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Gilets jaunes: quand la justice se prend pour la police

La justice est là pour rendre justice, pas pour rétablir l'ordre


Gilets jaunes: quand la justice se prend pour la police
Christophe Castaner et Nicole Belloubet, octobre 2018. Liewig Christian-POOL/SIPA 00878663_000046

Que se passe-t-il dans la magistrature française ? Dans le silence obstiné des organisations syndicales, un pouvoir aux abois semble avoir instrumentalisé une répression judiciaire sans précédent pour tenter de mater un mouvement social. Il y a la stratégie du ministère de l’Intérieur autour de la violence pour tenter de disqualifier le mouvement. Mais, malheureusement, la magistrature accepte ces dérives et joue sa partition dans ce qui s’apparente, désormais, à une entreprise de masse qui entretient des rapports très lointains avec l’État de droit dont on nous rebat pourtant les oreilles.

Ceci n’est pas de la justice

Cravachés par Nicole Belloubet en personne (!) se déplaçant au tribunal de Paris un dimanche, et par les interventions permanentes de la place Vendôme voire de Matignon – y compris des instructions individuelles pourtant interdites par la loi -, les parquets déchaînés basculent avec zèle dans la sanction de masse, font procéder à des arrestations souvent préventives, par milliers, défèrent également par milliers des gens devant les tribunaux, à l’aide de procédures d’urgence dans lesquelles, par des réquisitoires violents, ils demandent des peines folles. Et, de façon stupéfiante, la magistrature du siège a accepté de rentrer dans cette logique et distribue en cadence des peines ahurissantes. Depuis le début du mouvement, plus de 5000 arrestations, 1000 condamnations, 350 personnes incarcérées sur la base d’incriminations parfois farfelues. Et avec des interprétations de la loi répressive souvent audacieuses, pour ne pas dire plus. Désolé, mais ceci n’est pas de la justice, c’est de l’abattage.

Et manifestement, c’est loin d’être fini. Des anecdotes effarantes remontent de toute la France sur ce qui est en train de se passer. Tel sera condamné à six mois de prison ferme pour avoir partagé un statut sur Facebook, tel autre à 28 mois tout aussi fermes, sans avoir été défendu par un avocat, au prétexte, selon la présidente du tribunal, que cela n’aurait rien changé. Dans tel département, le procureur et le préfet font conférence de presse commune pour menacer : « La justice sera impitoyable ! » Depuis quand sont-ce les procureurs et les préfets qui jugent ? Jusqu’à nouvel ordre, dans une démocratie, ils sont responsables du maintien de l’ordre, pas de rendre la justice. Ailleurs, il semblerait bien que le procureur ait organisé une forme de « comité de salut public » chargé de fournir les charrettes, et on dit que les juges du siège qui vont juger le font sur la base du volontariat !

Castaner, ministre de la Menace

Naturellement, les pressions se font nombreuses contre les avocats qui s’élèvent contre ces dérives et font leur devoir. Gare à la fermeté, l’exigence ou la passion, les plaintes du parquet contre les défenseurs dégringolent immédiatement. Et, naturellement, il y a le refus obstiné de se pencher sur la multiplication des violences policières, sur l’usage incroyablement excessif de la force. Notamment avec les flashs ball et les grenades de désencerclement utilisés en violation de règles pourtant claires. Et puis il y a bien sûr la violence directe, arbitraire, dont de multiples vidéos donnent de tristes exemples. Cette impunité, qui ne peut qu’être un choix délibéré, provoque fatalement l’émotion et la rage. Le procureur de Toulon ayant sous les yeux les vidéos du commandant Didier Andrieux permettant de voir parfaitement à qui on avait affaire a trouvé le moyen de se déshonorer en refusant immédiatement toute enquête au motif que le comportement du commandant frappeur aurait été « proportionné ». On rappellera que, par le passé ce n’était pas l’avis de ses subordonnés, et que le préfet, plus malin et devant l’évidence, a demandé une enquête de l’IGPN.

Dans cette ambiance, et comme les tribunaux les suivent, comment s’étonner que les ministres les plus déplorables se permettent de proférer des menaces, comme le font tous les jours Christophe Castaner, Benjamin Griveaux ou Marlène Schiappa qui viennent d’inventer une nouvelle définition de la complicité et exigent des arrestations préventives ! Comment s’étonner qu’un Premier ministre dont on attendait peut-être un peu plus de tenue annonce des mesures législatives liberticides qui vont finir par faire envie à Erdogan ?

Justice aux ordres

Alors vient à l’esprit une question : comment le corps de la magistrature, dont les organisations syndicales aujourd’hui muettes nous rappellent son indépendance et son impartialité depuis 30 ans, accepte-t-il de devenir ainsi l’instrument de la violence d’un parti de l’ordre à ce point déchaîné ? Comment oublie-t-on ainsi que la justice se rend au nom du peuple français ? Personne pour sauver l’honneur ? Aucun procureur dont la parole est libre à l’audience pour refuser les ordres de Belloubet ? Aucune juridiction pour se rappeler que sa mission n’est pas de rétablir l’ordre mais de rendre la justice. Dans le respect de la loi, quoi qu’il arrive. Ce n’est pas, semble-t-il, le choix qui a été fait.

