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Église, une nouvelle jeunesse


Église, une nouvelle jeunesse

manif pour tous jeunesse catholique

Qui sont ces cathos qui sifflent sur nos têtes ? Après neuf mois de couvaison, de convulsions, de risques de fausse-couche, la parturition a-t-elle eu lieu ? La France s’est en tout cas colorée d’une teinte nouvelle, qui moire un peu plus son visage. La Manif pour tous a dévoilé une force que nul n’avait su voir venir et qui, même si elle a échoué dans son premier but, entend ne pas déserter le paysage. Derrière les manifestations massives et unitaires, on ne peut pas ignorer la floraison de mouvements spontanés comme les Veilleurs, le Camping pour tous, le Printemps français ou les Hommen qui témoignent d’une évidente mutation par rapport aux décennies catholiques précédentes.
Une certaine jeunesse catholique – qui n’a pas grand-chose à voir avec le cliché « lodens et mocassins », prisé par les médias – a découvert les joies et les servitudes de l’affirmation de soi, en même temps que la sensation de sa force. Mais cette génération ne vient pas de nulle part : elle est le fruit d’une lente préparation entamée il y a quarante ans.
Ce sont les enfants d’une trinité pontificale : de Jean Paul II, ils ont appris la capacité à se rassembler, à se compter (4,5 millions de personnes aux JMJ de Manille – record absolu) et à se montrer spectaculairement calmes, dignes et conviviaux ; de Benoît XVI, ils ont connu la profondeur, l’accord de la raison et de la foi, l’approfondissement aussi de la voie écologique ; enfin, de François, même tout jeune pape, la charité et l’amour du plus faible.
Ce sont les enfants du retournement de l’esprit du Concile, dans cette herméneutique de la continuité que prônait Benoît XVI. Ils aiment la liturgie, la rénovent respectueusement, et se rassemblent spontanément pour prier entre eux – ce qui étonne le contemporain. C’est d’ailleurs d’un groupe de formation et de prières, Even, lancé par un jeune prêtre étonnant autant que discret, le père Leproux, qui officie maintenant à Saint-Germain-des-Prés, que sont venus les premiers Veilleurs.
Ils luttent contre la dénaturation du mariage mais aussi contre les OGM. Ça épate le bourgeois, c’est pour eux aussi naturel que de pratiquer la non-violence. Et pourtant, d’où leur vient cette conscience politique qui détonne par sa maturité dans un monde où on est maintenant adolescent  jusqu’à 45 ans ? [access capability= »lire_inedits »] Bien malin qui le saura. Ils n’ont jamais entendu parler du Larzac et de Lanza del Vasto[1. Lanza del Vasto (1901-1981) fut disciple de Gandhi avant de fonder en France les Communautés de l’Arche, prônant la résistance à la technique et la non-violence. Poète et philosophe prolifique, il s’illustra notamment en organisant la guérilla pacifique du Larzac dans les années 1970.]. Cet été, ils projettent de marcher de Lyon jusqu’à Paris, en traversant la France des perdus, des oubliés, friches industrielles comme villages égarés. Ils se souviennent vaguement d’une marche des Beurs qui, il y a trente ans, les y précéda. Mais ils n’étaient même pas nés. « Sur les traces de la colonne Leclerc », affirment-ils naïvement, sans craindre le point Godwin. Plutôt de Lattre et la 1ère Armée, les corrige-t-on.
Bien entendu, les sociologues ont oublié des paramètres déterminants : d’abord, le baby-boom chez les cathos ne s’est jamais arrêté, au contraire, il a pris son essor après 1968 quand l’autre s’achevait ; pour une raison évidente, qui est que l’encyclique de Paul VI, Humanae vitae proscrit les moyens chimiques ou mécaniques de contraception au profit d’une contraception naturelle – un texte vent debout contre le monde qui faisait dire au philosophe post-marxiste Horkheimer : « Paul VI a plus raison même qu’il le sait. » Vient ensuite une façon de penser que l’on pourrait comparer, toutes proportions gardées, à l’esprit de revanche des Français après la défaite de 1870 : le slogan « On est chez nous ! », souvent scandé pendant les manifs, ne renvoyait pas à une dialectique du Français contre l’étranger, mais à la résistance au changement désordonné et obligatoire du monde. Pour tous ces motifs, par amour aussi de la famille en tant qu’organe protecteur, les cathos ont donc eu des enfants, beaucoup d’enfants, depuis trente ans, voire quarante. Dix frères et sœurs, soixante cousins germains, et c’est une république de France qui recommence. Car la démographie, elle, ne ment pas.
Se pose alors la question complexe de la communautarisation des catholiques de France. On peut dire qu’elle a commencé depuis quarante ans, mais pas de leur fait : les diverses lois sociétales votées dans la ferveur de la révolution des mœurs les ont peu à peu écartés des centres du pouvoir, qu’ils soient politiques, médiatiques ou culturels, se surajoutant à la vieille méfiance, d’ailleurs absurde, nourrie par les « républicains » laïcistes à l’endroit du goupillon, toujours suspecté de vouloir refaire alliance avec son ami le sabre pour menacer la paix civile. Les expulsions, la séparation et l’affaire des fiches n’ont toujours pas été digérées, des deux côtés, un siècle plus tard. Reste, chez les catholiques, l’amertume d’une injustice, tempérée par un véritable amour du bien commun, surtout dans une nation qu’ils ont construite. Alors, depuis plus d’une génération, les catholiques vivent la situation paradoxale, peut-être comparable – psychologiquement, s’entend – à celle des juifs en d’autres époques, d’être dans les faits pour moitié dans le monde commun, pour moitié en dehors. Alors, oui, ça complote, ça fantasme le retour à un ordre rêvé, ça crée des codes propres, ça finit par savoir qui est de la famille et qui n’en est pas, ça se renifle à cent mètres, à des prénoms, à des tenues vestimentaires, à des coiffures, à des goûts, à des lectures. Ça crée une contre-culture. Mais le catho a la mauvaise habitude, contrairement aux membres d’autres communautés, d’être indécrottablement exogame. La ghettoïsation ne lui convient pas et, toujours, il cherche à en sortir, et toujours il désire évangéliser la société. C’est plus fort que lui.
Il a cette autre mauvaise habitude, corrélée à la première, de ne pas répondre aux injonctions de classe, telles que Marx les a définies. Le pays a aujourd’hui la mémoire courte, mais il suffit de se pencher sur le XIXe siècle pour se rappeler qu’à d’autres moments, le catholicisme, réduit malgré lui à la bourgeoisie, a tenté, et réussi, des sorties vers le reste du monde et notamment vers les classes populaires. Dès les années 1820, derrière les Lamennais, Lacordaire et autres Ozanam, le catholicisme traditionaliste et légitimiste, défait par la Révolution française, se tournait vers les nouvelles classes ouvrières, et aussi vers les campagnes. Les enfants de l’an 13 sont en réalité nés en 1973 et ils accomplissement enfin la jonction des Lip, des paysans du Larzac et des opposants à la loi Veil. Ce qu’ils ont baptisé l’écologie humaine, celle qui se soucie du sort du chômeur, du SDF comme des OGM, des embryons, des bébés-éprouvettes et des vieux qu’on abat. L’aggiornamento que réclamait Jean XXIII est achevé.[/access]

*Photo: Mon_Tours

Eté 2013 #4

Article extrait du Magazine Causeur



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est journaliste et essayiste.

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