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Le patronat demeure clairement pro-européen mais… avec des nuances!

Analyse des propositions des chefs d’entreprises françaises à l’approche du scrutin du 9 juin


Le patronat demeure clairement pro-européen mais… avec des nuances!
Patrick Martin et Garance Pineau du MEDEF présentent à la presse leurs 30 propositions pour une Europe qui entreprend, 9 avril 2024 © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

Européennes. MEDEF : 30 propositions. CPME : 150 propositions. Qui dit mieux ?


Il est clair en tout cas que les institutions patronales travaillent plus que les partis. C’est du sérieux, cette fois-ci. Le Medef (Mouvement des Entreprises de France) a toute légitimité. Ne représente-t-il pas 190 000 entreprises à travers les Medef territoriaux et les fédérations professionnelles ? Le Medef est piloté aujourd’hui par le consensuel Patrick Martin, après le très macroniste Geoffroy Roux de Bézieux (sous des dehors affichés d’ancien para catho-tradi, en mission civile sur les territoires français) et le trublion entrepreneurial Pierre Gattaz, plus proche en réalité de la CPME que du CNPF de son estimé papa (98 ans) sous la période Mitterrand, Yvon Gattaz, pour mémoire fondateur des Entreprises de taille humaine intermédiaire de croissance (ETHIC, cela ne s’invente pas) et de l’Association des entreprises patrimoniales (ASMEP devenu METI, Mouvement des entreprises de taille intermédiaire). Un vrai visionnaire bien que brocardé par les uns et les autres en son temps. C’est pourtant lui qui avait raison. La CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises), nouveau nom de la CGPME de Léon Gingembre (époque Pompidou…) et de René Bernasconi, représente quant à elle 243 000 TPE, PME, ETI et artisans aussi. Ce n’est pas rien. C’est certainement aujourd’hui un bon thermomètre des PME françaises. Son président, François Asselin, est un garçon de grande qualité, œcuménique et prudent, par ailleurs président d’une Entreprise du Patrimoine Vivant (le label d’État des savoir-faire français), reconstructeur de l’emblématique navire Hermione (La Fayette en Amérique pendant la guerre d’indépendance). L’U2P (Union des entreprises de proximité), dirigée par Michel Picon, recouvre de son côté 3,7 millions d’entreprises dans les secteurs de l’artisanat, du commerce de proximité et des professions libérales, correspondant à 120 organisations professionnelles et 400 métiers. Enfin l’AFEP, l’association représentant les grandes entreprises françaises, dirigée par la très musicale Patricia Barbizet, ancienne directrice générale du groupe Pinault. L’AFEP a une représentation à Bruxelles depuis 1987. Elle est efficace, bien sûr. D’une efficacité d’autant plus redoutable qu’elle est discrète. Elle s’estime au-dessus de la mêlée. Il y a une part de vérité dans l’assertion.

Le patronat prend de la hauteur concernant les élections européennes de 2024. Il est tellement persuadé que les représentants politiques sont inconsistants, incompétents, incohérents à court terme et sans vision de long terme, qu’il a choisi de ne pas se mouiller ou, en tout cas, que sur des sujets techniques. Ceci concerne aussi la majorité présidentielle avec néanmoins l’absence d’attaques frontales marquées, à la différence de la pratique musclée de Pierre Gattaz lorsqu’il était président du Medef. Les sphères patronales jouent sur du velours. Il y a peu de Français à croire qu’un politique français soit aujourd’hui capable de changer quoi que ce soit en France, sinon sous une contrainte externe puissante (gilets jaunes, émeutes de banlieue, guerres externes).

