Accueil Édition Abonné Cause des femmes, cause des hommes, cause de l’enfant

Cause des femmes, cause des hommes, cause de l’enfant

"Il faut travailler en profondeur pour contrer ce processus de décivilisation" (Emmanuel Macron)


Cause des femmes, cause des hommes, cause de l’enfant
© Pascal Fayolle/SIPA

La mise au ban de la figure du père, dans nos sociétés occidentales, implique la perte d’un important socle symbolique, analysent depuis longtemps des psychanalystes – pas tous forcément réactionnaires. Selon Emmanuel Macron, ni l’Éducation nationale, ni la police ne sont la solution aux récentes émeutes urbaines. Lors de son entretien télévisé, lundi, le chef de l’État a dit qu’à partir de la rentrée, sa politique consisterait à « responsabiliser les familles et réinvestir sur notre jeunesse pour lui redonner un cadre ». Analyse.


Dans le dernier Causeur, l’aimable Jean-Michel Delacomptée termine sa chronique mensuelle, Les désastres de l’affirmation virile, en soutenant que « défendre efficacement la cause des femmes oblige désormais à défendre celle des hommes. Ce n’est pas gagné, mais s’il est un enseignement à tirer des émeutes, celui-ci n’est pas le moins important ». Voilà bien une proposition équilibrée, qu’on ne saurait contester, sinon à tenter d’en approfondir la raison commune. Et cela en considérant que la cause des femmes et la cause des hommes, la cause des mères comme la cause des pères, au même titre que la cause de l’enfant, ne sauraient être défendues sans d’abord reconnaître en quoi l’intérêt de tout sujet, en tant que sujet à part entière – la Cause du sujet de la parole procède d’une seule et même Cause. J’y mets une majuscule : la Cause de l’impératif généalogique. Celle de ce socle symbolique de la Loi (de la Filiation) à travers lequel, via l’ordonnancement (juridique) de la différence des sexes et des générations, est notifié à tout sujet que pour ne pas être cause de soi – ce que conteste la radicalité individualiste, positiviste, celle du sujet-Roi, auto-fondé en son « genre » –, il se trouve, être-pour-la mort, irréductiblement voué à la perte, à la non-complétude.

La Cause des causes

Aussi il est à craindre que déjouer tant un virilisme à visée dominatrice, qu’un féminisme qui  «s’en démontre comme le décalque inversé»  (Pierre Legendre, Sur l’importance de la question du sexe en anthropologie. L’abord de la question phallique par la culture occidentale. De la société comme Texte), ne demeure un vœu pieux, dès lors que ne sera mesuré combien la désintégration juridique et symbolique en cours des repères existentiels, ceux de la Filiation (du trio œdipien mère, père, enfant), active, serait-ce sous les nouvelles expressions de l’inversion, la guerre des sexes. Avec ses diverses conséquences délétères sur les enfants.

Et si, quant à un devenir plus civil et équilibré des relations entre les femmes et les hommes, et pas seulement dans les territoires islamisés n’est-ce pas, ce n’est pas gagné comme dit Delacomptée, les choses resteront d’autant plus difficiles que continuera à s’imposer la croyance qu’on peut mettre à sac et abolir, sans autres conséquences que de progrès n’est-ce pas, « l’existence d’un cadre de légalité qui garantisse la conservation de l’espèce selon les contraintes indépassables de la différenciation humaine. » (P. Legendre, dans L’inestimable objet de la transmission. Etude sur le principe généalogique en Occident. 1985).

A lire aussi: Barbie et notre féminisme en plastique

Je ne vois pas en effet comment les choses pourraient cesser d’empirer, comment, sous d’autres formes que précédemment connues, nous ne continuions à nous acheminer, sous le règne de fer du fantasme, vers un totalitarisme inédit, si ceux qui prétendent éclairer sinon gouverner leurs semblables n’en viennent à saisir la façon dont la dé-civilisation en cours, avec son cortège de sacrifiés de la casse, se trouve nouée, en amont des familles et des communautés, à cette déconstruction indéfinie d’un droit civil ordonnateur du principe généalogique. Principe instituant pour tous, pour le coup à égalité, une égalité dans la différence, l’impératif de différenciation de soi et de l’autre, de soi et de ce premier Autre qu’est la mère. Processus de différenciation, de symbolisation du lien primitif d’inceste, dont dépend la civilisation du petit d’homme, la symbolisation de ses pulsions meurtrières.

