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Scandinavie, une invitation au silence

Alessandra Ballotti et Frédérique Toudoire-Surlapierre publient "Scandinavie, un voyage magnétique "(Éd. De La Martinière, 2023)


Scandinavie, une invitation au silence
Suède. DR.

Face à des paysages grandioses, on fait silence


En chacun de nous existe probablement un esprit du Nord. Je ne suis jamais allé là-bas physiquement, mais les pays scandinaves ont joué un rôle certain dans ma mythologie personnelle, à travers quelques artistes marquants. Qu’ils appartiennent à la littérature (Stig Dagerman), au cinéma (Bergman, Lars von Trier), à la philosophie (Kierkegaard, peut-être mon philosophe préféré), ou encore à la musique (Sibelius), ils ont introduit incontestablement dans ma sensibilité une prédisposition fondamentale.

Peu de textes, beaucoup d’images

Le beau livre très érudit que nous proposent Alessandra Ballotti et Frédérique Toudoire-Surlapierre, toutes deux professeurs de littérature comparée à la Sorbonne et spécialistes du monde scandinave, a le grand mérite de faire une synthèse particulièrement agréable et démonstrative de ce que représentent ces pays de l’extrême. Peu de textes ici, beaucoup d’images, l’essentiel est dit et montré avec goût et simplicité. Les deux universitaires sont parvenues à faire une somme esthétique, nous livrant sur un plateau la quintessence même de tous ces magnifiques pays du Nord que sont la Suède, la Norvège, le Danemark et quelques autres encore.

Il y a une identité scandinave, perceptible à travers les différentes formes d’art que nos deux auteurs scrutent attentivement. Elles notent ainsi « un sentiment profond mais complexe, mêlant l’isolement, l’esseulement, la solitude, la marginalité, un peu de nostalgie aussi ». Les peintures ou les photographies qu’elles ont sélectionnées le prouvent assez, mais aussi les exemples littéraires qu’elles donnent. Elles citent ainsi l’écrivain islandais Gyrðir Elíasson, qui évoque la solitude dans son roman La Fenêtre du sud, paru en français en 2020 : « Celui qui est seul est toujours seul, écrivait-il, infiniment seul et nulle compagnie ne peut rien y changer. » 

L’âme scandinave

Deux éléments prédominent, pour caractériser l’âme scandinave. Le silence, d’abord, délicat à illustrer, et ensuite  sûrement la couleur bleue. Cette couleur a inspiré les poètes et les peintres. Dans son recueil de poésie maritime Baltiques (1974), Tomas Tranströmer écrivait : « Et là-haut, dans les montagnes, le bleu de la mer a rattrapé le ciel. » Quelques pages plus loin, un tableau de Björn Ahlgrennsson de 1901 vient mettre en évidence cette obsession du bleu.

A relire, du même auteur: Un nouveau tome du Journal d’Imre Kertész, rescapé d’Auschwitz

Le froid et la glaciation immergent toute la vie nordique. Le gel est un thème littéraire inépuisable. Alessandra Ballotti et Frédérique Toudoire-Surlapierre lui consacrent tout un chapitre, mentionnant l’exemple suivant : « le Danois Peter Høeg, remarquent-elles, dans son roman Smilla et l’amour de la neige (1992), confirme les pouvoirs poétiques de l’immensité glacée et de l’infinie blancheur des espaces nordiques ». Au Groenland, le paysage est évidemment somptueux et d’un blanc immaculé. « Se fondant dans cette nature incolore et glacée, les Inuits semblent parfaitement inaccessibles », comme le soulignent nos deux universitaires.

Une nature grandiose

Ce qui, selon elles, frappe peut-être le plus, dans les pays scandinaves, c’est l’immensité de la nature, et en particulier « les vastes forêts », qui confèrent à ces contrées « une atmosphère surnaturelle ». Le cinéaste islandais Hlynur Pálmason a consacré tout un film, Godland, en 2022, à décrire ce phénomène, « rappelant, si besoin était, que l’âpreté naturelle est une source féconde de puissance esthétique ».

Pour Alessandra Ballottiet Frédérique Toudoire-Surlapierre, le philosophe danois Søren Kierkegaard est celui qui est le plus représentatif de l’esprit scandinave, avec ce qu’il a lui-même appelé, à propos du sacrifice d’Abraham, « la terrible responsabilité de la solitude ». La pensée de Kierkegaard se trouve donc être tout naturellement « au cœur même de la morale nordique ». Preuve supplémentaire, s’il en était besoin, de l’attrait intellectuel que représente cette contrée scandinave apparemment si excentrée, et qui ne révèle ses richesses qu’aux plus vigilants.   

Alessandra Ballotti et Frédérique Toudoire-Surlapierre, Scandinavie, un voyage magnétique. Éd. De La Martinière.

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À noter également, de Frédérique Toudoire-Surlapierre, De quelques prédictions bien utiles du Nordic Noir. Éd. Orizons.

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Jacques-Emile Miriel, critique littéraire, a collaboré au Magazine littéraire et au Dictionnaire des Auteurs et des Oeuvres des éditions Robert Laffont dans la collection "Bouquins".

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