Medef, les figures européennes imposées

Les propositions du Medef relèvent du bon sens : simplification, réindustrialisation, réduction des dépendances stratégiques, croissance à la base de la prospérité, réorientation des revenus par habitant par des efforts de productivité (les revenus américains par habitant sont aujourd’hui plus élevés de 45% que ceux des européens, en parité de pouvoir d’achat). Le Medef propose de lancer un fond souverain européen de 12 milliards d’euros, pour mobiliser 200 milliards d’euros d’investissement au total, avec le public et le privé. 12 milliards d’euros de fonds publics européens, ce n’est  malheureusement pas au niveau des besoins sur le plan quantitatif. Rappelons que, rien que pour la France, la transition environnementale appelle la mobilisation de 60 à 70 milliards d’euros par an, soit sur cinq ans, plus de 300 milliards d’euros. À l’échelon européen, la tâche relève ainsi plutôt du trilliard d’euros (1 000 milliards d’euros). La BCE (Banque Centrale Européenne) évoque du reste, quant à elle, 700 milliards d’euros par an pour la transition environnementale et numérique au niveau de l’Union européenne… C’est aussi irréaliste sur le plan de la mobilisation public/privé qui permettrait de multiplier les petits pains par 16 (12 devenant 200…). En outre, le privé ne rentrera pas dans une initiative où le public souhaitera dominer l’impulsion, bien connu en France pour son arrogance éclairée, héritée des Trente Glorieuses et de l’ère mitterrandienne. Tout le monde sait qu’aujourd’hui, la sphère publique n’a ni la vision stratégique, ni les moyens opérationnels et financiers, ni les compétences techniques pour une telle impulsion, à la différence de la période gaullo-pompidolienne… En revanche, l’idée n’est pas idiote sur le principe. Encore faut-il qu’il y ait un consensus européen pour promouvoir une initiative fédéraliste de ce type. Pas gagné. Une initiative non fédéraliste a en revanche plus de chance de passer mais ceci appelle l’appui de quelques nations européennes, leaders d’opinion.

Le « Buy European Act » aurait dû être affiché en majesté bien avant par le Medef. C’est bien qu’il le fasse maintenant. Cette mesure devrait être  mise plus en avant, plutôt que d’être diluée dans 30 propositions, certes intéressantes mais avec moins de retombées concrètes sur l’économie européenne et française. Avec des critères environnementaux et sociaux, ce qui permettra de protéger les frontières. Le cœur du sujet : les commandes publiques.

Les aides d’État. Un grand classique de la politique de concurrence de l’Union européenne depuis plusieurs décennies. Développée par ce que l’on appelait avec crainte, la DG 4, actuellement dirigée par la très rigide danoise Margrethe Vestager, retoquée récemment pour la présidence de la BEI (Banque Européenne d’Investissement). Sous couvert de protection du consommateur, la Commission européenne a pourchassé et tué dans l’œuf de multiples tentatives pour créer des champions industriels européens : Péchiney, Schneider, Alstom… De remarquables aventures industrielles européennes bloquées par une vision purement juridique et non industrielle de ce que sont les impératifs de concentration et de concurrence légitime au niveau du continent européen, s’appuyant sur une vision dévoyée du libéralisme économique. Les suggestions du Medef de modifier le régime des aides d’État vont dans ce sens.

« Mettre en place un système simple d’aide à la décarbonation des entreprises, sur le modèle de l’IRA américain (crédit d’impôt) » : formule très Sciences-Po deuxième année. C’est un summum d’imprécision tant sur le plan technique que budgétaire. L’IRA américain, c’est en effet d’abord 737 milliards de dollars de recettes  budgétaires et, du côté des dépenses, 369 milliards de dollars en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique. Il est vrai que le dispositif américain de crédit d’impôt automatique est puissant. Il est à l’opposé, par son automaticité sur critères affichés et bien identifiés par les entreprises, des mécanismes européens d’attribution bureaucratique des appuis financiers aux entreprises. Mais il n’implique pas des soutiens publics de nature sensiblement différente, en termes quantitatifs, de ce que  l’Union européenne a mis en place : InvestEU peut ainsi mobiliser 372 milliards d’euros sur la transition environnementale, ce qui est du reste un peu au-dessus des montants similaires de l’IRA américaine. Qui en parle en France ou en Europe ?

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« Réconcilier décarbonation et croissance » : bonne idée. Application pratique : « Réaliser des études d’impact évaluant l’incidence sur la compétitivité des entreprises ». Sciences Po, deuxième année… Le thème mérite plus que cette brève suggestion.

