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La réforme des retraites : une victoire pour le président de la République ?

Nicolas Saroky

Après quelques semaines, la lutte finale aura donc été remise à plus tard : c’est plutôt la fin de la lutte. Sans même un Grenelle de consolation, les tambours CGT et les trompettes CFDT ont replié leur attirail de kermesse et libéré leurs otages sans obtenir de rançon.

Pendant que la majorité des travailleurs se levait plus tôt que d’habitude pour essayer, par la route ou par le rail, d’aller travailler, c’est-à-dire d’échanger sa modeste utilité contre les moyens de sa subsistance, une minorité de fonctionnaires qui ne voit pas plus loin que le bout de ses avantages acquis tentait d’extorquer le maintien de ses privilèges contre la preuve de sa capacité de nuisance.

Ainsi, on a vu les marins corses − qui s’y connaissent en extorsion de fonds − obtenir dans une certaine discrétion que leur régime spécial ne soit pas touché par la réforme. On peut s’interroger sur la difficulté de leur travail. Vieillit-on plus vite en assurant la liaison Nice-Calvi sur un promène-couillons trois fois par semaine qu’en partant des mois sur un chalutier pêcher le thon jusqu’en Islande ? La réponse est non, mais la question n’est pas au désordre du jour.[access capability= »lire_inedits »]

Les dockers marseillais, qui luttaient à coup de pastis et de belote pour s’opposer à une réforme portuaire qui aurait relativisé la situation de monopole dont ils jouissent − et qui leur permet de tenir l’économie française par les couilles − ont rejoint le mouvement. Trente-sept grutiers qui gagnent 4000 euros par mois arrêtent le travail et la France est asphyxiée. Sont-ils à ce point compétents, rares et donc indispensables ? Non, ils sont juste invirables.

Le tableau des emmerdeurs professionnels ne serait pas complet sans les conducteurs de TGV qui se sont sentis solidaires de leurs camarades même pas menacés de cotiser et de partir à la retraite comme vous et moi, même pas inquiets pour l’avenir de leur prime de charbon mais solidaires. C’est beau, la lutte des classes ! Evidemment, ça aurait plus de gueule d’arracher des droits à un patronat combattif et intraitable qu’à des contribuables impuissants et consternés, mais on a les victoires qu’on peut. L’important, c’est de continuer le combat, surtout quand on ne risque rien.

Tout ça ne serait que grotesque si l’activité de ce petit monde du service public suffisait à financer ses retraites, mais ce n’est pas le cas et c’est là que le bât blesse. Depuis des décennies de mouvements sociaux et de blocages du pays, les millions d’agents de l’Etat qu’on a vus dans la rue ces temps-ci ont obtenu des conditions de départ à la retraite que le pays n’a plus les moyens d’assurer. Les cotisations des employés d’EDF, de la SNCF et d’autres qui partent les plus jeunes mais vivent les plus vieux ne suffisent plus à payer leurs pensions et c’est l’Etat, par l’emprunt − donc vous, moi et nos enfants −, qui mettons au bout pour environ 15 milliards chaque année.

Je suppose que les 70 % de Français qui, dans les sondages, ont soutenu le mouvement ignorent ces détails et ont voulu protester contre d’autres injustices. Il faut reconnaitre qu’en pleine affaire Woerth-Bettencourt, il n’est pas facile pour le péquin moyen de savoir qui, du gouvernement ou du tandem syndicat/opposition, est le plus gros baratineur, mais on voit bien, quand le prolétaire du privé soutient l’employé du public qui nous la joue « lutte des classes », qui est le dindon de la farce.

Les plus glougloutants dans l’histoire étant sans doute les lycéens qui, à l’appel d’irresponsables politiques et avec le concours ou l’impuissance du monde adulte et enseignant, sont descendus dans la rue. Comment résister à une telle invitation quand on a 14 ans ? Alors que, toute l’année, il faut travailler à l’école pour devenir un homme libre et gagner sa vie dignement, avec la grève on devient citoyen en séchant les cours, en braillant des âneries ou en brûlant des poubelles. Il est difficile de refuser à la jeunesse ce souffle dont nous avons tous aimé la caresse, ce sentiment d’une insurrection qui vient quand on s’empare de la rue et qu’on mobilise les forces de l’ordre, mais laisser croire à ces grands bébés un peu couillons qu’il en va de leur intérêt, c’est quand même la plus belle escroquerie de toute cette affaire.

Alors, quelle connerie la grève ? Pas sûr. Il y a quelques années, une étude sur le monde du travail montrait que, dans les secteurs d’activité où la grève était difficile à mener, les arrêts-maladie étaient plus fréquents qu’ailleurs. Cette soupape « médicale » permettait aux travailleurs du privé (pour aller vite) de débrayer à peu près autant que leurs collèges du public qui avaient la grève plus facile. Arrêter les machines, sortir de la chaîne ou planter patrons, clients et usagers provisoirement et régulièrement serait une nécessité incontournable pour tous ceux qui subissent un boulot pas assez choisi. En dehors de tout enjeu et de tout objet, la grève serait au travailleur ce que la récréation est à l’écolier, d’où l’exaspération de ceux qui n’ont pas le droit de sortir devant ceux qui passent leur temps dans la cour et en sont récompensés au détriment des élèves plus studieux. Alors, cette fois-ci, les perturbateurs sont rentrés en classe sans bon point et ce n’est que justice. L’instituteur s’est montré ferme et juste, et c’est ce qu’on peut attendre de mieux.

Le gouvernement pour lequel j’ai voté a dit aux Français : « Je vous ai compris », mais a maintenu le cap. Après tant d’années immobiles, de réformes avortées, la France serait finalement réformable. C’est une question de volonté politique. On le savait tous, on attendait de voir. Il est venu, il a vaincu, on a vu.[/access]

Novembre 2010 · N° 29

Article extrait du Magazine Causeur



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Cyril Bennasar, anarcho-réactionnaire, est menuisier. Il est également écrivain. Son dernier livre est sorti en février 2021 : "L'arnaque antiraciste expliquée à ma soeur, réponse à Rokhaya Diallo" aux Éditions Mordicus.

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