Accueil Édition Abonné Avril 2022 Macron, trop m’as-tu-vu pour les étrangers

Macron, trop m’as-tu-vu pour les étrangers

La presse étrangère n'est pas aussi élogieuse que la presse française au sujet de notre président...


Macron, trop m’as-tu-vu pour les étrangers
Emmanuel Macron et Joe Biden, à l'ambassade de France du Vatican, Rome, 29 octobre 2021 © Ludovic Marin / AFP

Président du Conseil européen et – prétendument – intime de Poutine, Emmanuel Macron avait l’opportunité d’exercer un leadership sur la scène internationale. Mais pour les médias étrangers, ses effets de mise en scène et son jeu d’acteur lourdingue affaiblissent sa crédibilité.


Les anciens Grecs avaient un mot pour décrire le comportement de certains acteurs de la vie politique. La « polypragmosynè » indiquait une hyperactivité inadaptée à la réalité des choses, une tendance à s’ingérer dans toutes les affaires et une volonté incessante d’attirer l’attention générale sur soi. En France, la présidence de la Ve République encourage, voire nécessite, un tel comportement hors normes. Le chef de l’État doit accompagner son action politique de discours grandiloquents, de gestes dramatiques et de mises en scène impressionnantes. Or, vues de loin, de l’étranger, ces simagrées sont souvent bien plus visibles que la substance des propositions. Elles tendent ainsi à former l’image qu’on retient de chaque leader français : du Général, le képi et les bras levés ; de Mitterrand, le port altier en pardessus sombre ; de Sarkozy, l’énergie bling-bling de l’omniprésident. Hollande, homme terne s’il en fut, n’a été sauvé que par les livres de révélations de son ex-compagne et de deux journalistes du Monde. Aujourd’hui, avec Macron, c’est le côté cabotin de Jupiter qui attire l’attention à l’international.

Un faux Zelensky

Depuis le début de l’année, Macron fait face à trois défis : l’élection présidentielle, la présidence française de l’UE et la crise en Ukraine. Son objectif est triple : continuer comme chef d’État en France, prendre le leadership en Europe et être reconnu comme le champion du monde occidental. Cette ambition n’est pas irréaliste. À côté de Biden, qui est vieux, de Scholz, qui est un novice, et de Johnson qui cherche toujours un nouveau positionnement pour son pays après le Brexit, Macron incarne l’énergie, l’expérience et la stabilité.

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Contrairement à ses critiques en France qui lui reprochent sa faiblesse face à l’Allemagne, les Allemands commencent à sentir que Macron a réussi à leur dérober le leadership au sein de l’UE. Le 1er janvier, jour où la France a pris la présidence tournante du Conseil européen, le quotidien économique Handelsblatt annonce que, grâce à l’action de Macron sur des dossiers comme le nucléaire ou le financement du plan de relance post-Covid, le pouvoir d’initiative en Europe s’est déplacé de Berlin à Paris. La crise ukrainienne lui fournit une autre opportunité pour s’imposer sur la scène mondiale. Le 7 février, la chaîne américaine, CNN, l’adoube du titre de « new Putin-whisperer » ou de « nouvel homme qui murmure à l’oreille de Poutine » (d’après le titre du film de 1998, L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux). Dans ce rôle, il prendrait le relais d’Angela Merkel qui parlait beaucoup plus souvent avec le chef russe que n’importe quel autre leader occidental. Macron serait aussi le digne héritier du Sarkozy de 2008 dont la réponse, lors de l’invasion russe de la Géorgie, avait été si énergique et décisive. Pourtant, un mois plus tard, le 10 mars, le média américain Politico Europe se demande : « Nom de Dieu ! À quel jeu Macron croit-il jouer face à Poutine ? » Les discussions montreraient que le président français est incapable d’exercer la moindre influence sur lui. Deux jours plus tard, le verdict du quotidien The Irish Independent tombe : le « Putinwhispering » est un « échec total ».

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C’est dans ce contexte que sont publiés les fameux portraits de Macron à l’Élysée le dimanche 13 mars, vêtu en sosie du président ukrainien. Les médias étrangers y voient surtout une forme de cabotinage. Pour The Times of India, le but de ces images – qui le montrent occupé par la guerre le week-end – est de justifier sa non-participation à la campagne électorale. Le quotidien allemand Bild présente Macron comme un politique « contesté » qui essaie, en imitant Zelensky, de démontrer qu’il est « proche du peuple ». En Italie, le Corriere della Sera souligne un manque d’originalité : Macron se faisant suivre par la photographe Soazig de la Moissonnière rappelle trop une opération similaire conduite par Obama afin de montrer que, derrière les coulisses, c’était un homme comme une autre. El País cite des internautes qui se moquent de l’imitation de Zelensky comme un « cosplay », un de ces jeux de rôle où des adultes se déguisent en un personnage de fiction. Mais ces critiques sont insipides à côté de celles des médias britanniques.

Le fléau des Anglo-Saxons

Pour The Spectator, Macron (dont les pronoms préférés, comme disent les non-binaires, seraient « moi, moi et moi ») incarne, non le courage de Zelensky, mais son contraire. Dans cette crise, ses tentatives pour « faire le macho » feraient de lui le plus « honteux » des politiques occidentaux. Le quotidien populiste The Daily Mail assène lui aussi qu’à la différence de Macron, Zelensky est « un vrai héros » et dresse une liste de tous les autres leaders politiques dont Macron aurait essayé de singer les gestes au cours de son quinquennat. La raison de cette hostilité, surtout dans les milieux pro-Brexit, est la supposée anglophobie du président français, accusé de vouloir punir le Royaume-Uni afin de s’imposer comme le champion européen. Il serait ainsi coupable d’avoir entravé les négociations sur l’application du protocole nord-irlandais, manipulé la crise migratoire dans la Manche et d’avoir publiquement sous-estimé l’efficacité du vaccin AstraZeneca. Selon The Daily Telegraph, en janvier, Macron ferait preuve de plus d’indulgence envers la Russie de Poutine qu’envers le Royaume-Uni. Une vision plus nuancée est proposée dans The Spectator, le 26 février, par John Keiger, chercheur en relations internationales. Après une analyse détaillée de la politique étrangère de Macron, il conclut que ses capacités de réflexion sont nettement supérieures à celles de la plupart des autres chefs d’État, mais que son arrogance sans limites et son incapacité à forger des alliances durables risquent de le conduire à l’échec. Les anciens Grecs avaient un remède à la « polypragmosynè », la « sophrosynè » ou « modération ». Reste à espérer que, s’il est réélu, M. Macron saura en faire preuve !

Avril 2022 - Causeur #100

Article extrait du Magazine Causeur




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est directeur adjoint de la rédaction de Causeur.

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