« Poursuivre la négociation des accords de commerce avec les pays qui partagent les valeurs de l’UE, afin de garantir les approvisionnements européens essentiels à une souveraineté européenne et l’accès aux marchés » ; « Poursuivre une logique d’expérimentation grâce aux sunset clauses (périodes limitées dans le temps) et aux clauses de réexamen » : cela ne mange pas de pain. C’est politiquement correct. Mais c’est un peu court.

Enfin, quelques antiennes classiques : simplification, formation, reconnaissance mutuelle des qualifications, politique européenne des talents, garantir les approvisionnements en matières premières critiques, cyber sécurité, soutien à l’industrie européenne de défense, développement des interconnexions énergétiques, développement de l’économie circulaire. Tout ceci recueille évidemment l’assentiment de l’ensemble des Français. Encore faut-il financer ces programmes. Et organiser une mise en œuvre vraiment opérationnelle, là où la sphère publique européenne n’est pas la plus efficace.

« Adopter une démarche de rupture (Moonshots) au service de l’innovation », en doublant les moyens du Conseil européen de l’innovation (passant de 10 à 20 milliards d’euros sur six ans). Relevons d’abord que l’appétence pour les anglicismes au Medef est toujours vivante. Et surtout, ce n’est pas réellement le sujet principal concernant l’innovation. D’abord, l’Union européenne investit 2,3 % de son PIB dans la RD (366 milliards d’euros en 2022) contre 3,46 % aux États-Unis (839 milliards d’euros), ce que souligne le Medef, ce qui, converti en milliards d’euros, correspond à une différence de 473 milliards d’euros par an. Pas étonnant que l’Europe soit à la traîne en matière de technologies. Ensuite, la force de frappe dans le domaine du capital risque aux États-Unis est sans commune mesure. À titre de comparaison, les fonds investis annuellement en capital risque aux États-Unis sont près de trois fois plus importants qu’en Europe (à titre d’exemple en 2023,162 milliards d’euros ont été investis en capital risque aux États-Unis contre 57 milliards d’euros en Europe).

La vraie démarche en l’espèce, c’est de mettre en œuvre un véritable marché unifié des capitaux. Le Medef l’évoque à juste titre. Cela ne fait que deux décennies que l’Union européenne y travaille… « Faire croître les marchés de capitaux pour financer nos besoins futurs », donc. C’est certainement l’axe le plus prometteur mis en avant par le Medef. Le manque de profondeur et la fragmentation des marchés de capitaux en Europe sont des obstacles majeurs au bon financement des entreprises européennes. En particulier, les start-ups et les entreprises innovantes, qui aujourd’hui ne profitent pas pleinement des capacités d’épargne européennes et de la masse critique dont bénéficient les entreprises américaines. Les textes et travaux sur l’Union des marchés de capitaux sont d’une extrême complexité et ne peuvent à l’évidence constituer un sujet grand public. Ils ne peuvent néanmoins cacher que les objectifs affichés par l’Union européenne depuis deux décennies sont loin d’être atteints. Ainsi, la capitalisation boursière est de 81 % du PIB en Europe alors qu’aux États-Unis, celle-ci représente 227 % du PIB. Il est vrai que les questions de financement de la dette publique percutent sournoisement le financement du secteur privé en Europe, et en particulier en France… À noter que Christian Noyer, ancien gouverneur de la Banque de France (d’autant plus respecté qu’il faut vraiment tendre l’oreille pour bien le comprendre), a été chargé par Bruno Le Maire d’un rapport sur ce sujet pour relancer les bonnes volontés lors de la prochaine mandature européenne.

CPME, le test PME généralisé

Pour ce qui concerne la CPME, le document de 150 propositions constitue un beau travail des équipe techniques, présenté par François Asselin et Arnaud Haefelin (lui aussi, EPV (Entreprise du patrimoine Vivant)). Allons à l’essentiel, en complément des 30 propositions du Medef.

La principale proposition de la CPME réside dans le « Test PME ». Il s’agit de rendre obligatoire un test PME avant l’adoption des directives et des règlements européens. Mesure de bon sens, qui aurait du reste évité à la Commission européenne les invraisemblables manifestations d’agriculteurs sur toute l’Europe ces derniers mois. On se demande comment les services de la Commission ne l’ont pas déjà mise en œuvre.

