Accueil Politique Le voile ou l’illusion du vivre ensemble

Le voile ou l’illusion du vivre ensemble

Une tribune de Denis Bachelot


Le voile ou l’illusion du vivre ensemble
Image d'illustration Pixabay / OpenClipart-Vectors

La question du voile, régulièrement, vient enflammer les passions politiques, comme le montre la dernière controverse sur la présence d’une femme en hidjab dans l’enceinte de l’Assemblée nationale, à l’occasion d’une audition. Depuis plus de trente ans, le discours officiel oppose aux revendications communautaristes offensives, les mêmes défenses idéologiques sur la base des valeurs républicaines et de la « sacro sainte » laïcité. Une rhétorique incantatoire qui s’est révélée, sur la durée, incapable de circonscrire la progression d’un identitarisme musulman, particulièrement présent parmi les jeunes générations.

Nous avons écrit, il y a déjà dix ans de cela, un livre[tooltips content= »L’Islam, le Sexe et Nous; Buchet Chastel, 2009″](1)[/tooltips] qui traitait de la problématique du voile en tant que problématique sexuelle identitaire: à travers la représentation du corps de la femme dans l’espace public, c’est toute la construction de la relation homme / femme qui est en cause en tant qu’élément ontologiquement déterminant d’une identité collective. Et c’est bien cette dimension sexuelle qui polarise le plus dure d’une conflictualité de mœurs entre l’Islam contemporain et la modernité occidentale telle qu’elle s’exprime dans sa culture de masse. Face à cette confrontation des  mentalités, la réponse « républicaine » paraît un peu courte ! Elle occulte la question identitaire liée à un contexte historique marqué par un phénomène de migration à grande échelle.

Le nomade et le citoyen

Notre perception des processus migratoires est toujours construite à partir des réalités du 19e siècle, où l’émigration était un billet aller simple, avec comme seule perspective viable pour le migrant, l’assimilation à la terre d’accueil, la fusion en quelque sorte dans le collectif de sa nouvelle patrie. Cet état d’esprit était logique dans un monde d’espaces cloisonnés par des frontières difficiles à franchir, de transports longs et éprouvants et d’identités nationales très affirmées et facilement intransigeantes, voire xénophobes.

Ce qui heurte le sentiment identitaire de bien des gens, n’est pas la différence qu’exprime nombre de musulmans, mais le fait que nous devons partager la même citoyenneté, alors que nous nous percevons, de part et d’autre, porteurs de différences absolument imperméables les unes aux autres

Ce modèle a tenu jusqu’aux années 60, dans un processus de migration qui concernait alors principalement des peuples européens entre eux, essentiellement du sud vers le nord du continent, ou vers l’Amérique, bien sûr. La dynamique d’ouverture du monde à partir des années 60 à modifié la donne, avec la banalisation et l’accélération des transports, une plus grande perméabilité des frontières et le développement d’une culture mondialisée à travers les moyens modernes de communication. On n’est plus tout à fait le même immigré quand on peut rentrer dans son pays d’origine durant les vacances, y entretenir les liens familiaux et amicaux, lire encore ses journaux, regarder ses télévisons ou écouter ses radios. Dans un monde ouvert, il est normal et logique de  pouvoir vivre sur plusieurs espaces géographiques et culturels.

Et, de fait, s’est opérée une inéluctable séparation entre l’immigration économique, ou éventuellement politique, et la volonté d’appartenance à une nouvelle patrie. Les mentalités occidentales ont refusé de prendre acte de cette mutation qui change pourtant radicalement l’enjeu des notions de citoyenneté, d’appartenance et d’identité.

Notre définition du bien commun comme fondement de la Cité représente, depuis Aristote, le fil conducteur de la pensée politique occidentale. Cette notion essentielle ne se dilue nullement dans un universalisme « sans frontièriste » ; au contraire même, elle implique une forte communauté de valeurs et un sentiment exclusif d’appartenance. L’ordre démocratique- en tant que primauté de l’intérêt général – est par essence patriotique ; contrairement à l’ordre clanique ou féodal  ou l’ordre dictatorial qui reposent d’abord  sur le lien personnel et  la force ou la contrainte et la soumission. Il ne peut y avoir d’ordre politique « juste » – qui permet l’épanouissement du plus grand nombre – sans une  frontière qui départage le citoyen de l’autre, l’étranger à la Cité. La prétention à une citoyenneté universelle est un mensonge ontologique – une illusion au sens freudien du terme – qui s’impose comme une négation de l’ordre politique rationnel qui détermine à la fois l’appartenance et la différenciation.

