand elles font l’objet des transactions quotidiennes[2. Comme une récidive de la crise grecque toujours pendante le 13 février 2015.], soit virtuellement, dans la mesure où leurs détenteurs – banques, sociétés d’assurances, fonds de placement – peuvent à tout instant les remettre en vente. Mais quand cet opérateur particulier qu’est la banque centrale achète ces obligations dans le cadre de sa politique de QE, c’est une fois pour toutes. Le QE est un aller sans retour. Avec cette conséquence qui est sans doute le premier objectif recherché par les banques centrales : désengorger les marchés du crédit correspondant. On espère ainsi apporter un remède temporaire aux bulles du crédit qui ont, des deux côtés de l’Atlantique, permis de soutenir artificiellement l’activité.

Le QE est une opération de création monétaire pure. La monnaie créée par la banque centrale qui procède à du QE n’a pas de contrepartie économique dans la mesure où les créances rachetées correspondent, ainsi qu’on l’a dit, à des décisions du passé. Pour nous faire mieux comprendre, nous allons la comparer à l’émission des assignats par la France révolutionnaire à partir de 1790. Cette création fortement inflationniste a été comparée à l’émission d’une monnaie de singe. Ce n’est pas entièrement vrai. Elle a soutenu aussi, à la marge, l’activité, ne serait-ce qu’en finançant les dépenses militaires. Elle n’était pas une création monétaire pure.

Tandis que les milliards injectés au titre du QE peuvent être considérés comme tels. Ils ne se sont pas répandus dans la sphère économique mais sur les marchés spéculatifs, le marché des changes en tout premier lieu. C’est ainsi que toutes les opérations de QE se sont accompagnées d’une baisse importante de la monnaie concernée : yen, dollar, livre sterling. Et que les traders, anticipant l’action annoncée par Mario Draghi le 22 janvier, ont fait baisser profondément l’euro. Tout simplement parce que les opérateurs savent qu’ils auront plus d’euros à troquer contre les autres monnaies du marché des changes.

Moins de créances et plus de monnaie sur les marchés, voilà toute l’originalité du Quantitative Easing.

Nous ignorons où nous conduit la politique de QE décidée à Francfort. Son résultat incontestable sera de soutenir les exportations de la zone après la baisse substantielle de la monnaie unique. À condition toutefois que d’autres facteurs négatifs ne viennent contrarier ce bienfait.

Mais l’action de Mario Draghi devrait dessiller les aveugles. Toute l’expérience que nous vivons, depuis trente ans, s’appuie sur la création monétaire ! Le QE est l’ultime manifestation, caricaturale, de cette politique.

Nul doute cependant que les détenteurs du capital vont s’ingénier à profiter des opportunités du QE. Pour le meilleur ou pour le pire.[/access]

*Image : Soleil.

Mars 2015 #22

Article extrait du Magazine Causeur



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est un économiste français, ancien expert du MEDEF

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