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Christophe: les maux bleus

Les mémoires de Christophe viennent de paraître


Christophe: les maux bleus
© Indra Crittin pour Le Regard Libre

Vivre la nuit, rêver le jour, les mémoires de Christophe, le chanteur-dandy mort en avril 2020, viennent de paraître.


Pascal Louvrier vient de publier Vérité BB, chez TOHU-BOHU éditions NDLR.

En lisant les souvenirs de Christophe, ma mémoire a entrebâillé la porte et une image poignante en a profité pour tenter une sortie. C’était à Gordes, l’été, lors d’un concert sous le ciel étoilé, dans la chaleur d’un crépuscule grandiose. C’est mon amie qui, par intuition, avait décidé de prendre une rue en pente. Je l’avais suivie et nous étions tombés sur la scène où le chanteur se produirait aux environs de 21 heures. 

Récital fabuleux

Christophe a donné un récital fabuleux. Entre deux tubes, il a pris un tabouret, s’est assis et a siroté un whisky. Il a beaucoup parlé, de sa voix un peu timide et saccadée, pas mal de digressions, de ses potes apiculteurs, des vrais écolos qui protègent la terre, sans idéologie, mais il a dit tout ça sans aigreur, avec humour, ironie voltairienne, comme le type qui a trop longtemps crié « Aline ! », alors qu’il était le dernier dandy à chanter des textes inspirés de poésie rimbaldienne et à composer des musiques complexes, magicien des sons. Il semblait heureux d’être là. Alors il a glissé une confidence. Il a évoqué son éditeur qui espérait depuis des années son autobiographie. Il avait touché un gros paquet de fric. Mais il n’avait pas le temps, et puis il n’y arrivait pas, il raturait beaucoup, une vie trop remplie, des trucs pas toujours faciles à lâcher. Il avait dit qu’il transformerait ce livre improbable en one man show, où il raconterait les grands moments de sa vie en bottes mexicaines, veste de soie rose, lunettes verres fumés et Ferrari, « dans ce luxe qui s’effondre ». Ou en cuir noir, qui protège du désespoir.

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Ferrari Daytona

Et puis Christophe est mort, et mon amie s’est absentée. J’ai lu le cœur gros ses souvenirs dont l’écriture le rebutait, comme si l’appel de la vie était plus fort que tout. Le livre de Christophe, poétiquement intitulé Vivre la nuit, rêver le jour, réunit, en courts chapitres, des morceaux de son existence, avec des digressions  (toujours avec lui), des retours en arrière, des accélérations dignes de sa Ferrari Daytona, achetée en 1982, pour 20 briques. 

Il raconte qu’il a décidé de la revendre quelques mois plus tard aux enchères. Il a mis un prix de réserve à 350 briques. Véronique, sa femme, était présente. La Ferrari a atteint 335. Christophe n’a pas levé la main pour la laisser partir à ce prix. Personne n’a surenchéri. Christophe l’a donc gardée. Ça résume le dandy qu’il fut.

Lucidité et folie douce

Véronique, il l’a épousée en 1970. Il l’a quittée en 2000, n’a jamais divorcé. Christophe confie : « Je suis parti parce que Véronique se détachait et qu’on s’engueulait tout le temps. Pourtant, cette séparation, je ne l’ai jamais vraiment bien comprise. » Il ajoute : « Véronique n’en reste pas moins la femme de ma vie. » Le couple a eu une fille, Lucie. À son propos, il balance une phrase très dure, hélas elliptique : « La chose dont je suis le plus fier est d’aimer ma fille alors qu’elle ne m’aime pas. »

Un artiste, c’est très difficile à comprendre. Comment ne pas tomber, bousculé par la lucidité et la folie à la fois.

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Christophe est né le 13 octobre 1945, à Juvisy, d’un père d’origine italienne (Bevilacqua), chef d’entreprise, et d’une mère déjantée, conductrice de bus, adorant les voitures de sport. Avant de divorcer, elle a fait plusieurs tentatives de suicide. « Un jour, elle s’est barrée de la maison en m’emmenant avec elle, se souvient son fils. Je ne sais plus dans quelle direction nous sommes allés, on a dû rouler pendant deux cents kilomètres dans sa Simca 8 Sport à fond la caisse sous la pluie. » De quoi vivre furieusement, pas comme les autres, jamais. 

Aline a existé

Christophe évoque son adolescence sans trop s’attarder, toujours en fuite en fait, mauvais élève, adorant faire du stop, découvrant la musique grâce à sa première guitare, espagnole, offerte par son frère Gégé, etc. Le puzzle prend forme. La pièce Aline, par exemple. Le succès fou, décollage immédiat de sa carrière. Aline, elle a existé. « Elle s’appelait Aline Natanovitch et était apprentie assistante dentaire dans un cabinet du Montparnasse », révèle Christophe. Mais il était amoureux de sa copine, Danièle Perez, qui est devenue sa compagne. Sur la pochette du 45 tours, « le doux visage », c’est elle en réalité. Il a beaucoup menti aux journalistes. Comme dans ce livre. « Le mensonge, c’est un peu ma vérité », écrit-il. « La vérité, personne ne la connaît, et heureusement que le mensonge existe, car le réel est parfois un cauchemar. » Nous sommes prévenus. 

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Christophe raconte ses longues traversées nocturnes, l’alcool, la drogue, la réussite, le milieu du show-biz, ses rencontres importantes (Elvis, Darry Cowl, Bashung, Jean-Michel Jarre), le cinéma, le fétichisme, sa passion pour Bardot, les juke-box, sa méthode de travail qui est tout sauf une méthode. 

Le silence immobile d’une rencontre

C’est passionnant. Et émouvant parce qu’il est mort à Brest, le 16 avril 2020, et qu’il a largué les amarres pour une destination inconnue, sur son bateau dont il m’avait envoyé une photo que je n’ai pas su conserver. Il nous reste son univers musical, ses textes, « le silence immobile d’une rencontre », son monde à lui. Précieux.

Christophe, pour conclure (provisoirement) : 

« La femme qui t’aime,
Tu sais pas pourquoi elle t’aime et elle non plus
Quand la cassette est finie, elle s’barre ailleurs
Tu ne sais pas pourquoi et elle non plus »

Christophe, Vivre la nuit, rêver le jour, Denoël, 2021.

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Pascal Louvrier est écrivain. Dernier ouvrage paru: « Philippe Sollers entre les lignes. » Le Passeur Editeur.

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