Il s’agirait aussi dans le même temps de relever en quoi, bien que liées à un autre alentour, d’autres facteurs, les dernières manifestations outrancières et violentes d’un virilisme déchaîné sont aussi réactionnelles à la montée d’un nouveau fondamentalisme, qui s’ignore comme tel  – fondamentalisme du fantasme, libérant dans les jeunes générations la passion d’être un autre, sinon le délire d’être l’autre.

Laurent Wauquiez citant Legendre, première pour un homme politique de ce poids, ce dont je me félicite, le relevait parfaitement, nous ne les intègrerons pas à notre propre désintégration. Et il faut être de mauvaise foi pour ne pas prendre acte du fait que le nouvel ordre de fer en marche, sous des allures diverses, exclut de plus en plus de l’espace du débat public, et souvent avec virulence, quiconque remet en cause, serait-ce avec modération, les nouveaux préceptes. Quiconque ose en particulier  commenter de façon critique la légitimation juridique généralisée du transsexualisme adulte (légitimation devenue un self-service, bien au-delà de cas très spécifiques),  quiconque s’oppose publiquement au délire social de l’interchangeabilité des sexes, source de l’épidémie transgenre et de la cristallisation des fragilités dans les jeunes générations, est aujourd’hui tout aussitôt étiqueté, sinon menacé, comme « transphobe » et/ou « extrémiste de droite »… 

Un foyer vraiment premier

Et pourtant la cause des femmes, des hommes et des enfants, exigerait qu’au plan culturel et juridique, sans autre idéalisation de je ne sais quel « modèle » ancien, ou autre prêche pour le retour du vieux familialisme, une représentation fondatrice Mère/Père crédible, non pervertie,  soit restaurée, symboliquement restaurée.

En d’autres termes il s’agirait avant tout de refaire institutionnellement prévaloir des repères identificatoires fiables – un homme n’est pas une femme, une femme n’est pas un homme, une mère n’est pas un père, un père n’est pas une mère – même si bien sûr une mère est d’une certaine façon le premier père séparateur, et qu’un père peut materner… – , et partant, de restaurer pour les jeunes générations ce qu’un interprète avisé a appelé sur le forum de Causeurun foyer vraiment premier

J’insiste : ce qu’il nous faudrait impérativement rétablir – à quoi rares sont prêts à consentir, tant les dés sont pipés sur la question de l’homosexualité – c’est l’institution juridique de la représentation fondatrice Mère / Père soutenue par le couple femme/homme. Et cela comme institution de référence pour tous ; ce que d’ailleurs, aussi subvertie soit-elle, elle demeure dans le for intérieur des transgresseurs, aujourd’hui légitimés. [Notez bien que quand je dis « transgresseurs » il n’y a dans l’emploi du mot aucune mauvaise intention, nulle  intolérance. Je soutiens simplement que nul transgresseur (tel qu’il en est pour tout sujet qui occupe la place qui n’est pas la sienne, qui n’est pas, en regard de la Loi, sa place de droit) ne devrait se trouver légitimé par l’État de Justice, et ainsi délivré de toute culpabilité.]

C’est donc cette représentation fondatrice, originaire, structurale, qui se trouve aujourd’hui pour le moins troublée, mise cul par-dessus tête avec le mariage pour les couples de même sexe et ses suites. Elle reste pourtant la clé du creuset (familial et institutionnel) qui préside à l’élaboration des tendances criminelles de l’être, à la civilisation de son fantasme de toute-puissance phallique.

Mais le combat sera un combat de haute intensité, tout à la fois spirituel et de pensée. Comme on le voit dès qu’on touche si j’ose dire au nœud de l’affaire, dès qu’on fait valoir la dimension indisponible à quiconque de la différence des sexes, comme vient de le faire L’Incorrect dans son numéro spécial sur la question trans, livraison lui attirant les foudres.