Pour illustrer l’ampleur du mal on citera Madame Noëlle Lenoir, ancienne ministre et ancien membre du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel – donc juriste affirmée – qui nous dit dans un tweet « que la justice doit être réellement faite par les tribunaux dont la responsabilité est immense pour restaurer l’ordre ».

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Quelqu’un pour rappeler à cette aimable Versaillaise (dans le sens que la Commune lui a donné), manifestement en panique, que la mission de restauration de l’ordre est celle de l’exécutif, et que pour les tribunaux c’est celle de la justice ?

Alors il est vrai que, depuis une trentaine d’années, on pouvait espérer que la justice française et le corps des magistrats qui la rend s’étaient enfin émancipés de leur soumission au pouvoir mais avait aussi abandonné leur vieille culture qui leur avait toujours fait préférer l’ordre à la justice. Depuis 1940, un certain nombre d’épisodes douloureux les avaient marqués et généré une véritable volonté d’émancipation. Malheureusement, depuis quelques années, grâce une forme d’alliance avec les médias, les magistrats se sont pensés débarrassés de la tutelle de l’État. Sans mesurer que celui-ci, lui imposant un invraisemblable déficit de moyens, continuait à les tenir en laisse.

Le parti de la Justice

On a ainsi assisté à une série de dérives, généralement orchestrées par les institutions d’exception que sont le Parquet national financier (PNF) et le Pôle d’instruction financier, systématiquement couvertes par les juridictions supérieures. D’abord la chasse au Sarkozy sous Hollande, ensuite la destruction judiciaire de la candidature présidentielle de François Fillon, applaudie à tout rompre par les syndicats et la hiérarchie judiciaire. Il faut cesser de finasser : le contester aujourd’hui relève du grotesque. De ce point de vue, la sincérité du scrutin de la présidentielle a été faussée. Comme elle l’a été par les moyens financiers et médiatiques massifs, pour la plupart illégaux, qui ont été utilisés à l’appui de la candidature Macron, et qui n’ont pas arraché une plainte aux organes de contrôle et à la justice.

C’est d’ailleurs cette illégitimité initiale qui explose à la figure de celui qui en avait été le bénéficiaire. Une fois le jeune roi au pouvoir, il y a eu la protection judiciaire dont a bénéficié son entourage et sa cour. C’est Richard Ferrand, Muriel Pénicaud, Gérard Collomb, Ismaël Emelien et quelques autres. Avec à leur tête la star de la complaisance judiciaire : Alexandre Benalla. L’homme qui embarque et planque son coffre-fort sous le nez de la police sans que cela arrache un froncement de sourcils au procureur, qui prétend grossièrement contre l’évidence n’avoir été en possession que d’un pistolet à eau, que l’on maintient sous le statut de témoin assisté, qui semble depuis son départ de l’Élysée multiplier les infractions sans que, là aussi, il ne se passe grand-chose. Jusqu’à cet article récemment paru dans le Canard enchaîné où l’on apprend que, pour François Bayrou – qui connaît les mêmes soucis d’assistants parlementaires au Parlement européen que le Rassemblement national et La France insoumise -, il aurait été demandé au Parquet de n’effectuer absolument aucune investigation susceptible de chagriner le maire de Pau.

©Le Canard Enchaîné, 2 janvier 2019.
©Le Canard Enchaîné, 2 janvier 2019.

La contrepartie de cette incroyable mansuétude, c’est la multiplication des avanies judiciaires contre le Rassemblement national, et contre Jean-Luc Mélenchon et son parti. N’en jetez plus ! Dernière petite cerise sur le gâteau de ces dérives, la récente publication par la presse du réquisitoire du PNF demandant le renvoi de François Fillon devant le tribunal correctionnel, parfait hasard du calendrier bien sûr.

La justice du parti

On pouvait penser que cette connivence de la haute fonction publique judiciaire avec le plus haut niveau du pouvoir d’État reposait sur des affinités sociologiques, idéologiques, voire politiques, et ne concernait que cette couche. Mais ce qui vient de se produire, cette façon dont l’appareil judiciaire s’est mis avec zèle au service d’une proscription de masse contre le mouvement des gilets jaunes, avec une violence sans précédent depuis la fin de la guerre d’Algérie, démontre que le mal est beaucoup plus profond. La justice française se voit comme un outil de maintien de l’ordre au service du pouvoir en place.

J’avais écrit, il y a une quinzaine d’années à propos de l’affaire d’Outreau, que les magistrats gardaient une culture qui leur fait préférer l’ordre à la justice. C’est toujours le cas aujourd’hui, et la démonstration que l’on vient de nous faire est une véritable catastrophe institutionnelle. La défiance envers l’institution judiciaire va redevenir massive, et pour très longtemps.



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