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Faut-il vraiment se réjouir de la démission de Jean-Paul Delevoye?

Aveuglante transparence


Faut-il vraiment se réjouir de la démission de Jean-Paul Delevoye?
Jean-Paul Delevoye le 29 novembre à Créteil © DICOM/MERESSE/SIPA Numéro de reportage: 00935052_000013

« Je me moque bien des mandats occupés par Delevoye tant qu’ils n’obstruent pas le service de l’intérêt général »


Notre gouvernement continue de battre de tristes records: avec la démission de Jean-Paul Delevoye du gouvernement ce lundi 16 décembre, c’est le 16ème membre du gouvernement qui est contraint de mettre fin à sa période d’essai sur l’Olympe plus que vacillant que peine à installer Emmanuel-Jupiter Macron.

Ayant négligé de mentionner une dizaine de mandats dans sa déclaration d’intérêt à la Haute Autorité pour la Transparence de la vie publique (HATVP), « Monsieur retraite » a été épinglé par le Parisien pour son poste au conseil d’administration de l’Institut de formation de la profession de l’assurance (Ipfass), ainsi qu’au think tank Parallaxe. S’en est suivie une longue liste de mandats non déclarés que le ministre a lui-même dressée devant les journalistes du Monde le 14 décembre.

Préférons-nous la moralité à l’efficacité ?

Permettez-moi de jeter un pavé dans la mare : même si on conçoit mal qu’un ministre puisse oublier de déclarer tant d’activités, je me moque bien des mandats occupés par Delevoye tant qu’ils n’obstruent pas le service de l’intérêt général, d’autant que Delevoye bénéficie comme chaque Français depuis 2018 d’un droit de régularisation en cas d’erreur dans ses déclarations administratives.

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Bien plus révoltante est la tendance croissante des médias et de la vindicte populaire à se faire l’impitoyable tribunal des puissants. En pleine réforme des retraites et alors que le pays succombe à la violence et à l’incompréhension, le calendrier de ces révélations est détestable. Comme les costumes de Fillon ou les homards de Rugy, l’irruption des mandats de Delevoye dans l’actualité coïncide étrangement avec l’agenda politique.

Bien plus révoltante est la soumission de ce dernier aux vents et marées d’une presse inquisitrice qui ne se rend jamais responsable des mensonges qu’elle ébruite parfois ni des désordres qu’elle produit. On disait de Delevoye qu’il était expérimenté, qu’il avait l’oreille des syndicats, une rondeur dans les négociations, une connaissance parfaite des sujets techniques et une expérience de terrain. Souhaite-t-on réellement se passer d’un homme de cette qualité, qui a su négocier la réforme des retraites pendant 18 mois, qui s’est parfois imposé contre le reste du gouvernement, pour une histoire idiote de paperasse qui n’enlève ni ne rapportera un euro à ceux qui se gaussent de le voir tomber ?

La transparence, idiot utile de la ploutocratie

Etrangement, c’est l’interview de Jean-Paul Delevoye dans Le Monde qui signa sa démission. C’est lorsque le politique consent à la génuflexion plutôt qu’à la royale ignorance qu’il tombe : « J’ai une intolérance aux fruits de mer (…) le champagne, ça me donne mal à la tête ! » fut le chant du cygne de François de Rugy.

Je constate d’ailleurs non sans délectation que les fauteurs présumés sont souvent d’anciens inquisiteurs : comme la révolution, la transparence dévore ses propres enfants, et les médias sont ses Fouquier-Tinville insatiables. De Rugy et Delevoye n’avaient que le mot de transparence à la bouche, et Fillon s’est abondamment vu reproché ses saillies sur les mises en examen de Nicolas Sarkozy.

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Ces épisodes récurrents qui soumettent nos gouvernements à la loi du scandale finissent par affaiblir le pouvoir politique. Faisant de toute fonction étatique une boite à gifle qui rapporte bien moins d’argent mais bien plus d’ennuis que l’administration privée, les petits révoltés de Facebook finiront par démolir l’Etat qui reste le seul rempart se dressant entre eux et les forces sauvages du marché. Dégoûtant les élites intellectuelles du service de l’intérêt public, le centre du pouvoir se déplacera tout naturellement vers les grandes entreprises qui sauront mieux attirer les talents.

Par ailleurs il y a fort à parier que l’envie de transparence s’accompagnera d’une opacité redoublée, et du développement d’un lobbying qui deviendra la première source de revenus de nos élus, comme cela se fait déjà chez nombres de nos voisins anglo-saxons ou au parlement européen. Ce modèle qui vide le politique de sa puissance en même temps que de son faste et réduit les élus à des pantins dépendant de leurs sponsors nous vient du monde protestant, dans lequel une ministre peut, comme en Suède, démissionner pour avoir payé une barre de Toblerone avec sa carte de fonction, au nom de l’offentlighetsprincipen, ou principe de transparence.

Efforçons-nous de préserver les fastes, les dorures, et même les homards, qui participent à l’efficacité du pouvoir et asseyent sa légitimité historique.

Voilà comment les chevaliers de la transparence deviennent les idiots utiles du népotisme et de la ploutocratie. Bon retour dans le monde des mortels monsieur Delevoye, vous verrez comme la vie y est plus tranquille !



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