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Etats-Unis, Iran: la politique des gros muscles

Personne n'a vraiment intérêt à un scénario armé


Etats-Unis, Iran: la politique des gros muscles
Donald Trump et Hassan Rohani ©Oliver Contreras/Sipa USA/SIPA - Ebrahim Noroozi/AP/SIPA (AP22279983_000024 - SIPAUSA30168133_000006)

S’il n’est pas à exclure, personne n’a vraiment intérêt à un scénario armé entre les Etats-Unis et l’Iran. Les tensions actuelles visent une renégociation des rapports de force dans la région. 


Les tensions s’accélèrent entre Washington et Téhéran. Les faucons de la Maison blanche tentent par tous les moyens de maintenir la pression sur le régime iranien, quitte à engager un bras de fer. Donald Trump semble vouloir passer « pour un dur » en politique étrangère, après avoir joué les isolationnistes durant la campagne électorale. Il a ainsi pu rassurer son électorat néo-conservateur, en soutenant une Jérusalem capitale d’Israël ou en reconnaissant la souveraineté de son allié historique sur le Golan.

Plus trumpistes que le Trump

En réalité, dans sa politique au Proche-Orient, le président américain fait davantage preuve de prudence, malgré quelques saillis verbales avant tout électorales. Dans une volonté de rupture avec ces prédécesseurs, conservateurs comme démocrates, il ne protège plus aveuglément les groupes islamistes. Il soutient ainsi également le maréchal Haftar en Libye et le maréchal Sissi en Egypte après avoir proposé d’inscrire les Frères musulmans dans la liste des organisations terroristes, comme le rappelle le chercheur Roland Lombardi.

Donald Trump est avant tout un pragmatique radical, du fait de son passé d’homme d’affaires. En entrant dans un bras de fer avec l’Iran, le président américain n’est pas aussi martial que les images le laissent voir ou entendre. Il compte avant tout redéfinir le rôle des Etats-Unis dans la région, face à un nouvel ennemi très différent des autres Etats de ce coin du Globe et des caricatures que l’on en fait.

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Mais ce pragmatisme doit compter avec les vieux démons néo-conservateurs qui hantent encore les couloirs de Washington poussés par des lobbys confessionnels et un complexe militaro-industriel plus que jamais influents. Des hommes comme Mike Pompeo ou John Bolton continuent de faire pression comme hier Dick Cheney. Et ce sont eux qui semblent porter le dossier iranien pour le moment.

Donald « che » Trump

Le 22 avril, la Maison blanche a ouvert les hostilités en supprimant le régime d’exemption permettant à des Etats comme la Chine ou l’Inde de s’y ravitailler en pétrole. Le retour d’une politique d’embargo visant littéralement à asphyxier l’Iran est mise en place. Interdiction à toutes les entreprises étrangères d’acheter du pétrole en Iran.

Alors que la Libye est au bord de l’implosion et que la situation en Syrie n’est pas réglée, les Américains tentent l’ouverture d’un troisième front dans le Golfe. Une technique des « focos » guevarienne à grande échelle avec pour seule précepte révolutionnaire celui de semer « le souk » pour garder la mainmise.

Face au risque d’une riposte iranienne, notamment sur les bases américaines en Irak, le Pentagone a envoyé le porte-avion « Abraham Lincoln », une batterie antimissile sans compter, d’après le New-York Times, le possible envoi de 120 000 hommes dans le Golfe. L’information et la désinformation accompagnent cet élan. Les presses alliées, israéliennes comme saoudiennes, font monter les tensions, en parlant, sans preuve tangible, d’agressions iraniennes ou de supposés alliés qui, tels les houtistes du Yémen, auraient attaqué des pétroliers saoudiens dans le Golfe d’Ormuz, zone stratégique entre l’Iran et l’Arabie saoudite. En réponse, l’Iran a menacé de fermer ce détroit où transite 40 % du pétrole mondial, avec toutes les implications que cela pourrait avoir sur l’économie mondiale.

