Ukraine : l’Allemagne prend l’affaire en main


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Il y a le feu à la steppe : à moins de deux semaines de l’élection présidentielle fixée au 25 mai en Ukraine, l’affrontement entre le pouvoir en place à Kiev (dit pro-européen) et les séparatistes pro-russes de l’est du pays ne s’apaise pas, bien au contraire. Bravant toutes les mises en garde formulées à Bruxelles comme à Washington, les séparatistes ont organisé leur référendum instituant leur « République populaire de Donetsk», dont la vocation est de solliciter son rattachement à la fédération de Russie. On peut gloser à l’infini sur la validité de ce scrutin, dont les résultats proclamés sont sans doute le produit d’une manipulation bureaucratique, mais il est indéniable qu’il a conféré une certaine légitimité aux dirigeants de la sécession, ne serait-ce que parce que les partisans de l’indépendance ne se sont pas mobilisés, dans ces régions, pour lui faire échec.

Contrairement à ce qu’il s’était passé en Crimée, Poutine n’a pas poussé publiquement les feux, laissant ses partisans sur le terrain mener leur combat, sans franchir la ligne rouge qui aurait été le soutien militaire direct aux sécessionnistes. Le maître du Kremlin a même fait reculer de quelques kilomètres les troupes russes massées à la frontière préférant, dans la phase actuelle, mener une offensive diplomatique destinée à semer la confusion chez l’adversaire. Cet objectif est en passe d’être atteint : au mois de février, alors que les téléspectateurs occidentaux étaient fascinés par les images de révolte populaire sur la place Maïdan de Kiev, l’Union européenne avait réussi à former une « dream team », composée de l’Allemagne, la France et la Pologne, le « triangle de Weimar », pour piloter une transition politique en Ukraine favorable aux opposants à l’influence russe. Prise de court, la Russie signait à Genève un accord demandant aux parties ukrainiennes de mettre fin à leurs affrontements et de s’engager dans un « dialogue national » pour donner aux régions une très large autonomie. Cet accord n’eut pas le moindre début de commencement de mise en application, et dès le lendemain de sa signature, on se lançait mutuellement des accusations de violation de ses clauses, allègrement perpétrées de part et d’autre.

Le « triangle de Weimar »  repasse alors la patate chaude à Bruxelles, pendant que Paris, Berlin et Washington se concentrent sur la défense de leurs intérêts nationaux dans cette pénible affaire. Les Polonais, les plus offensifs dans le soutien au pouvoir de Kiev sont mis sur la touche, Washington parle haut mais se contente de mettre quelques « conseillers » à la disposition des forces armées ukrainiennes pour contrer les milices pro-russes, et Paris veille à préserver la menée à bonne fin de son contrat de fourniture de navires de guerre «  Mistral » à Moscou, à la grande fureur de Barack Obama. La ligne européenne consiste alors à persuader le gouvernement de Kiev de faire preuve de souplesse à l’égard des dissidents de Donetsk et Lougansk, en échange de subsides destinés à éviter le dépôt de bilan financier d’un pays exsangue. Chargé de porter le message, Herman van Rompuy se rend à Kiev le 12 mai pour calmer les ardeurs du Premier ministre Arseni Iatseniouk en signant avec lui quelques accords mineurs. Mais l’essentiel ne se passe plus à Bruxelles, car l’Allemagne veut prendre directement en main la gestion de la crise : c’est elle qui a le plus à redouter d’une déstabilisation de la région, pouvant mener en Ukraine à une guerre civile à la yougoslave. Il n’est pas question, pour Mme Merkel et ses amis, de mettre en péril la relation germano-russe si profitable à l’économie allemande et à sa sécurité énergétique.

Berlin fait donc en sorte que l’UE se mette en retrait de son rôle de médiateur entre les parties, pour lui substituer l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), qui présente l’avantage d’inclure la Russie et d’autres pays dans l’orbite de Moscou parmi ses membres, une organisation eurasiatique avant la lettre… C’est donc l’OSCE qui est chargée d’organiser la table ronde des forces politiques ukrainiennes, mise en place avec l’intervention active de Frank Walter Steinmeier, le ministre allemand des affaires étrangères.

Ce dernier a quasiment établi la liste des participants à cette table ronde, et imposé comme « modérateur » un ancien diplomate allemand de haut rang, Wolfgang Ischinger, qui entretient depuis longtemps des relations cordiales avec le monde politique russe. Les choses sérieuses peuvent commencer.

*Photo :  Guido Bergmann/AP/SIPA. AP21536774_000002.



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