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Saga Corsica

Gabriel Xavier Culioli et Jean-Marc Michelangeli, "Nos terres promises" (DCL, 2023)


Saga Corsica
Bonifacio (20). DR.

Nos terres promises est une vraie saga corse, qui commence dans l’île, comme il se doit, et se poursuit à Marseille, comme on peut s’y attendre, avant de finir en Israël — c’est moins habituel. Avec son lot de fonctionnaires, de flics, de truands, tous liés par des liens familiaux, des liens d’amour et parfois de haine, encore plus forte que l’amitié. Notre chroniqueur a été visiblement séduit.


De la même façon que New York est une ville juive bien plus peuplée que Tel-Aviv, Marseille fut longtemps, jusque dans les années 1970, la plus grande ville corse. Les insulaires avaient commencé à quitter leur île bien aimée et violemment marâtre vers la fin du XIXe siècle, avec une affluence nette après la Première Guerre mondiale : la Corse donna tant de ses enfants à la patrie — près de 12 000 morts pour 52 000 engagés, l’économie de l’île ne s’en remit jamais — que les survivants préférèrent encore risquer leur chance sur le Continent qu’errer derrière leurs troupeaux dans une île que le maquis regagnait impitoyablement. Les incendies chaque année mettent à nu des centaines de murets bâtis jadis par mes ancêtres pour faire pousser du blé, et que ne fréquentent plus que les sangliers.

Saga pleine de bruit et de fureur

J’ai pas mal écrit sur la Corse, par exemple pour la collection Découvertes / Gallimard. J’ai rédigé seul les deux guides de l’île. Mais à l’origine, je devais le faire avec Gabriel Culioli, dont la chronique familiale La Terre des seigneurs, parue en 1986 et constamment rééditée, est la matrice de cette saga pleine de bruit et de fureur qu’il publie depuis quelques mois avec Jean-Marc Michelangeli.  

J’ai rendu compte du premier tome dans les colonnes de Marianne il y a quelques mois. Vient de paraître le second tome, où une même famille — au sens insulaire et latin de la gens, parents, proches et alliés — vit des péripéties violentes, souvent sanglantes.

Les Corses à Marseille ont longtemps gardé leur terre natale à la semelle de leurs souliers. En famille, dans les années 1920 ? quand commence ce second tome, ils parlent corse. Mais ils envoient leurs enfants à l’école, où l’on apprend (à l’époque) le bon français. La dialectique de ces insulaires en ex-île est d’être toujours là-bas et complètement ici.

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Marseille dans l’entre-deux-guerres est le territoire de Simon Sabiani, un homme politique venu lui aussi de Corse, adhérent du PCF et de la LICA (l’ancêtre de la LICRA) au début et enthousiaste du PPF de Doriot et de la Collaboration à la fin. Il s’appuie sur les deux parrains de la cité phocéenne, Carbone le Corse et Spirito l’Italien, qui ont mis la ville en coupe réglée. En face, les frères Guerini, Corses de Calenzana, qui se tailleront la part du lion à la Libération, ayant eu le nez de s’associer à Gaston Defferre.

Double historicité

Les Corses de Marseille se définissent en fonction de ces parrains redoutables. Il y a ceux qui les suivent aveuglément, et ceux qui les combattent. Orso, par exemple, flic d’élite, a monté une brigade parallèle pour assaisonner à sa manière les truands qui se font des idées — un procédé si typiquement marseillais que Bac Nord, le film de Cédric Jimenez (2020), exploite le même raisonnement, un degré de violence en dessous. À Albert Londres venu disséquer la voyoucratie marseillaise, Orso Natali répond : « La République a besoin de mains qui ne tremblent pas quand il s’agit de maintenir l’ordre. » Ou, comme on dit chez nous : « Ciò ch’edda faci a mani dritta, ùn devi veda a mani manca ». Je n’ai pas besoin de traduire…

On comprend là que comme tout roman historique, Nos terres promises fonctionne en double historicité : le passé a des échos dans le présent, et le présent influe sur la façon de raconter le passé. Ces années 1925-1930 témoignent ainsi de l’installation progressive des Juifs en Palestine (sous mandat britannique). Comme disait justement Albert Londres, « Le Juif errant est arrivé ». Les Arabes travaillent avec les hitlériens, et ma foi, les nazislamistes d’aujourd’hui ne l’ont pas oublié.

Nos deux auteurs font revivre avec vivacité cette nouvelle Phocée qui d’un côté voit Pagnol créer ses propres studios pour tourner Fanny, et d’un autre côté subit la loi de gangs bien plus féroces que les narcos d’aujourd’hui. Et comme aujourd’hui, les flics se heurtent « à des murs de mauvaise volonté avec ce sentiment désespérant de ne pas réussir à avancer » : « Quant aux huiles qui régnaient à Paris, ils n’étaient que des corrompus qui couraient après les médailles, les récompenses et les cadeaux », et qui auraient dû « s’acheter une paire de couilles ».

Alors de temps en temps il convient de faire parler les armes.
Tt-tt, je n’ai rien dit…

L’Histoire se mêle aux histoires, mais le sang et les larmes coulent toujours, dans le même sens — du haut vers le bas. La guerre se profile, Munich s’annonce, les lâchetés nationales s’ajoutent aux combines locales. Ces deux premiers volumes, absolument maîtrisés dans leur double progression, historique et fictive, nous font désirer la suite.


Gabriel Xavier Culioli et Jean-Marc Michelangeli, Nos terres promises, DCL éditeur : Barbara furtuna (juin 2023), 510 p.; Hosanna in excelsis (septembre 2023), 574 p.

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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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