Une dégénérescence catastrophique

Une dernière réflexion. Le mot « patriarcat » a aujourd’hui une résonance devenue tellement négative, infamante, qu’il paraît bien difficile de relever la façon dont, sous l’antienne de l’anti-œdipe et du dépassement des « stéréotypes de genre », le renversement des repères structuraux nous a engagés dans une profonde régression. Ce que d’aucuns nomment le suicide occidental ; celui d’un Occident pourtant toujours aussi orgueilleux, mais qui de plus en plus tombe sur un os, l’os de ceux qui ne sont pas nous, qui ne veulent pas être nous, et que de façon aussi imbécile qu’il a été fait avec le « patriarcat » en jetant le bébé avec l’eau du bain, nous réduisons à leur seul archaïsme…

En 74 ce n’est pas quelque réactionnaire d’extrême droite qui en eut la prémonition, mais le psychanalyste Lacan : quant aux formes et manifestations de la mise en cause du père, du principe du père, du « nom-du-père », qu’il voyait se déployer, il évoqua une dégénérescence catastrophique. Et cela en tant que cette mise au ban du père, du père comme tel, impliquait la perte du socle symbolique support de l’amour, mais aussi support de l’identification sexuée, fille ou garçon…

A lire aussi: Brendan O’Neill, manifeste d’un hérétique…

Et j’ajoute : dans le nouvel ordre qui sous la bannière lgbtiste, libérale-libertaire, prétend se substituer au « patriarcat », ce qui triomphe, et dans quoi les nouvelles générations sont prises, parents et enfants confondus, c’est le seul ordre, dé-triangulé, de la relation duelle. Mais une relation dans laquelle « la mère, comme le remarquait encore en cette année 1974 Lacan, se suffit à elle seule« … Avec donc à la clé la généralisation tant des « duels » (cf. la montée des divorces et l’explosion des contentieux) que du « mono », celui des familles dites monoparentales. Une formule sociologique dont je ne dirai jamais assez que pour exécuter symboliquement le père (ce qui n’équivaut en rien, au sens freudien, émancipateur, de le « tuer »), elle est pour les enfants, mais aussi pour les mères, une formule assassine. Il peut y avoir des familles mono linéaires mais jamais de famille monoparentale. La catégorie ultime inscrite traditionnellement à l’état civil du « père inconnu » était tout le contraire d’invalidante pour l’enfant, car instituant et garantissant symboliquement pour lui la place du père, la figure parentale croisée du père, aussi manquante celle-ci fut-elle dans le réel. Mais nous n’en sommes plus là, le rouleau compresseur d’un sociologisme objectiviste, ignorant du primat du déterminisme symbolique langagier pour notre espèce, l’espèce parlante et désirante, combiné à celui d’une déconstruction s’attaquant aux existentiels fondamentaux, est passé par là…

Restaurer l’autorité parentale et redonner un cadre pour la jeunesse ?

Concluons maintenant ces remarques par un ultime commentaire de la récente intervention d’Emmanuel Macron évoquant la restauration de « l’autorité parentale », l’exigence du « cadre à redonner à la jeunesse »

Quand le chef de l’État, de sa place de président de la République française, cause comme il vient de le faire « d’autorité dans les familles /…/ d’autorité parentale », alors que l’État dont il demeure aujourd’hui le plus éminent représentant a déserté sa propre fonction parentale, et n’assume plus de garantir – cela depuis plusieurs décennies – les mises nécessaires à la reproduction du sujet humain, images et concepts de Mère et de Père auxquels est accrochée la reproduction de toute société (Legendre),comment sa parole pourrait-elle ne pas résonner, en tous les cas à mes oreilles, comme une parole vide, sans profondeur, volatile ?  Et quand il évoque « le cadre à redonner à notre jeunesse » a-t-il quelque idée, et ceux qui l’entourent avec lui, de ce qu’il pourrait s’agir quant à ce « cadre » ?

Les « gouvernants » et autres premiers-de-cordée actuels auraient-ils idée qu’il ne saurait y avoir dans l’exercice de la fonction parentale, tant au plan familial qu’institutionnel, une autorité efficiente – une autorité qui prenne ses effets tiers et de limite, et humanise les liens familiaux et sociaux –  dès lors que le cadre institutionnel alentour, le cadre généalogique porteur de l’institution du sujet, cadre garant anthropologique du nouage du corps, du mot et de l’image sous le primat de la Loi, la loi langagière de la différence des sexes et des générations, est subverti ?

L’autorité, à ne pas confondre avec l’autoritarisme, est un effet, un effet second du rapport à la Loi de chacun dans l’exercice de sa propre fonction parentale, un effet de ce qu’il en est, en vérité pour chacun, de ses propres prises de position œdipienne dans le théâtre familial et social… Et de ce qu’il en est des rapports, de la vérité des alliances passées… Cela est-il recevable ? Pour les pères déguisés en fils, tous les Daddy papaïsés d’aujourd’hui, cela m’étonnerait…




Article précédent Barbie et notre féminisme en plastique
Article suivant Les pieds dans le plat

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération