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Voyage autour de ma bibliothèque (10/10)

Cet été, Roland Jaccard range ses livres (10/10)


Voyage autour de ma bibliothèque (10/10)
Ayn Rand en 1962. SIPA, AP21662688_000001

Cet été, après sa rupture, Roland Jaccard a senti le besoin de faire le tri. Il nous emmène errer avec lui autour de livres qui ont marqué sa mémoire (10/10).


Alain Laurent : Ayn Rand ou la passion de l’égoïsme rationnel

C’est une jeune fille telle que je les aime. Née en 1905 à Saint-Pétersbourg, Lisa Rosenbaum connaît une enfance dorée dans l’appartement de sa famille qui donne sur la perspective Nevski. Elle a pour amie Olga Nabokov, la sœur d’un certain Vladimir. Elle lit beaucoup et tient son journal intime. Le jour de son treizième anniversaire, elle écrit : « Aujourd’hui, j’ai décidé d’être athée ». Elle le restera jusqu’à sa mort en 1982. Une autre décision s’impose à seize ans : ne pas avoir d’enfants. Elle n’y dérogera pas. Enfin et surtout, après la Révolution d’Octobre dont elle perçoit d’emblée l’imposture et la cruauté, elle choisit, quel que soit le prix à payer, de s’exiler aux États-Unis, ne serait-ce que pour assouvir sa passion du cinéma et ne pas être asphyxiée par un collectivisme qui l’horripile.

La religion, « ce poison de l’humanité », ne trouve pas non plus grâce aux yeux de cette jeune rebelle qui, dès qu’elle foule le sol américain, change de nom pour que sa judéité ne lui colle pas à la peau. Dorénavant, elle s’appellera Ayn Rand. Elle a vingt et un ans, cinquante dollars en poche et la version anglaise de Ainsi parlait Zarathoustra comme viatique. Cécil B. de Mille lui mettra le pied à l’étrier. Débute alors une carrière de scénariste, de romancière et de philosophe qui, sans qu’elle ait renoncé à ses idéaux d’adolescente, lui vaudra d’être l’auteur le plus lu aux États-Unis après la Bible et le plus exécré en France où sa passion de l’égoïsme, son anticommunisme radical et sa déposition sans état d’âme devant la commission maccarthyste chargée de démasquer les complices de l’infiltration prosoviétique à Hollywood susciteront l’indignation.

S’il fallait résumer la pensée d’Ayn Rand, je choisirai ces quelques lignes de son auto-biographie We the living : « Personne ne peut dire à un homme pourquoi il doit vivre. Personne ne peut s’arroger ce droit parce qu’il y a en l’homme des choses qui sont au-dessus de tous les États, de toutes les collectivités. Quelles choses ? Son esprit et ses valeurs. Tout homme digne de ce nom ne vit que pour lui-même. Nous n’y pouvons rien parce que l’homme est né ainsi, seul, entier, une fin en soi. Aucune loi, aucun parti ne pourra jamais tuer cette chose en l’homme qui sait dire : Je. »

Cette libertarienne est étonnamment proche de deux de ses contemporaines : Louise Brooks et Dorothy Parker, ainsi que de son ami l’architecte Frank Lloyd Wright. Elle participera d’ailleurs au tournage du film de King Vidor Le Rebelle (1949) avec Gary Cooper et Patricia O’Neal, tiré de son livre The Fountainhead qui s’inspire du destin de Frank Lloyd Wright. Elle sera ulcérée que son plaidoyer pour l’individualisme soit amputé de sa réplique la plus célèbre : « Je ne suis pas un homme qui vit pour les autres », ainsi que d’une scène de viol qui reflétait sa conception de la sexualité où le sadomasochisme tenait le premier rôle. Elle méprisait autant le puritanisme religieux que la politique sociale consistant à prendre à Pierre pour donner à Jacques par l’intermédiaire de l’État.

Le plus surprenant, c’est qu’une jeune Russe athée, libertine et anarchiste ait exercé et exerce encore une telle influence aux États-Unis. Ronald Reagan la qualifiait de Jeanne d’Arc du capitalisme et même Hillary Clinton avouait avoir eu « sa période Ayn Rand ». Mais, comme le note son biographe Alain Laurent dans son essai Ayn Rand ou la passion de l’égoïsme rationnel, l’intellectuel français, qu’il soit de droite ou de gauche, tient trop à l’État social pour que la pensée d’Ayn Rand puisse le séduire. Aussi n’ai-je guère été surpris que Le Monde lance une double offensive contre l’économiste Hayek et contre Ayn Rand, censés tous les deux célébrer un capitalisme anarchique débridé qui magnifie l’inégalité et demeure indifférent à la souffrance des déshérités. Avec de tels arguments, comment ne pas haïr Ayn Rand ?

Et tant qu’à faire Nietzsche ou Stirner qui l’inspirèrent ? Hélas, ils n’eurent aucune influence sur Marie.

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