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Ils ont tenté de dresser le peuple contre la police

La "politique" sécuritaire du gouvernement est un échec de plus


Ils ont tenté de dresser le peuple contre la police
A Paris, lors de l'acte IX des gilets jaunes, le 12 janvier 2019. Marin Driguez/SIPA 00890632_000001

Pour tenter de reprendre la main, le gouvernement a donné l’impression d’instrumentaliser les « violences » qui ont lieu en France pour dresser le peuple et la police l’un contre l’autre. Cette « politique » de pompiers pyromanes a été douchée par l’acte IX des gilets jaunes.


Alors que le neuvième acte de la mobilisation des gilets jaunes se caractérise par un rebond de la participation, il semble bien que la stratégie de l’exécutif pour appréhender cette révolte populaire soit tenue en échec.

Cette stratégie, pour autant qu’elle ait correspondu à une pensée élaborée, a principalement consisté à placer le curseur sur les questions sécuritaires tout en attisant par des attitudes sectaires, des déclarations provocatrices et des propos clivants une colère qui n’en demandait pas tant.

Ces « foules haineuses » qui n’ont pas le « sens de l’effort »

Au fil des semaines en effet, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner, le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux et le président Emmanuel Macron lui-même, en parfaits pompiers pyromanes, n’ont cessé de jeter de l’huile sur le feu d’une manière pour le moins déconcertante. On ne compte plus les petites phrases idiotes, malvenues ou carrément fausses, plantées comme autant de banderilles dans ce que l’exécutif a tenté de transformer en pathétique corrida, qu’il s’agisse des « foules haineuses » ou de tous ces impotents qui par absence de goût pour l’effort n’ont pas consacré dix ans à fabriquer une baguette de pain, de la radicalisation annoncée des mesures gouvernementales, de l’assimilation systématique des gilets jaunes aux « casseurs » ou encore de la théâtralisation des inévitables débordements auxquels une révolte sociale de cette ampleur ne peut que donner lieu sur ses marges.

L’épisode grotesque de la guerre des cagnottes et les déclarations loufoques du staff macronien, Marlène Schiappa et Aurore Bergé en tête (de linottes ou de gondoles, nul ne sait…), auront parachevé ce déplorable édifice qui ne fait pas honneur à la noblesse politique ni à la hauteur de vue requise par le sens de l’intérêt général et commandée par la gravité de la situation.

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Cette absence de discernement et d’intelligence tactique dans la gestion de la crise pourrait sembler incompréhensible si l’on ne gardait pas bien présent à l’esprit qu’elle constitue l’ADN communicationnel et idéologique du macronisme, en tout cas du macronisme de campagne, lequel n’a pas su se transformer ensuite en une proposition rassembleuse et large une fois parvenu au pouvoir. Il s’est toujours agi d’hystériser les débats, de creuser les clivages, de lancer des anathèmes contre des adversaires politiques et des portions entières de l’électorat transformés en ennemis : cette hystérisation de l’opposition politique et du débat public est essentielle, vitale au vote « castor » et à son imaginaire manichéen, et l’on voit par conséquent mal pourquoi elle aurait soudainement disparu alors que de nouvelles élections approchent. Puisque cette carte a marché une fois, on tente de la rejouer indéfiniment, d’autant que c’est la seule dont on dispose.

Tentative d’enfumage

C’est selon cette logique de stigmatisation politique outrancière que d’invraisemblables entorses aux libertés fondamentales sont énoncées ou mises en œuvre depuis quelques semaines, sur fond de soumission stupéfiante du pouvoir judiciaire. Arrestations arbitraires, non condamnation des violences policières, entraves à la liberté de manifester, détentions injustifiées, pressions pour une justice expéditive et des procès pour l’exemple, mépris des droits de la défense, tentatives d’incriminations collectives pour « complicité » (selon Christophe Castaner) au détriment des règles les plus élémentaires de la personnalité de la peine, mépris de la présomption d’innocence, etc. : on ne compte plus les dérives autoritaires de cet exécutif aux abois qui n’a plus du droit qu’une vision perdue dans les vapeurs de gaz lacrymogène généreusement répandu de-ci delà sur le peuple français.

Attiser les braises pour pouvoir ensuite se poser en rédempteur d’un ordre qui n’a de républicain que le nom : la tactique est simple et aurait presque pu fonctionner. Elle a d’ailleurs permis de ramener vers le pouvoir un certain nombre d’électeurs de la droite classique mais aussi de la gauche dite républicaine qui sont, légitimement, exaspérés par le désordre, par les dégâts causés sur leur activité professionnelle, mais aussi tout simplement marqués par certaines images qui les choquent.

