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Israël / Gaza : ce que cache la « Marche du retour »

Derrière les violences à Gaza, une guerre civile latente


Israël / Gaza : ce que cache la « Marche du retour »
Jeunes palestiniens à la frontière entre Gaza et Israël, 2 avril 2018. Sipa. Numéro de reportage : 00852618_000023.

Derrière la vision simpliste qu’en ont la plupart des médias, la « Marche du retour » – qui a fait plusieurs morts vendredi 30 mars à Gaza – cache une réalité plus compliquée.


Vendredi dernier, des dizaines de milliers de Palestiniens se sont massés dans cinq points de la zone frontalière qui sépare la bande de Gaza d’Israël. Soudain, plusieurs centaines d’entre eux se sont mis en mouvement.

Une  « manifestation pacifique » avec des éléments armés

Avançant en terrain découvert vers les clôtures marquant la frontière, ils ont été arrêtés net par des tireurs d’élite postés du côté israélien. D’autres Palestiniens, armés ceux-ci, ont essayé de placer des charges explosives près de la clôture frontalière, tentant de se rapprocher des soldats israéliens pour leur tirer dessus ou profitant d’une brèche dans la clôture pour s’infiltrer en territoire israélien et commettre un attentat. Bilan humain : 17 palestiniens tués. La clôture a résisté et empêché une entrée massive de Palestiniens en territoire israélien. On ne peut qu’imaginer le bilan humain si jamais ce que les médias qualifient trop facilement de « manifestation pacifique » avait atteint son objectif, à savoir forcer la clôture et faire traverser la frontière à des (dizaines de) milliers de Palestiniens.

Il suffit des images, des reportages et des insinuations habituels (« Le Premier ministre israélien félicite l’armée après que celle-ci a tué 17 Palestiniens vendredi… ») pour que le message subliminal passe : les méchants Israéliens ont encore massacré d’innocents Palestiniens. Peu importe si entre un tiers (selon le Hamas) ou deux tiers (selon l’armée israélienne) des Palestiniens tués combattaient au sein de la branche armée du Hamas ou du Djihad islamique. A aucun moment la possibilité que la responsabilité repose sur un autre acteur qu’Israël n’a été évoquée. Pourtant, l’information est disponible, même en français.

L’autre « Nakba »

Observons ce que pense l’Autorité palestinienne elle-même de la situation à Gaza. Un peu d’analyse lexicographique permet d’éclaircir les choses. La création de l’Etat d’Israël en 1948 a été vécue comme une tragédie sous le nom arabe de « Nakba ». Ce mot signifiant désastre ou catastrophe désigne plus précisément la défaite des Arabes de Palestine au terme de la guerre civile qui les opposa aux Juifs du pays en 1947-1948 puis leur exode massif. C’est probablement le mot le plus chargé – émotionnellement et politiquement – dans ce lexique.

Pourtant, en juin 2017, l’Autorité palestinienne a repris ce terme pour qualifier le coup d’Etat que le Hamas avait perpétré à Gaza une décennie plus tôt. C’est en vain que vous chercherez cette information dans les articles sur les graves incidents survenus à la frontière entre Israël et la bande Gaza vendredi dernier. Il n’y est pas davantage fait mention de la tentative d’assassinat du Premier ministre de l’Autorité palestinienne Rami Hamdallah pendant une visite officielle à Gaza il y a à peine trois semaines.

En outre, l’Autorité palestinienne a diminué la rémunération de ses anciens fonctionnaires à Gaza (payés depuis une décennie sans rien faire mais contribuant largement à l’activité économique) et a cessé de fournir du fuel à Gaza. Bref, le tableau se précise : dans la lutte entre Ramallah (Fatah) et Gaza (Hamas), tous les moyens sont bons pour faire plier l’adversaire. D’autant qu’Israël portera toujours le chapeau. Ce n’est pas très compliqué : dans le cadre de la négociation politique entre Ramallah et Gaza sur une réconciliation et la reprise du contrôle de la bande de Gaza par l’Autorité palestinienne, cette dernière fait subir une forte pression économique aux habitants de la « prison à ciel ouvert ».

Si « La Marche du retour » avait réussi…

Mais le plus intéressant est un autre détail, cité en boucle sans que personne ne s’interroge sur son sens : qu’est-ce que « La Marche du retour » ? Et de quel « retour » s’agit-il exactement ? Le lecteur occidental pense spontanément au retour des réfugiés palestiniens dans leur pays d’origine. Or, tout dépend du « pays » dont on parle. Tandis que les Occidentaux y voient un synonyme de « patrie », c’est-à-dire le territoire de l’Etat-nation, de nombreux Palestiniens, notamment les habitants des camps de réfugiés de la bande de Gaza, entendent par là leur village. Ceux qui ont marché vers Israël vendredi dernier ne réclamaient donc pas une solution de nature politique (un Etat) mais aspiraient à retrouver les maisons qu’ils ont quittées il y a soixante-dix ans et dont ils ont souvent gardé la clé. Autrement dit, le projet d’un retour dans leurs foyers exige la destruction de l’Etat d’Israël.

Quoi qu’on en dise, les Palestiniens ne sont pas dans le double langage. Beaucoup d’entre eux se trouvent simplement dans une phase de l’évolution de leur culture politique qui leur empêche de distinguer propriété et souveraineté, clan et nation.

Ceux qui critiquent, parfois à raison, le gouvernement israélien, devraient donc se souvenir des raisons pour lesquelles les électeurs israéliens votent pour Netanyahou. Depuis qu’Israël a totalement évacué la bande de Gaza en 2005, les Israéliens estiment qu’une majorité de Palestiniens reste incapable d’accepter la moindre solution politique.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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