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Mohamed Al Doura et le Parti des Médias


Mohamed Al Doura et le Parti des Médias

Sans êtres exhaustifs, recensons les éléments les plus probants :

1. Dans les images diffusées par France 2 le 30 septembre, on ne voit pas la moindre goutte de sang. En examinant les images une par une, on peut clairement constater que ni le père ni l’enfant qui est supposé avoir reçu plusieurs balles (dont une au genou et une à l’abdomen) ne présentent de trace de blessures – or, une « entrée de balle » ne peut pas être invisible. Une soi-disant tâche de sang sur le ventre de l’enfant se révèle être un simple chiffon rouge, clairement identifiable sur une photo publiée par la revue Médias (qui prend par ailleurs la défense de Charles Enderlin). Enfin, dans l’image qui suit l’évacuation, alors que la « scène du crime » est vide, on ne voit pas de trace de sang, même la plus infime, sur le sol et sur le mur qui se trouvait derrière les Al Doura.

2. Les versions successives de Talal Abu Rahma, notamment sur la durée des incidents, le temps durant lequel il a filmé et le nombre de cameramen présents sont totalement contradictoires. Il parle d’abord de quarante-cinq minutes de tir et de centaines de balles, puis en 2001 ne se souvient plus que de six minutes, s’embrouille sur les balles qu’il prétend avoir récupéré sur le terrain avant de se rétracter. Il évoque la présence sur le terrain ce jour-là de dizaines de confrères qui ne sont plus aujourd’hui que deux. Par ailleurs, ce cameraman expérimenté qui jouit de la confiance totale de Charles Enderlin, a malencontreusement raté tous les moments où les quinze balles qui auraient touché le père et l’enfant atteignaient leurs « cibles » et manqué de batterie pour filmer l’évacuation des Al Doura. Autant dire qu’il est particulièrement malchanceux.

3. Il est assez peu vraisemblable que des soldats entraînés aient eu besoin de quarante-cinq minutes et de centaines de balles pour abattre deux hommes terrifiés. Il est carrément incroyable que cet acharnement ait laissé pour toute trace sur le mur qui se trouvait derrière eux sept impacts de balles. De plus, ces impacts sont parfaitement circulaires, ce qui indique des tirs venus d’en face. Des tirs venus de la position israélienne, qui se trouve à 35 degrés auraient laissés des impacts ovoïdes.

4. L’agonie manquante. Dans le reportage, on ne voit pas le moment fatal. Moins de deux semaines après les faits, Charles Enderlin est interrogé pour une enquête de Télérama intitulée « Les images de la haine » : « J’ai coupé les images de l’agonie de l’enfant, déclare-t-il. C’était trop insupportable. L’histoire était racontée, l’information donnée, ça n’aurait rien ajouté. Quant au moment où le gamin reçoit des balles, il n’a même pas été filmé. » Soucieuse, sans doute, de ménager la sensibilité de ses interlocuteurs, la chaîne n’a jamais montré ces images à qui que ce soit. Et elle s’est gardée de les produire au tribunal, ce qui n’a pas laissé d’étonner la présidente de la Cour. En revanche, France 2 a donné (par erreur ?) à la BBC la séquence manquante de dix secondes que Karsenty projette au Tribunal (à la stupéfaction d’Arlette Chabot) intervient juste après la prétendue rafale fatale. On voit clairement l’enfant qui est censé être mort à ce moment-là bouger et couvrir ses yeux de la main alors qu’il est supposé avoir été blessé au ventre et au genou. (Un réflexe naturel aurait dû lui faire serrer les parties blessées.)

5. Plusieurs équipes de télévision (notamment celles de Reuters et AP) présentes au même endroit au même moment n’ont pas filmé la mort du gamin. En effet, le seul film disponible est celui de France 2.

6. Sur les rushes de Talal Abu Rahma, dans les moments qui précèdent la scène Al Doura, on voit des éléments de mise en scène évidents, notamment des gens marcher nonchalamment en tournant le dos aux positions israéliennes d’où sont supposés venir des tirs nourris.

Soyons clairs. Nous ne pensons nullement que Charles Enderlin s’est prêté à une mise en scène puisqu’il se trouvait à Ramallah quand son caméraman filmait à Gaza. D’ailleurs, nous ne pensons rien. Nous n’avons aucune thèse. Nous constatons simplement que nous ne voyons pas sur ces images ce qu’on nous dit qu’elles montrent.

Par ailleurs, jamais France 2 et Enderlin n’ont accepté de répondre sur les points précis qui sont mentionnés ici et qu’a soulevés Philippe Karsenty, se contentant de récuser ceux qui posaient des questions. Ils ont certainement des explications. Ils doivent les donner. L’heure n’est plus aux grandes proclamations sur le thème : comment osez-vous ? Les arguments d’autorité ne répondent pas à des questions factuelles simples.

Il me faut pour finir faire amende honorable. Quand on prétend accepter le débat, le refus d’entendre les arguments de ceux qui ne pensent pas comme nous est un aveu de faiblesse. Nous nous sommes trompés. Quelle que soit l’estime que mérite Charles Enderlin, il a pu se tromper aussi. Et peut-être est-il la première victime d’un dogme de l’infaillibilité médiatique qui dépasse sa personne. A refuser avec constance d’envisager cette possibilité, il ne fait que renforcer les soupçons.

Jusque-là, nous avons vu ce que nous croyions. Maintenant, nous ne croyons rien. Nous ne savons pas. Et nous voulons savoir.



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Elisabeth Lévy est journaliste et écrivain. Gil Mihaely est historien.

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