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L’envie, source de tous nos maux français?

Qu'on me donne l'envie...


L’envie, source de tous nos maux français?
Durant la manifestation des gilets jaunes sur les Champs-Elysees a Paris, certains manifestants s'en sont pris au restaurant le Fouquet's , Paris, 16 mars 2019 © OLIVIER CORET/SIPA Numéro de reportage : 00899388_000019

Et si ce diagnostic précoce et oublié d’Emmanuel Macron sur l’état de la France était le bon ? Dans une société où les mœurs et le religieux sont bouleversés, panser nos plaies est extrêmement complexe pour le politique.


Dans son livre programme Révolution, publié en novembre 2016, le candidat Emmanuel Macron écrivait : « Notre situation actuelle n’est ni acceptable ni tenable. Nous sommes comme recroquevillés sur nos passions tristes, la jalousie,la défiance, la désunion, une certaine forme de mesquinerie, parfois de bassesse, devant les événements ». [1] 

Le candidat Emmanuel Macron voulait réveiller les passions joyeuses des Français : c’était le but de son engagement. Une fois élu, il n’a d’abord pas dévié de cette ligne de conduite. À de nombreuses reprises, il a évoqué les passions tristes dont les Français étaient, selon lui, la proie, au point que le 3 octobre 2017, le Huffington Post publiait un article intitulé : « Décidément, Macron est vraiment passionné par les « passions tristes » de ses opposants [2] ».

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L’article rapportait, qu’interpellé par une journaliste de l’AFP en marge d’une visite chez un sous-traitant de Whirlpool près d’Amiens, le chef de l’État avait, à propos des critiques émises contre sa politique économique qui favoriserait les plus fortunés, fustigé « ces formules dans lesquelles les passions tristes françaises aiment s’enfoncer ». Le 14 octobre 2017, le président Emmanuel Macron donnait un entretien au Spiegel dans lequel il affirmait : « Je ne céderai pas au triste réflexe de l’envie française. Parce que cette envie paralyse le pays ». Ainsi, quand Emmanuel Macron emploie l’expression « passions tristes », qu’il emprunte au philosophe Spinoza, il désigne essentiellement la passion de l’envie, synonyme de jalousie dans le langage courant. 

Le rôle de l’envie dans la crise des gilets jaunes 

En octobre 2018, le mouvement des gilets jaunes éclatait suite à une hausse du prix du carburant, en raison de l’augmentation de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) par le gouvernement. Ce mouvement trouvait sans doute en partie son origine dans la passion de l’indignation, laquelle répond à un sentiment d’injustice, mais s’est aussi greffée à celle-ci celle de l’envie, qui répond à un sentiment de diminution et d’infériorité, et du ressentiment ; autrement dit, de l’envie impuissante. La présence de l’envie peut se mesurer à l’aune des actes gratuits de violence contre les forces de l’ordre, des dégradations de commerces et de bâtiments publics et des pillages. La colère d’indignation étant au service de la justice, elle ne peut se servir de l’injustice. En revanche, la colère d’envie est vindicative : elle cherche à prendre sa revanche, à faire payer l’affront, l’humiliation de son infériorité ; elle substitue la vengeance à la justice. Le slogan «  Fouquet’s à nous » écrit à la bombe sur les vitres brisées du restaurant Fouquet’s sur l’avenue des Champs-Élysées par les vandales qui l’ont saccagé en fournit la meilleure preuve. Il témoigne, d’une part, de l’envie de posséder ce restaurant de la classe aisée et, d’autre part, d’une impuissance qui préfère détruire plutôt que de ne pas pouvoir jouir. La destruction est une forme de possession puisqu’elle dépossède quiconque de l’objet détruit.

Cette colère d’envie inédite a même failli menacer le président Macron lors de son déplacement au Puy-en-Velay, le 4 décembre 2018, où sa voiture a été coursée par des manifestants. Cette nuit-là, le président a eu peur pour sa vie, comme le racontent les journalistes Cécile Amar et Cyril Graziani dans Le peuple et le président, le récit inédit d’un face-à-face historique. Cet évènement aurait constitué pour lui un électrochoc.

L’ENA bouc émissaire 

Le président Macron a décidé de répondre à l’indignation du peuple par l’annulation de la hausse de la « taxe carbone » et la revalorisation du SMIC, mais il a aussi paru vouloir sacrifier à l’envie en annonçant, dès avril 2019, parmi les premières mesures nées du grand débat national lancé pour répondre à la crise des gilets jaunes, la suppression de l’ENA.

