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Tremblement de terre: pourquoi cette demande de soutien à géométrie variable?

L’analyse géopolitique de Sébastien Boussois


Tremblement de terre: pourquoi cette demande de soutien à géométrie variable?
Après le séisme au Maroc, le président Emmanuel Macron a renouvellé sa proposition d'aide, et a fustigé sur Twitter des « polémiques qui n'ont pas lieu d'être », 12 septembre 2023. Image : Twitter.

Et pourquoi pas la France, en l’occurrence, qui semble si contrariée?


Les catastrophes naturelles ne manquent pas, tout comme les élans de solidarité internationale. Mais une offre de soutien ne vaut pas blanc-seing pour le pays qui se propose d’aider. Il faut un minimum d’organisation et de logistique pour accueillir les équipes de secours venues du monde entier, qui peuvent vite se révéler une charge plutôt qu’un soulagement. On se souvient de l’aide internationale envoyée au Sri Lanka lors du tsunami de 2005 et dont plus de la moitié de l’aide, notamment financière, n’est jamais arrivée, ou a été mal dispatchée. Le Maroc a fait le choix, contrairement à la Turquie et la Syrie en février dernier, de filtrer les propositions de soutien, probablement pour avant tout gérer en interne (a priori un pays est souverain et est bien en droit de décider lui-même des soutiens qu’il souhaite avoir), et d’accepter en fonction des besoins qu’il a du point de vue technique, matériel et logistique.

Feu d’artifice de solidarité internationale

Au-delà du capital sympathie que le Maroc a pour l’Espagne, l’Allemagne, le Qatar et les Émirats arabes unis comme la Tchéquie, il y a fort à parier que ces propositions de soutien étaient mieux ficelées pour parer à l’urgence, que les élans tous azimuts de certains pays. Et puis, la nouvelle dynamique des accords d’Abraham va jouer pour beaucoup, notamment avec Abu Dhabi mais sûrement très vite avec Tel Aviv. Il faut aider mais il faut « bien » aider, au risque de voir l’engorgement sur place devenir totalement contre-productif. Dans ce feu d’artifice de solidarité internationale, la France, qui se réveille, semble ruminer le déni affiché par Rabat. Il y a des raisons à cela, et qu’Emmanuel Macron semble oublier. Paris tente de se racheter après deux ans de crise politique majeure entre les deux pays. Le Palais y voit sûrement un certain opportunisme, et préfère se tourner vers d’autres pays moins « problématiques » pour lui.

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Certes, il faut réagir dans les 48 à 72 heures pour espérer trouver le plus grand nombre de rescapés mais la tâche est ardue, tant la violence du tremblement de terre a été forte, l’évènement inattendu ou imprévisible, et le moment le pire, c’est-à-dire en pleine nuit quand les gens dorment. Un élan de solidarité s’est avant tout organisé sur place, déjà, à Marrakech et dans la campagne qui va jusqu’à l’épicentre, dans l’Atlas – même si beaucoup de populations se plaignent ouvertement du manque de secours sur place. Beaucoup tendent à penser que le Maroc, qui a ce stade n’avait quasi rien formulé, aura besoin de toutes les mains et de tous les soutiens matériels. Chine, Turquie, Grande-Bretagne, États-Unis, Israël sont parmi les premiers pays à avoir proposé leur soutien, sans réponse nette. Au-delà de la catastrophe, en géopolitique, les drames humains peuvent souvent renforcer des alliances ou en redéfinir d’autres. C’est un opportunisme politique comme un autre.

La France ne peut imposer une aide dont ne veut pas Rabat pour l’instant. Ce n’est pas de l’arrogance, mais le fruit d’un passé tumultueux entre ces deux pays, depuis deux ans, au profit de l’Algérie. Certes, Paris vient de débloquer une aide d’urgence de quelques 2 millions euros mais encore hier les deux pays se regardaient en chiens de faïence.

Macron privilégie l’Algérie

Face aux béni oui-oui du bon-sentimentalisme, les catastrophes naturelles ne doivent pas servir à de la récupération politique. On peut imaginer que la catastrophe peut montrer la bonne foi et la sincérité des uns et des autres, et offrir la chance d’un rétablissement de bonnes relations avec un pays incontournable du Maghreb, pour notre politique et pour nos échanges économiques. Or la défiance de Rabat avec Paris est maximale. Pourquoi ? À l’automne 2021, Paris avait annoncé sa volonté de réduire le nombre de visas accordés aux Marocains pour venir sur le sol français, reprochant au Maroc comme à d’autres pays du Maghreb de ne pas collaborer assez avec les autorités hexagonales en cas d’irrégularité de séjour et nécessité d’expulsion. Puis, vint l’affaire Pegasus, une vaste affaire d’espionnage d’une officine israélienne qui aurait surveillé nombre de personnes de la société civile marocaine et même des personnalités françaises dont Emmanuel Macron, pour le compte du Maroc, et que certains voient aujourd’hui davantage comme une opération orchestrée de toutes pièces pour déstabiliser le régime chérifien au profit de l’Algérie [1].

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Le président Macron a fait le choix clair de l’Algérie depuis deux ans, refusant de reconnaître le plan d’autonomie du Sahara proposé par Rabat, alors que Donald Trump avait lancé le mouvement, qu’Israël l’avait fait dans le cadre des accords d’Abraham, et que des pays européens comme l’Allemagne ou l’Espagne ont déjà apporté leur soutien à Mohammed VI. Dans le contexte de la guerre en Ukraine, la France, en quête de gaz, s’était ouvertement rapproché avec de grands sabots du régime algérien. Emmanuel Macron espérait bien en obtenir, puis s’était rendu dans le pays il y a un an à l’occasion des 60 ans de l’indépendance d’Alger. Mais la claque a été similaire : Alger n’a pas de gaz pour Paris. Tout ça pour ça ?

Paris ne peut indéfiniment par son attitude agressive, arrogante et orientée, continuer à se fâcher avec la terre entière, à commencer par l’Afrique. Le rejet de Paris est à son paroxysme et on le voit notamment au Sahel. La catastrophe que vit Rabat jouera plein pot sur ses futures relations, en Afrique, et probablement vers le « Sud global » qui ne cesse de monter, et de représenter une alternative  – sérieuse et viable ? c’est est une autre question. Pendant ce temps-là, l’Algérie renforçait sans complexes un peu plus encore son partenariat stratégique avec la Russie en juin dernier, comme si la guerre en Ukraine n’avait jamais existé.


[1] L’affaire Pégasus, les dessous d’une guerre de l’information, Alain Jourdan, Le Cherche Midi, Paris, 2023.

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est chercheur en sciences politiques associé à l’ULB (Bruxelles) et à l’UQAM (Montréal). Publications récentes: "Les Emirats Arabes Unis à la conquête du monde" (2021, MAX MILO), "Les nouvelles menaces mondiales: La grande pandémie du déni" (2021, Mardaga).

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