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Le meilleur de Philip Roth en Pléiade


Le meilleur de Philip Roth en Pléiade
Philip Roth, New York, 2008. © Nancy CRAMPTON/Opale/Leemage

Un nouveau volume de la Pléiade nous propose cette saison de revenir sur des livres majeurs de Philip Roth, période autofiction…


Le romancier américain Philip Roth (1933-2018) est réputé pour avoir développé une œuvre littéraire en dehors des préjugés courants.

En 1969, quand il publie La Plainte de Portnoy, son premier grand succès, il doit subir les reproches outrés de la communauté juive dans laquelle il a été éduqué.

Roth conservera, durant toute sa carrière littéraire, cette liberté d’expression, qu’on pourrait définir aujourd’hui comme un « antiwokisme » de base, pour reprendre une expression courante, c’est-à-dire un art du « politiquement incorrect » qui tente de remettre l’homme à sa place originelle dans les rouages de la société.

Métamorphoses et simulacres

L’écrivain, à cette époque, parle de sa personne de manière parfaitement réflexive, et presque « narcissique », comme le diraient ses détracteurs. Vous y trouverez d’abord la trilogie Zuckerman enchaîné (comprenant L’Écrivain fantôme, Zuckerman délivré et La Leçon d’anatomie) suivie d’un épilogue (L’Orgie de Prague) ; puis le très fameux La Contrevie, l’un des sommets de l’œuvre ; et enfin une autre trilogie autobiographique, composée des Faits, de Tromperie (récemment adapté au cinéma par Arnaud Desplechin) et de l’émouvant Patrimoine, sur la mort de son père. Un bel ensemble dans lequel Philip Roth s’expose au premier plan, s’affublant de divers masques, et réservant au personnage de Zuckerman, son double transparent et fantasmé, les métamorphoses et les simulacres les plus extravagants.

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Les amateurs de Philip Roth, bien sûr, auront déjà lu tous ces livres, qui appartiennent aux années 1979-1991, et qui ont tous été traduits en français à l’époque. L’intérêt d’une Pléiade, néanmoins, est de proposer un appareil critique détaillé, afin de guider la lecture dans tel ou tel sens, et, sans doute, de mettre en valeur l’auteur. Autrefois, Roland Barthes avait annoncé la « mort de l’auteur ». C’était un peu prématuré, surtout lorsqu’on tombe ensuite sur les romans d’un Philip Roth. Certes, une certaine ambiguïté demeure, prévisible avec ce romancier, qui était capable des plus grandes prouesses stylistiques.

Comme le dit Philippe Jaworski dans son introduction : « l’écrivain a utilisé les moyens de son art (le style) pour brouiller les frontières ontologiques qui séparent les trois acteurs du jeu littéraire : l’auteur, son personnage et le lecteur ».

Le théâtre du « moi »

Le titre même de La Contrevie, par exemple,exprime cette difficulté dont Roth essaie de venir à bout. Il s’agit sans conteste d’une « expérimentation » autour du « je » de l’auteur, expérimentation centrale dans laquelle celui-ci se perd pour mieux se retrouver, sans du reste y parvenir toujours complètement. Bref, une « métafiction », au sens le plus radical du terme, auprès de laquelle bon nombre d’autofictions littéraires actuelles paraîtront trop sages. Les Faux-monnayeurs de Gide pourraient en être l’ancêtre lointain. La notice de La Contrevie explique ainsi que Philip Roth tente, dans ce roman, « d’interroger la nature d’un réel qu’il conçoit comme éminemment instable, chaotique et mouvant, toujours rétif à l’emprise des mots. » Nous sommes ici sur une véritable scène théâtrale, où souffle un ouragan. Philip Roth écrit dans un passage de La Contrevie : « Je suis un théâtre et rien d’autre qu’un théâtre. »

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Et donc, tout finit mal, dans la solitude et l’échec. Philip Roth est un romancier qui perçoit, derrière les apparences trompeuses du réel, l’envers du décor. Le fait qu’il soit juif souligne peut-être cette tendance pessimiste. C’est un mérite des notices de cette Pléiade de le montrer, même si Roth ne s’étend pas sur le sujet. Mais le thème est là, secret, presque par défaut. « Les ellipses et les fractures du récit, nous dit la notice de L’Orgie de Prague, renvoient à l’impossibilité de pleinement comprendre, reconstruire ou transmettre le texte de la Shoah, cet événement qui, nous l’avons vu à propos des romans qui précèdent, constitue la matrice même de l’invention, la source de l’impulsion narrative, le centre de silence et d’absence où l’ensemble de la trilogie puise son dynamisme et son sens. » Et dans ce contexte, l’écrit demeure le seul espoir contre la dispersion et l’oubli définitif.

Sous la tête du cheval

J’ai bien sûr un faible pour les pages de L’Écrivain fantôme dans lesquelles Roth ressuscite, durant un instant magique, Anne Frank sous les traits de la ravissante et très brillante Amy Bellette. Dans ce roman d’initiation, on s’en souvient, le jeune Zuckerman rend visite au « grand prêtre de la littérature juive américaine », qui pourrait ressembler à l’immense Bernard Malamud. Est-ce encore pour insister, d’une belle manière, sur le « tissu de fictions » dont la vie est faite ? Et puis, comment ne pas penser à la magnifique nouvelle du même Bernard Malamud, « Le cheval qui parle », dans laquelle, à la fin, lorsqu’on retire la tête du canasson, on trouve ‒ évidemment ‒ un être humain ? 

Voilà donc un très beau volume de la Pléiade consacré à Roth, qui me semble encore plus réussi que le premier. Il rassemble des œuvres de la maturité, tout ce que Philip Roth a donné de meilleur. Lui aussi a ôté la tête du cheval, et en-dessous, croyez-moi, la surprise est toujours très belle et souvent très drôle ‒ car Roth, en plus, n’est jamais en panne d’humour.

Philip Roth, Romans et récits (1979-1991). Édition publiée sous la direction de Philippe Jaworski, avec la collaboration de Brigitte Félix, Aurélie Guillain et Paule Lévy. Éditions Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade ».

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Jacques-Emile Miriel, critique littéraire, a collaboré au Magazine littéraire et au Dictionnaire des Auteurs et des Oeuvres des éditions Robert Laffont dans la collection "Bouquins".

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