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Ce faisant, l’ENA est devenue symboliquement la victime expiatoire de la crise, le bouc émissaire de tous les maux dont les Français souffraient, et notamment, de la déconnexion des élites des réalités du peuple. Le peuple a eu la tête de l’école de la noblesse d’État, qui remplace l’aristocratie de naissance par l’aristocratie de diplôme et qui octroie des privilèges tels que l’accès aux grands corps de l’État (Inspection générale des finances, conseil d’État, Cour des comptes), aux cabinets ministériels et à l’investiture politique, et permet le pantouflage lucratif dans les entreprises privées. La suppression de l’ENA, symbole de l’élite et de la méritocratie républicaines ne peut que ravir les envieux car, enviant les méritants, ils abhorrent le mérite. Dans Suréna, Corneille avertissait que : « Jamais un envieux ne pardonne au mérite ». [3] De même, dans ses Mémoires d’Outre-Tombe, Chateaubriand, soulignait que : « Ces pauvres envieux, en raison de leur secrète misère, se rebiffent contre le mérite […] » [4].

La montée de l’envie en France

La montée de la violence et de l’égalitarisme forcené qui rejette jusqu’au mérite sont deux des signes les plus manifestes d’une intensification de l’envie en France. De ce mal, on ne peut totalement se défaire en démocratie, car il est consubstantiel à ce régime politique. Tocqueville avertissait ainsi : 

« Il ne faut pas se dissimuler que les institutions démocratiques développent à un très haut degré le sentiment de l’envie dans le cœur humain. Ce n’est point tant parce qu’elles offrent à chacun des moyens de s’égaler aux autres, mais parce que ces moyens défaillent sans cesse à ceux qui les emploient. Les institutions démocratiques réveillent et flattent la passion de l’égalité sans pouvoir jamais la satisfaire entièrement. Cette égalité complète s’échappe tous les jours des mains du peuple au moment où il croit la saisir, et fuit, comme dit Pascal, d’une fuite éternelle ; le peuple s’échauffe à la recherche de ce bien d’autant plus précieux qu’il est assez près pour être connu, assez loin pour n’être point goûté. La chance de réussir l’émeut, l’incertitude du succès l’irrite ; il s’agite, il se lasse, il s’aigrit. Tout ce qui le dépasse par quelque endroit lui paraît alors un obstacle à ses désirs, et il n’y a pas de supériorité si légitime dont la vue ne fatigue ses yeux » [5].

En démocratie, on ne peut donc que s’efforcer de contenir l’envie.

L’admiration et la gratitude comme remède

Deux émotions principales le permettent : l’admiration et la gratitude ; d’où l’importance accordée par Tocqueville à l’influence des mœurs et de la religion dans le maintien de la république démocratique américaine. Par mœurs, Tocqueville désigne ce qu’il appelle les « habitudes du cœur » et, plus généralement, « tout l’état moral et intellectuel d’un peuple » [6].

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Il affirme que c’est la religion qui dirige les mœurs et règle la famille. Il fait ainsi observer : 

« Qu’en Europe, presque tous les désordres de la société prennent naissance autour du foyer domestique et non loin de la couche nuptiale. C’est là que les hommes conçoivent le mépris des liens naturels et des plaisirs permis, le goût du désordre, l’inquiétude du cœur, l’instabilité des désirs. Agité par les passions tumultueuses qui ont souvent troublé sa propre demeure, l’Européen ne se soumet qu’avec peine aux pouvoirs législateurs de l’État » [7].

La famille et la religion sont effectivement les deux institutions qui façonnent les mœurs et où se cultivent l’admiration et la gratitude – les Anciens auraient dit la piété – sans lesquelles l’envie ne peut plus être réprimée.

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[1] Emmanuel Macron, Révolution, p.34.

[2] https://www.huffingtonpost.fr/2017/10/03/decidement-les-passions-tristes-de-ses-opposants-passionnent-vraiment-macron_a_23231587/

[3] Pierre Corneille, Suréna, Acte V, scène 3.

[4] François-René de Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe Tome V, Paris, Garnier, 1910, 3ème Partie, Livre XIII, p.215.

[5] Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique I, Gallimard, folio histoire, 1986, Deuxième Partie, Chapitre V, p.300.

[6] Ibid., Chapitre IX, p.426.

[7] Id., p.432



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