Une histoire de la « violence »

Pourtant, en dépit de cette stratégie, le soutien aux gilets jaunes demeure majoritaire dans les sondages et la mobilisation repart en nette hausse, comme en témoigne la journée du 12 janvier également marquée par un très net recul des faits de violence et des débordements. Et c’est ici que réside l’autre grand échec de la stratégie polarisante du pouvoir macronien, laquelle a consisté depuis des semaines à placer le curseur sur les questions sécuritaires en tentant (avec une certaine réussite) de monter le peuple et sa police l’un contre l’autre.

Cette instrumentalisation manifeste des questions de violence présente de nombreux avantages pour l’exécutif. Tout d’abord, c’est le moyen le plus simple et efficace pour frapper les esprits : les images du tag et des débordements sous l’Arc de Triomphe étaient de ce point de vue idéales puisque s’y ajoutait d’emblée la symbolique de la flamme républicaine du soldat inconnu qu’il importait au pouvoir de protéger, reliant ainsi son action à celle de glorieux aînés morts pour la France. Peu importait en l’occurrence que ce soit des gilets jaunes qui aient de facto protégé la flamme en établissant un cordon sanitaire contre les casseurs et en entonnant la Marseillaise : seul comptait l’exploitation en boucle des images de dégradations.

Il en fut de même avec certaines images promptement transformées en symboles, comme celles de l’attaque supposée de la République par un transpalette ou, plus spectaculairement encore, de la scène de boxe puis de violente bagarre entre le gitan de Massy Christophe Dettinger et des CRS. Peu importe qu’on ne sache toujours pas qui conduisait vraiment le transpalette (la piste de l’ultra-gauche est évoquée) ou que Christophe Dettinger ait très rapidement ensuite produit une vidéo dans laquelle il reconnaissait son erreur sans s’en vanter contrairement à ce que n’aurait pas manqué de faire une vulgaire racaille, qu’il se soit de lui-même présenté à la police, peu importent les témoignages des personnes présentes dont notamment une femme expliquant qu’il lui a probablement sauvé la vie en la débarrassant du CRS qui la violentait tandis qu’elle était au sol : on le placera jusqu’à son procès en détention provisoire contrairement à tout ce que prévoit le Code de procédure pénal et on s’efforcera d’en faire un exemple, ce qui n’est jamais compatible avec une justice équitable.

Donc les gilets jaunes sont des chats

Ce faisant, en théâtralisant ces débordements qui, en effet, n’ont pas lieu d’être (pas davantage que les violences policières ne sont justifiables, sachant toutefois que ces dernières sont commises avec des moyens autrement plus importants et systémiques), l’exécutif tient là un Graal permettant de jouer sur le sensationnalisme, sur l’émotion, en écartant opportunément toute forme de réponse politique de fond, celle-ci étant autoritairement reléguée au débat national dont presque tout le monde considère qu’il est mort-né puisqu’encadré par le pouvoir, lequel a de toute façon d’ores et déjà annoncé que cela ne changerait rien aux orientations du gouvernement dont on a même, après le Réveillon, évoqué l’intensification sous forme de « radicalisation ».

Cette instrumentalisation de la question sécuritaire avait plusieurs objectifs. Tout d’abord, enfermer chacun dans un exercice de morale imposée visant à condamner « la violence » (prise en bloc et sans nuance) en neutralisant toute forme de réflexion un tant soit peu élaborée et subtile y compris sur cette question même de la violence. Et, à partir de cette condamnation unanime, obtenir un consensus permettant de réduire l’ensemble des manifestants gilets jaunes aux violents afin de ne pas avoir à répondre sur le fond, à savoir sur les questions de pouvoir d’achat, de pénibilité de la vie pour les classes pauvres et moyennes, et surtout de déficit démocratique dans le mode actuel de fonctionnement des institutions (escamotage de la question pourtant judicieuse du RIC et de la proportionnelle à l’Assemblée).

Deux poids deux mesures

La culture de l’excuse et du relativisme qui a constamment été appliquée face aux violences urbaines des quartiers perdus de la République, cette culture qui conduisait Emmanuel Macron en visite aux Antilles à poser sur un selfie aux côtés de repris de justice faisant des doigts d’honneur, l’amenant à les chapitrer gentiment sur leurs petites « bêtises » (braquages et autres menues broutilles du même acabit), n’a soudainement plus été de mise dès lors qu’il s’est agi de comprendre les faits de violence d’un peuple en colère. Le grossier deux poids deux mesures n’aura échappé à personne.