La non-prolifération de l’Iran

Téhéran avait jusque-là respecté les accords de non-prolifération nucléaire signés à Vienne en 2015. Contrairement à Israël, à l’Inde, au Pakistan ou à la Corée du Nord, l’Iran ne s’était pas lancé dans le nucléaire militaire. De fait, les Américains, soutenus par leurs alliés locaux et sunnites, ont bafoué ces accords. Les autres signataires – l’Union européenne, la Russie et la Chine – ont immédiatement demandé à Khamenei de ne pas répliquer afin d’éviter une escalade potentiellement violente.

Couper les exportations iraniennes, c’est stopper avant toute chose le financement de l’État iranien à destination de la Syrie, du Liban ou de l’Irak. Depuis une vingtaine d’années, l’Iran, lourdement marqué dans sa chair par la guerre contre l’Irak, a soutenu les chiites et leurs alliés au Moyen-Orient. Une méthode digne de la guerre froide que les Américains ont très bien pratiquée au Nicaragua ou en Afghanistan. Le corps des gardiens de la révolution, les pasdarans, ont formé à la guerilla les forces du Hezbollah infligeant, de fait, la première défaite militaire d’Israël dans sa jeune histoire. Même activité en Irak, où la majorité chiite s’était vue très longtemps méprisée par Saddam Hussein puis par les Américains. Idem en Syrie en soutien de l’allié et cousin damascène. Toutes ces victoires avaient dépassé les frontières des héritiers d’Ali pour faire de Nasrallah, d’Ahmadinejad ou de l’alaouite Bachar el-Assad de véritables héros dans tout le monde musulman sunnite. Un terrible affront pour des Saouds, perçus par les masses populaires comme la cinquième colonne américaine. Seul Erdogan commence quelques peu à sortir du bois. Bien que non-arabe… Car depuis l’insurrection syrienne de 2011, la sanglante répression du régime de Bachar Al-Assad indéfectiblement soutenu par le Hezbollah de Hassan Nasrallah ont fait pâlir leur étoile dans le monde arabe.

Tensions partout, conflit nulle part

Face à l’axe russo-syro-iranien, les Américains ont en toute logique soutenu leurs alliés turcs, saoudiens ou qataris contre la formation d’un cercle chiite et anti-Otan dans le monde arabe.

Personne n’a en réalité intérêt à déclencher un conflit. Ni les Russes ni les Chinois ne veulent d’un Iran trop fort dans la région. Chacun a compris le profit qu’il pouvait tirer de la balance des pouvoirs qui s’y est installée et du monde multipolaire tel qu’il s’ouvre. Personne ne veut non plus d’un Iran, tendance empire perse, en Asie centrale.

On a longtemps caricaturé le régime iranien comme un régime théocratique et archaïque porté par des leaders plébéiens soutenus par des foules excitées. C’est oublier que le véritable pouvoir est  tenu par des mollahs fins limiers adeptes du double discours. Des tenants d’une religion certes minoritaires mais aujourd’hui incontournable dans la région. Malgré un Etat stable et un territoire sécurisé, l’Iran sait qu’il n’a pas les moyens de résister à un embargo militaire et que ses alliés russes et chinois ne le suivront pas dans un éventuel conflit violent. Dans une religion chiite où le martyr est sacralisé, la jeunesse iranienne n’a plus les mêmes velléités que les générations précédentes, sacrifiées pendant huit ans face aux soldats de Saddam Hussein. Seulement, Téhéran ne peut pas perdre toute son influence dans la région sur un coup de poker après tant d’années à patienter à un renouveau dans la région.

Dans cette nouvelle partie de dominos, chacun des deux camps va faire face à ces contradictions internes afin de faire émerger un nouveau compromis ou un nouveau conflit central dans la redéfinition des nouveaux impérialismes qui s’annoncent de toute part.

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