De la convergence des luttes à la convergence des haines…
Contrairement à ce que l’on entend souvent, l’âge d’or (si on peut s’exprimer ainsi) des bûchers de sorcellerie ne se situe pas au Moyen Âge – trop souvent considéré plus obscurantiste qu’il ne l’était en vérité – mais plus tard, entre la fin du XVème siècle et, peu ou prou, celle du XVIIème. Il faut ici citer Michelet : « Un gouvernement tout laïque, celui du grand Colbert (qui fut longtemps le vrai roi) ne cache pas son mépris pour ces vieilles questions. Il vide les prisons de sorciers qu’y entassait encore le Parlement de Rouen et défend aux tribunaux d’admettre l’accusation de sorcellerie (1672) ».
L’aberration mentale de ces procédures, de cette justice diabolique et de ces châtiments atroces fleurit donc à une époque d’intense développement intellectuel, culturel. Certes, on aurait spontanément un peu de mal à le croire, mais la folie inquisitoriale est contemporaine des Rabelais, Guillaume Budé, Théodore de Bèze, Michel de l’Hôpital, Montaigne, La Boétie, Boileau, Corneille, Molière, Pascal, Descartes, etc. J’en oublie, bien sûr.
Le démonologue – car « science » démonologique il y a, la débilité délirante ne manquant jamais une occasion de se hausser du col – Pierre de Rostéguy de Lancre qui mit à feu et à sang le Pays Basque dans l’année 1609 – environ quatre-vingt femmes réputées sorcières envoyées au bûcher sous son magistère en quatre mois, de mai à août – pouvait se flatter d’être par ailleurs homme d’esprit, conseiller au Parlement de Bordeaux, auteur d’ouvrages philosophiques et, cerise sur le cake empoisonné, parent par alliance de Michel de Montaigne. Avant lui, un Jean Bodin commit lui aussi de retentissants traités de démonologie et, en qualité d’expert en la matière, contribua sans sourciller à envoyer des dames au bûcher. Alors même qu’il compte parmi les têtes pensantes les plus estimables de son temps. En économie, il conçut avant tout le monde, par exemple, les effets de l’inflation. En science politique, là aussi en précurseur remarquable, il conceptualisa l’Etat de droit. Enfin, soucieux de tolérance religieuse (mais si…), il donna sur la fin de sa vie son fameux Colloquium Heptaplomeres où il fait intervenir sept sages de sept confessions différentes (Une sorte de syncrétisme en miroir inversé de celui réalisé par la terreur inquisitoriale, puisque les autorités catholiques, protestantes aussi bien que laïques s’y sont toutes adonnées avec ardeur).
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Cela n’empêchait nullement l’un et l’autre – Lancre et Bodin – de croire dur comme fer que des femmes, consumées de la fameuse furor uterinus (comme, sont-ils persuadés, elles le sont toutes) volent de sabbat en sabbat chevauchant des manches à balai à la symbolique sexuelle des plus parlantes et font profession, d’un seul regard en coin, de rendre impuissantes des populations entières de mâles.
Durant près de deux siècles cette fiente de l’esprit a régné, semant la terreur, faisant de la délation la « bonne action » quasi-quotidienne des braves gens, et du soupçon le pain ranci de chaque jour.
Ces choses précisées afin que personne n’aille s’imaginer que le niveau culturel et intellectuel d’une société ou de ses élites suffirait à la mettre à l’abri des égarements, des ignominies, des monstruosités, des ravages que porte en elle la toute-puissance de l’irrationnel. L’Allemagne a produit, certes, Mozart et Kant, Hölderlin, Rilke et tant d’autres, mais aussi la triplette infernale Hitler, Goebbels et Goering… On pourrait aisément multiplier les exemples.
Cette toute puissance de l’irrationnel, dont la perversion inquisitoriale se goinfre, repose sur deux piliers : l’abolition du réel et la capacité infinie à se repaître, non pas d’une convergence des luttes – ce qui serait du domaine du rationnel – mais de la convergence des haines. Or quoi de plus bourrelé d’irrationnel que la haine ? Les faits objectivement observables, la réalité, ne sont plus rien. Seul le discours existe. Le délirant discours qui vise, justement, à tenir lieu de réalité. C’est ce à quoi on assiste aujourd’hui. Avec notamment la pure folie wokiste qui nie le réel, la matérialité du fait jusqu’à celui tout simple et entraînant pourtant consensus depuis l’aube des temps : avoir ou n’avoir pas une zigounette entre les cuisses. Pour le wokiste éclairé, ce fait n’existe pas et le discours sur le genre est là pour tenir lieu de zigounette. Quant à la capacité de l’irrationnel à se muer en réceptacle de la convergence des haines, nous l’avons aussi aujourd’hui sous les yeux avec la déferlante anti-sémite de ces derniers jours. Le Juif exutoire de toutes les paranoïas rampantes ou avérées. Bouc émissaire comme jamais.
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Irrationnel, disais-je. Quand les LGBT+ s’associent aux manifestations de soutien à la Palestine, pour ne pas dire au Hamas, que font-ils sinon glorifier ceux-là mêmes qui les pendraient haut et court, les lapideraient s’ils les avaient sous la main ? Pire, que font-ils d’autre – surtout! – sinon cautionner le traitement barbare, inhumain réservé à leurs frères en sexualité dans ces contrées dont ils encensent les tyrans ?
Parfois, un acte manqué, ou quelque chose de ce style-là (comme dirait ce bon vieux Sigmund) nous arracherait presque un sourire. Ainsi, de Monsieur Mélenchon qui, dans sa virulente condamnation de la manifestation de ce dimanche, osa ces mots : « Sous prétexte d’anti-sémitisme ». Oui, j’avoue, un sourire m’a échappé, parce que sous cette minable saloperie il me semble avoir décelé un aveu glaçant. Cette expression-là et non une autre lui est venue sous la plume tout simplement parce qu’elle est éminemment présente à son esprit. En effet, pour ce qui est de lui, c’est bel et bien « sous prétexte » de soutien au peuple palestinien qu’il lâche sans vergogne la bonde à son antisémitisme, à son très irrationnel anti-sémitisme. Ainsi, de temps à autre, au détour d’une inadvertance, le réel finit tout de même par affleurer.
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