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« Madame Tussauds » ou le goût de l’épouvante

Qui était la Française Marie Tussaud?


« Madame Tussauds » ou le goût de l’épouvante
Wuhan, Chine, septembre 2022 © SOPA Images/SIPA

Le musée de cire londonien fondé en 1835 par la Française Marie Tussaud (1761-1850) attire chaque année près de 2,5 millions de visiteurs du monde entier.


Rachetée en 2019 par Blackstone, l’un des plus grands fonds d’investissement du monde, l’attraction continue d’essaimer de par le monde avec l’ouverture d’une vingtaine de musées dans différents pays. Cependant, au-delà du glamour des célébrités du moment qui se pressent pour avoir leur mannequin de cire plus vrai que nature exposé dans la collection du musée, l’histoire de cette entreprise florissante est sous-tendue par l’occulte et le macabre.

Bourreaux de père en fils

Marie Tussaud, née Anna Maria Grossholtz, est issue d’une lignée de bourreaux de père en fils installée à Strasbourg. La charge d’exécuteur public créée officiellement en France au XIIIème siècle est teintée d’infâmie dès le début. Les bourreaux sont naturellement ostracisés par le reste de la population et deviennent des parias. Ils vivent à la périphérie des villes et sont obligés de porter un vêtement distinctif qui permet de les repérer. Véritables parias, ils n’ont souvent pas d’autre choix que de marier leur progéniture à d’autres enfants de bourreaux et de passer en héritage leur lourde charge à leurs descendants. Des dynasties de bourreaux apparaissent ainsi au fil des siècles dans certaines régions de France telles que l’Alsace. Mademoiselle Grossholtz échappera à ce sort peu enviable en épousant, hors de la corporation des bourreaux, l’ingénieur François Tussaud, après maintes péripéties.

Née et élevée à Berne par son oncle, le médecin Philippe Curtius, concepteur de mannequins en cire servant à enseigner l’anatomie aux étudiants en médecine, elle apprend avec lui l’art du modelage de la cire et confectionne des masques mortuaires. Puis elle le suit à Paris lorsqu’il ouvre sur le Boulevard du Temple, une galerie où cohabitent une collection mondaine de mannequins de cire à l’effigie des grands personnages du Royaume de France et une « caverne des voleurs », qui met en scène les plus grands criminels de l’époque. Cette attraction originale remporte un succès grandissant auprès de tous les Parisiens.

Londres. Wikimedia commons

Pendant la Révolution, Marie et son oncle répondent assidûment aux demandes de l’Assemblée constituante pour confectionner des masques de cire à la gloire des héros de l’époque. L’année 1793 marque un tournant sanglant. A partir de la décapitation de Louis XVI en janvier 1793, la France plonge rapidement dans la Terreur. Marie-Antoinette est décapitée en octobre de la même année. Dans ce bain de sang, Marie se retrouve obligée de modeler des masques mortuaires sur des têtes sanguinolentes de victimes fraîchement guillotinées. En 1802, alors mère de famille et héritière des galeries de cire de feu son oncle Curtius, elle va néanmoins tenter sa chance à Londres en suivant l’occultiste Paul de Philipstahl en Angleterre. Adepte de spiritisme et d’ésotérisme, ce personnage louche l’entraîne dans des tournées itinérantes, où elle montre son savoir-faire en exposant des mannequins dans le genre horrifique. En 1835, après 27 ans sur les routes anglaises, Marie Tussaud loue un hall d’exposition à Londres sur Baker Street, et elle y fonde le fameux musée qu’elle gérera d’une main de fer avec l’aide de ses deux fils. Elle y applique dès le début la même recette infaillible auprès du public qu’à Paris, en exposant tout à la fois des personnages illustres (même la Reine Victoria accepta d’y voir figurer son mannequin de cire !) d’une part, et les grands criminels du Royaume condamnés à des châtiments effroyables, dont les mannequins se mêlent aux têtes et aux corps en cire des suppliciés de la Révolution française d’autre part.

Un succès commercial qui ne se dément pas

Près de deux siècles après, force est de constater que la même recette commerciale continue de faire ses preuves et d’attirer massivement les foules qui, après avoir acquitté au guichet une substantielle somme d’argent, se pressent au portillon et consentent à attendre trois heures dans la file d’attente pour faire des selfies aux côtés des effigies en cire de la famille royale, de Leonardo DiCaprio ou de quelque 150 « people ». Ils peuvent également choisir de descendre aux enfers dans les oubliettes du musée, où une exposition psychologiquement déstabilisante – d’ailleurs interdite aux personnes de moins de 16 ans, aux malades cardiaques et aux femmes enceintes – met en scène les sévices infligés à leurs victimes par les pires serial killers de notre temps.

Au vu d’un tel succès, on peut supposer que cet engouement pour le genre macabre a encore de beaux jours devant lui tant notre époque s’avère de plus en plus chaotique, notamment dans ses échelles de valeurs.

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Analyste géopolitique (Russie, Turquie), auteur et spécialiste en relations internationales et en études stratégiques.

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