Éradiquer toute surtransposition (la France aime bien être première de la classe en l’espèce), ne pas confondre délais classiques du monde de l’entreprise et retards de paiement, critères « hors prix » dans les marchés publics, adapter les contraintes RSE (Responsabilité Sociale et Environnementale) et les textes CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive, applicable depuis le 1/01/2024 en France) à la taille des entreprises, se protéger contre l’extraterritorialité, adopter une approche volontaire de la part des entreprises quant à la présentation de leur empreinte carbone.

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Remédier à la prolifération aberrante de la REP (Responsabilité Élargie des Producteurs). Finaliser la directive sur la taxation de l’énergie. Privilégier une approche volontaire du Green Deal. Ne pas entraver l’innovation entrepreneuriale par des réglementations inadaptées.

Bien sûr, réviser la directive du 4 novembre 2003 (aménagement des congés payés), qui impacte les États qui ont les systèmes de protection sociale les plus favorables aux salariés. Pour mémoire, la Cour de Cassation et le Conseil d’État ont récemment conduit à des aménagements significatifs dans le sens de la CPME.

La CPME a bien travaillé. Ses propositions devraient prospérer. Elle est clairement  pro-européenne mais avec des nuances par rapport au Medef, exprimées avec humour par Arnaud Haefelin : « Il n’y a pas que du négatif dans l’Union européenne ».

François Asselin résume bien in fine la philosophie de la CPME : « Il ne faut pas séparer la transition écologique du social et de l’économie » ; « Nous sommes pour la construction européenne. Néanmoins, ceux qui veulent endetter l’Europe nous inquiètent » ; « Il faut revenir à cette formidable idée européenne qui a contribué  à la croissance ». On ne peut pas être plus clair.

L’U2P quant à elle préconise, sans surprise, une meilleure prise en compte des spécificités des TPE/PME dans les textes européens, un allègement des obligations de reporting ainsi qu’un accès facilité et simplifié aux dispositifs européens. Enfin, l’AFEP. Sa dernière contribution date de 2019, avec la présentation de 10 chantiers prioritaires. Sa position n’a pas dû beaucoup changer : « Garantir un financement plus efficace et plus stable de l’économie réelle sur le long terme » ; « Mieux défendre les intérêts économiques européens » ; « Adapter le contrôle des concentrations aux enjeux de la mondialisation » ; « Offrir aux entreprises les conditions pour qu’elles puissent investir dans les technologies bas-carbone en Europe pour réussir la révolution de la neutralité climatique à 2050 ».

En synthèse, les institutions représentatives des entreprises en France sont foncièrement pro-européennes, non vraiment fédéralistes et totalement pragmatiques quant à leurs attentes vis-à-vis de structures institutionnelles européennes, identifiées comme fondamentalement bureaucratiques.

Le non-dit

Il y a enfin un évitement généralisé – un non-dit, probablement – au sein des milieux patronaux quant à cette élection européenne. Il s’agit de leur position quant aux politiques de migration et d’intégration, pourtant un des sujets importants de cette élection.

Medef : « Lutter contre les pénuries de main d’œuvre » (nouvelles règles de coordination des systèmes de sécurité sociale, reconnaissance mutuelle des qualifications dans les secteurs des TIC et des services à la personne ». C’est formidable. À côté du cœur du sujet, bien sûr.

CPME : « Reconnaître la contribution positive des talents des pays tiers pour répondre aux besoins du marché du travail, et mettre en place des voies d’entrée sûres pour lutter contre les politiques abusives et frauduleuses ». Un peu plus impliquant mais sans indications quantitatives ou sectorielles.

Les Français aimeraient en tout état de cause connaître les estimations de besoins de main d’œuvre dans les dix ans qui viennent, en milliers d’emplois, secteur par secteur (BTP, restauration, services à la personne, santé,…) et les éventuels quotas incontournables d’immigration nécessaire, après avoir bien sûr proposé ces excellents emplois à nos compatriotes. Les Français sont avant tout pragmatiques. La campagne pour les élections européennes de 2024 ne fait que commencer…




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