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Don Juan des urnes


C’était trois jours avant la Saint-Valentin. Dans Le Figaro Magazine, Nicolas Sarkozy, s’adressant à la France comme un amant infidèle à son amoureuse déçue, lui jurait les yeux dans les yeux qu’il avait changé, qu’il avait compris, que cette fois, on ne l’y reprendrait plus : il lui rendrait la parole si elle acceptait de le reprendre. Cette fois, on allait voir ce qu’on allait voir, les référendums allaient se multiplier, le peuple pourrait enfin s’exprimer sur des sujets qui le concernent directement : l’emploi, la fonction publique, et même l’immigration. L’infidèle d’hier serait désormais un modèle. C’est ce qu’il vient de lui redire à l’oreille, devant Laurence Ferrari, en déclarant sa candidature – assurant que pour son éventuel second quinquennat, il a en tête « une idée centrale » : « Redonner la parole au peuple français par le référendum ».
Mais ce repentir tardif est-il vraiment sincère ? En somme, peut-on croire qu’en cas de réélection, le président donnera effectivement la parole à ce peuple qu’André Tardieu, sous la IIIe République, nommait « le souverain captif », précisément parce qu’il était privé de référendum ? Tout le monde peut changer, même un Don Juan des urnes. Mais on doit tout de même convenir que ni le passé, ni le présent n’augurent, pour l’institution référendaire, d’un avenir radieux en cas de réélection.

Le passé, d’abord, laisse planer quelques doutes sur les promesses du Président. C’est sur ce point, du reste, que Jean-Michel Aphathie, le 15 au matin, s’est amusé à cuisiner Madame le ministre Nadine Morano. Nicolas Sarkozy, accusait le journaliste, n’a organisé aucun référendum en cinq ans : pourquoi en irait-il autrement dans les cinq ans qui viennent ? A quoi Mme le ministre rétorqua du tac au tac – ce qui figurait vraisemblablement sur les petites fiches en bristol apportées pour l’occasion -, que pas du tout, il en avait fait trois. Trois ! Stupeur d’Aphathie, qui se demande s’il n’a pas loupé un épisode. Oui, trois référendums, précise Mme Morano : en Corse, le 6 juillet 2003, à Mayotte, le 29 mars 2009, et puis en Guyane, le 10 janvier 2010. Rires discrets dans la salle : le premier fut organisé par Jacques Chirac ; en outre, deux des trois « référendums » cités ont été des échecs, ce qui, aux yeux de leur initiateur, ne plaide pas vraiment en faveur du mécanisme ; enfin et surtout, il ne s’agissait évidemment pas de référendum. Ni au sens propre, puisqu’un référendum consiste à interroger le peuple dans sa totalité, et non pas les seuls habitants d’une collectivité territoriale, ni au regard du droit, la constitution, qui prévoit ce type de consultation dans ses articles 72-1 alinéa 5 et 72-4 alinéa 2, se gardant bien de les qualifier de référendum.

Jean-Michel Apathie, faisant preuve de sa mansuétude bien connue, renonça à pousser le bouchon plus loin avec Madame le ministre. Il aurait pourtant pu évoquer, parmi les indices négatifs, la grande révision du 23 juillet 2008.
Cette révision, qui modifie en profondeur la constitution de la Ve république, et qui concerne donc très directement le peuple souverain, n’a cependant pas été adoptée par référendum, mais par la voie du congrès : une procédure qui, à l’origine, était réservée exclusivement aux révisions trop mineures pour que l’on dérange le peuple. En outre, cette révision du 23 juillet 2008, voulue et portée à bout de bras par le président, a eu notamment pour objectif de neutraliser le référendum obligatoire de l’article 88-5 issu de la révision du 1er mars 2005, qui obligeait à consulter les Français en cas d’entrée de nouveaux Etats dans l’Union européenne. Désormais, il existe une alternative parlementaire, ce qui fait que, très vraisemblablement, les Français ne seront jamais consultés sur ces questions.

La révision de 2008 prévoit, il est vrai, une innovation apparemment intéressante, un référendum d’initiative populaire inscrit dans le nouvel article 11 alinéa 3. Sauf qu’en réalité, il ne s’agit pas d’un référendum d’initiative populaire, mais d’un référendum d’initiative parlementaire appuyé par un dixième des électeurs inscrits. Une procédure si lourde, si complexe et potentiellement si décevante, qu’elle n’a pratiquement aucune chance d’être jamais organisée. Une procédure pour laquelle fut d’ailleurs prévue, en juillet 2008, l’adoption d’une loi organique qui, bientôt quatre ans plus tard, n’a toujours pas été adoptée – ce qui indique une certaine… nonchalance des pouvoirs publics sur ce point.
À ce propos, M. Apathie aurait pu enfin évoquer la ratification parlementaire du Traité de Lisbonne en février 2008, lequel reprend l’essentiel ce que les Français avaient refusé par référendum le 29 mai 2005, en disant massivement non au Traité sur la constitution européenne. En l’occurrence, le respect élémentaire du principe démocratique exigeait que l’on consulte à nouveau les Français. Mais la chose était risquée : d’où, le choix de renoncer, une fois de plus, à la glorieuse incertitude du référendum.

En somme, le passé augure mal de l’avenir. D’autant que les promesses elles-mêmes manquent de crédibilité. Ainsi, la presse a-t-elle évoqué la possibilité d’un référendum sur l’immigration : mais celui-ci serait vraisemblablement jugé contraire à la constitution, l’article 11 disposant que le président de la République « peut soumettre au référendum tout projet de loi portant (…) sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent ». En l’espèce, ce n’est pas le cas, ce qui signifie que le Conseil constitutionnel, obligatoirement saisi, invaliderait d’emblée le projet de loi référendaire.
Même chose à propos de la « règle d’or » évoquée par Mme Morano : celle-ci ne pourrait être introduite dans la constitution par voie de référendum que selon la procédure de l’article 89 alinéa 2, qui suppose au préalable un vote conforme des deux chambres. Ce qui signifie que, même en cas de victoire de Nicolas Sarkozy aux élections présidentielles, puis de l’UMP aux législatives, la nouvelle majorité de gauche du Sénat empêcherait, en toute hypothèse, l’inscription de la « règle d’or » dans la constitution.

En conclusion, le référendum, « parangon de notre démocratie », paraît plutôt mal barré, comme dit le poète. Voilà pourquoi il ne faut pas toujours croire les messieurs qui vous disent des choses gentilles et vous promettent, les yeux dans les yeux, qu’ils vont changer, et que maintenant, ça ne sera plus comme avant…



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est né en 1964. Il est professeur de droit public à l’université Paris Descartes, où il enseigne le droit constitutionnel et s’intéresse tout particulièrement à l’histoire des idées et des mentalités. Après avoir travaillé sur l’utopie et l’idée de progrès (L’invention du progrès, CNRS éditions, 2010), il a publié une Histoire de la politesse (2006), une Histoire du snobisme (2008) et plus récemment, Une histoire des best-sellers (élu par la rédaction du magazine Lire Meilleur livre d’histoire littéraire de l’année 2011).

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