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Le crépuscule de la civilité française

Tout se tient !


Le crépuscule de la civilité française
Camille, atteinte par une maaldie rare, adresse un message à Kylian Mbappé. ©Twitter - Association Un Sourire Pour Camille

 Tout se tient mais tout ne se vaut pas…


Quand un jeune est jugé devant la cour d’assises du Gard pour avoir tué une femme de 39 ans, au seul motif de voir la sensation que cela donnait – il a été « déçu », dit-il -, j’ai bien conscience que nous sommes là dans un comble de l’horreur, incommensurable au sens propre.

Pourtant, à constater chaque jour, dans la lumière comme dans l’ombre, que ce qui constituait notre société comme civilisée se délite, s’efface, se laisse remplacer, avec une sorte de masochisme qui ne se bat même plus, par le vulgaire, le grossier, le mépris d’autrui, la violence verbale ou physique et, signe beaucoup plus inquiétant ces derniers temps, la dévastation de l’innocence et plus particulièrement de l’enfance qui n’est plus un bouclier contre les ignominies, on se dit que le pire a essaimé partout.

Notre descente aux enfers

S’il est infiniment divers dans sa matérialité et ses conséquences, il révèle l’appétence non plus seulement d’une minorité mais d’une majorité peu à peu gangrenée, stimulée et excitée pour ce qui est le contraire d’un art de vivre ensemble, de relations qui, à défaut de pouvoir toujours être apaisées, pouvaient au moins échapper à la brutalité, à la pauvreté du fond et à l’indécence de la forme. Pour qui scrute les symptômes de cette descente aux enfers, il y a mille preuves de cette défaite sans rémission, mille exemples de la disparition d’un passé qui imparfait certes offrait au moins la garantie d’une tenue, d’une allure homogènes. En effet, je serais naïf si je déniais qu’hier des transgressions ponctuelles graves pouvaient aussi se produire mais la politesse et la culture interdisaient qu’elles soient tellement répandues que personne n’était à l’abri. Comme c’est le cas aujourd’hui.

À lire aussi, du même auteur: Services publics, « sévice » public ?

Il y a bien sûr la responsabilité des réseaux sociaux qui enregistrent, filment, transmettent et diffusent souvent l’ignoble mais avant il y a la création de celui-ci. Il y a aussi l’autonomie d’une malfaisance qui sévirait même si elle n’était pas montrée à beaucoup. Je songe à cette petite fille de huit ans atteinte par une maladie rare qui a fait l’objet d’attaques indignes parce qu’elle avait demandé à Kylian Mbappé, qui la défend et la soutient, de rester au PSG.

J’ai dans la tête les propos orduriers de Booba contre Stromae dont la chanson magnifique sur TF1 – sur ses pensées suicidaires – a ému et été plébiscitée. J’intègre aussi que sur les blogs, sur Twitter, et moins sur TikTok, il est souvent plus porteur de démolir humainement que de contredire intellectuellement. Je ne néglige pas le fait que sur trop de médias le progressisme est de salir le langage pour exprimer une pensée ou une dénonciation généralement squelettiques. Je fais le compte des multiples incidents qui voient l’élève frapper le maître, les parents du premier insulter le second, l’irrespect se substituer à la déférence et l’accessoire périphérique remplacer le savoir central. Je ne passe pas sous silence la dégradation des débats politiques où la justification par un prétendu parler-vrai n’est qu’un prétexte pour se concéder le droit à des offenses personnelles et à des insultes. Le verbe n’est plus une contradiction maîtrisée mais une vulgarité assumée. Je ne fais pas l’impasse sur la pauvreté fréquente des questionnements médiatiques qui n’ont pour but que d’afficher une conviction et non pas celui de faire connaître celle des invités.

À lire aussi, Sophie Bachat: Stromae sur TF1: une séquence déjà culte?

L’Élysée ne montre pas l’exemple

Il serait malhonnête de ne pas attirer à nouveau l’attention sur le « j’emmerde » présidentiel qui, au-delà des non-vaccinés, montre sans fard que l’Élysée n’hésite pas à se délier de tout et d’abord de l’exemple qu’il doit donner. Peu ou prou, chacune à sa manière, ces extrémités sont violence, culte de soi illimité et baisse du niveau.

Tout se tient mais tout ne se vaut pas.

Le plus grand obstacle à la restauration d’une forme même minimaliste de civilité est le refus précisément d’admettre que tout se tient, du dérisoire au gravissime. Rien n’est neutre, indifférent ou bénin. Les vulgarités sont connectées, le pouvoir transgressant gangrène la base, les médias incorrects influencent mal, le langage dévoyé fait école et la société s’abandonne peu ou prou à un cloaque. Le comble est de voir dans cette libération de mauvais aloi un progrès.

Elle signe plus un crépuscule qu’une aurore.



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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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