Cette instrumentalisation de la question sécuritaire a aussi pour objectif, en rapatriant vers soi l’adhésion de la droite classique et des centristes qui n’aiment pas le désordre, de « gauchiser » le mouvement. Jouer la carte de la police contre la « chienlit » aurait presque pu fonctionner, quand bien même ce peuple-là chante la Marseillaise et arbore des drapeaux tricolores. On le sait, dans les conflits sociaux, jouer la carte du sociétalisme gauchiste qui vient contaminer depuis des lustres les luttes sociales ou politiques est toujours une arme redoutable et l’on a vu comment le ralliement des étudiants et la convergence des luttes ont miné le conflit contre la réforme de la SNCF. L’exécutif a tenté de rejouer cette même carte en opposant le peuple et sa police.

Tout le monde aime la police

C’était oublier deux choses. Le peuple qui est actuellement en colère est aussi celui qui subit le plus les effets des abandons de territoires par la puissance régalienne dont la police est la première victime. C’est un peuple qui aime son pays, se revendiquant d’ailleurs des « Gaulois réfractaires » raillés par le président Macron, peuple qui n’a du coup pas bien compris que sa propre police ne le soutienne pas davantage puisque tous deux portent les mêmes valeurs et les mêmes combats (y compris en termes de pouvoir d’achat ou de qualité de vie). La police, quant à elle, est une police républicaine qui défend les institutions et, par chance, obéit au pouvoir politique. Elle exerce, à ce titre, le fameux « monopole de la violence légitime » dont on a beaucoup entendu parler à tort et à travers ces dernières semaines. A condition toutefois de ne pas oublier que la légitimité de cet exercice ne vaut qu’à condition d’émaner du souverain, c’est-à-dire du peuple. Il ne s’agit pas d’un blanc-seing pour faire n’importe quoi ni d’une confiscation des moyens de violence par l’Etat au détriment du peuple, mais bien d’une défense des intérêts et de la sécurité du peuple lui-même.

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Devant l’ampleur et l’enracinement de la contestation, la seule façon de ressouder cette légitimité du pouvoir et des moyens d’ordre dont il dispose est de repasser devant les urnes. On comprend mal que le pouvoir s’accroche ainsi contre cette évidence car il n’est d’ailleurs même pas sûr qu’il sortirait défait d’un nouveau scrutin anticipé et c’est de toute façon la seule solution à sa disposition pour retrouver le cas échéant une autorité qui serait pour le coup incontestable. La police française, c’est la police du peuple français et non pas une police qui serait confisquée par telle ou telle faction politique.

Police et peuple combattent les mêmes ennemis

La journée du 12 janvier, par la quasi absence de faits graves de violence a permis d’incapaciter la logique manipulatoire de l’exécutif, a permis également de réconcilier en partie le peuple avec sa propre police, celle-là même qu’il a célébrée lors du sacrifice héroïque du colonel Beltrame ou qu’il a serrée dans ses bras lors des attentats de Charlie ou du Bataclan. La police et le peuple français combattent les mêmes ennemis, les mêmes dangers, sont une seule et même réalité et les gilets jaunes, en évitant les débordements et la casse, permettent de ressouder cette unité qui n’aurait jamais dû être perversement scindée et exploitée par le pouvoir.

L’unité de la nation, c’est d’abord et avant tout l’unité du peuple et de ses forces de l’ordre (police et défense nationale, celle dont un ancien ministre échevelé en pleine décompensation psychopathique semblait souhaiter qu’elle tire une bonne fois pour toutes sur ce peuple importun). C’est cette unité fondamentale et souveraine, lointain écho de la nation en armes de Valmy, qui est célébrée dans le chant national : « Aux armes citoyens ! » (interdira-t-on bientôt de le chanter au motif que c’est une phrase violente et que la violence c’est mal ?). C’est ce ciment-là qui fera désormais vaciller la rhétorique et les techniques manipulatoires de l’exécutif macronien, bien davantage que toutes les scènes d’affrontements des semaines précédentes à quoi l’on ne saurait résumer, de toute façon, un mouvement aussi vaste et tectonique.



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Chroniqueuse et essayiste. Auteur de "Liberté d'inexpression, des formes contemporaines de la censure", aux éditions de l'Artilleur, septembre 2020.

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