C’est la prétention au semblable qui crée le conflit, et non la différence !

Ce sentiment d’appartenance est le contraire même de la vulgate « progressiste » du « vivre ensemble », qui se contente d’entériner la coexistence des différences sur un même territoire, sans mémoire ni volonté communes ; juste une cohabitation apaisée ! L’ordre politique de la Cité, n’est pas un club de vacances ou un supermarché, où chacun peut faire ses choix consuméristes en fonction de ses propres intérêts sans se soucier du voisin ; il suppose une adhésion entière aux principes fondateurs de la Res publica. Il n’est pas non plus un hôtel, selon la formule de Jacques Attali du pays moderne qui doit être « pensé comme un hôtel », ouvert à tout nouvel arrivant. L’occupant de l’hôtel n’est qu’un client qui n’a que les droits de jouissance que lui donne son contrat de location.

Enfin, l’ordre politique, la politeia n’est pas qu’une simple construction de principes théoriques sur la bonne gouvernance ; il est enraciné dans une vision commune de l’être social, portée par un corpus d’usages, de mœurs, de sentiments et d’émotions fondé, pour reprendre Renan, « sur un riche legs de souvenirs partagés » qui permet l’existence d’une «volonté de construire un avenir commun ».

L’identité est d’abord ce qui permet la pérennité d’un groupe humain face aux autres groupes, au-delà de ce qui inéluctablement change. « Pour que les cultures persistent dans leur diversité, il faut qu’il existe entre elles une certaine imperméabilité », affirmait Lévi-Strauss[tooltips content= »Le Regard éloigné; Plon, 1983 « ](2)[/tooltips]. Autrement dit, si nous admettons la réalité d’une « modernité nomade », ne nous faut-il pas alors, et a fortiori, revisiter  notre conception de la citoyenneté, et distinguer le nomade du citoyen, et ce qui relève de l’opportunité circonstancielle de ce qui tient à l’appartenance et la distance à l’autre qu’elle implique, au risque, sinon, d’un état de conflit permanent. Ce qui heurte le sentiment identitaire de bien des gens, n’est pas la différence qu’exprime nombre de musulmans, mais le fait que nous devons partager la même citoyenneté, alors que nous nous percevons, de part et d’autre, porteurs de différences absolument imperméables  les unes aux autres. La prolifération du voile dans l’espace public ne cesse de rappeler aux Français que l’autre n’est pas lui-même. C’est d’abord la prétention au semblable qui crée le conflit, et non l’expression de la différence.

Une violence contre les peuples

La violence première vient de l’injonction faite aux peuples autochtones de partager une citoyenneté, sans une communauté minimale de valeurs et de mœurs. Abolissons la nationalité automatique liée au droit du sol, et considérons l’autre, avec ses différences, comme un étranger qui doit bénéficier d’une hospitalité bienveillante mais sans avoir, a priori, à partager la même appartenance nationale, et la tension identitaire que représente le voile islamique se dégonflera naturellement !

Nous sommes les victimes de notre prétention dévoyée à l’universalité, qu’aucun peuple, en dehors de la sphère occidentale, ne partage. Nous avons déjà, en partie, perdu la maîtrise de notre destin, en tant qu’entité historique particulière, alors que le monde que nous devons affronter sera de plus en plus marqué par de déstabilisantes vagues migratoires. Reprendre le contrôle de son territoire, et donc de son destin, ne signifie pas fermer son territoire à l’étranger, mais  différencier  clairement  la présence contractuelle liée à l’échange économique du travail, de l’appartenance à la citoyenneté qui suppose une adhésion réelle aux valeurs et aux mœurs de la société hôte; soit l’incarnation d’une façon d’être au monde qui porte la pérennité des cultures et des peuples.

L'islam le sexe et nous

Price: 17,25 €

22 used & new available from 3,09 €



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Liban: Macron a raison de parler avec le Hezbollah
Article suivant Voici revenu le temps des assassins de l’Ecole

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération