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Camerone: comme nous sommes petits aujourd’hui !

"Ce ne sont pas des hommes, ce sont des démons !"


Camerone: comme nous sommes petits aujourd’hui !
Le magistrat et essayiste français Philippe Bilger © Pierre Olivier

Le nom de Camerone ne m’était pas totalement étranger. Il évoquait une bataille, de l’héroïsme, la Légion étrangère mais rien de plus. J’en ai su bien davantage à la suite d’une émission sur CNews, grâce à Geoffroy Lejeune. Puis, après la célébration du 30 avril à Aubagne, avec l’intervention remarquable du général Alain Lardet, commandant de la Légion, lors des Vraies Voix sur Sud Radio. Il n’est pas nécessaire d’exposer toutes les péripéties qui ont précédé le 30 avril 1863 au Mexique, dans une hacienda du village de Camarón de Tejeda. Il s’agissait d’escorter un convoi parti du port de Vera Cruz avec des vivres, des médicaments, des munitions, des pièces d’artillerie, 4 millions de francs en pièces d’or d’arriver à sa destination finale, vitale pour la bataille de Puebla. Le 30 avril, dans cette hacienda, 65 fantassins de la Légion, encore valides, ont résisté héroïquement à l’assaut de 2 000 soldats et cavaliers mexicains. De 7 heures à 18 heures. À court de munitions, le trio de combattants qui demeurait, commandé par le caporal Philippe Maine, s’apprêtait à charger à la baïonnette avec leur mort certaine à l’issue, quand ils acceptèrent de se rendre à l’ennemi à condition de pouvoir garder leurs armes et soigner leurs blessés, notamment leur lieutenant touché peu de temps avant. Ce qui fut dignement accordé. Présentés au colonel Milan, leur adversaire mexicain, celui-ci s’écria : « Ce ne sont pas des hommes, ce sont des démons ! ». C’est cette journée épique et glorieuse de 1863 qui chaque année est célébrée par la Légion étrangère.

A relire, Mélanie Courtemanche-Dancause: Camerone, le beau geste

Rien ne pouvait mieux survenir, dans cette période lugubre, de défaitisme et de déclin, où la France s’interroge, se dispute, où l’esprit national est battu en brèche, voire moqué ou, pire, piétiné, que la mémoire de cette magnifique geste où quelques vaillances de toutes nationalités mais seulement unies par la passion de la France ont donné leur vie pour sauver ce qui devait l’être, acquérant ainsi une gloire ineffaçable. Je sais qu’il est facile d’aller chercher dans un passé admirable des compensations à l’égard d’un présent médiocre ou des remèdes pour guérir l’insatisfaction profonde qui accable beaucoup de nos concitoyens mais il n’empêche qu’il y a des événements illustres par le courage et par l’exemple qui sont fondés rétrospectivement à donner des leçons aux Français d’aujourd’hui. J’ose le dire, je me sens petit, je suis petit face à un tel Himalaya où toutes les vertus auxquelles je tiens d’autant plus intensément qu’elles me sont inaccessibles ou trop rarement prodiguées, sont réunies: audace, résistance, honneur, fidélité, dépassement de soi et sacrifice. Il y a comme cela dans l’Histoire mondiale des actes singuliers ou collectifs qui détruisent par leur éclat sombre ou magique la grisaille de notre habituelle condition, de notre quotidienneté sans véritable horizon.

J’entends bien qu’être un héros n’est pas à la portée de tout le monde mais au moins on devrait espérer être enrichi, sublimé par la nostalgie de certaines pages hors du commun, on devrait se garder de pensées et d’attitudes trop indignes de ce passé, de cette journée du 30 avril 1863 sauf à être inéluctablement rapetissés. Entendre que la police tue, voir des malheureux, des faibles et des fragiles être frappés, constater que la force est dévoyée, que la violence est vantée et légitimée, s’étonner que la médiocrité, la lâcheté, l’aigreur et les courageux en chambre soient portés aux nues, déplorer que le beau, le bon, le sacré soient profanés au profit de multiples dérisions, déjections, remarquer que des personnalités, conscientes de ne jamais pouvoir être des héros, s’acharnent alors à les ridiculiser, regretter que le prosaïsme étriqué et sans élan ait remplacé, dans les existences, le fil poétique, épique, intranquille : tant d’occasions, d’opportunités qui viennent à nous.

Elles nous rappellent cet enseignement fondamental de Camerone qui, je le maintiens, se résume à cet aveu qui devrait nous terrifier, en tout cas nous faire descendre du piédestal où un soi-disant progrès nous aurait placés: comme nous sommes petits !



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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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