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Ukraine, la boucherie jusqu’à quand ?

Est-il raisonnable de laisser l’Ukraine se vider de son sang


Ukraine, la boucherie jusqu’à quand ?
Izum, Oblast de Kharkiv, Ukraine, 27 février 2023 STEPHANE DUPRAT/SIPA 01104808_000022

Les signes indiquant que l’offensive ukrainienne est en train d’échouer se multiplient. Dans ces circonstances, est-il raisonnable pour les puissances occidentales de continuer leur politique de soutien inconditionnel à l’Ukraine? Il faudrait admettre qu’on a eu tort et que l’OTAN n’est pas aussi forte qu’elle le prétendait.


L’offensive ukrainienne se casse les dents sur les lignes de défense russe. Les pertes humaines sont lourdes, le gain de territoire faible. On envisage désormais une guerre longue. Est-il raisonnable de laisser l’Ukraine se vider de son sang durant encore de nombreux mois ?

L’enthousiasme qui prévalait au début de l’offensive en juin n’a pas duré. Les experts de retour d’Ukraine reconnaissent la solidité de l’armée russe. On se prépare à une guerre longue. Le coût humain terrifiant de cette guerre est généralement passé sous silence. Où en sommes-nous après deux mois d’offensive ukrainienne ? Plusieurs points font consensus.

1/ L’armée russe a gagné en efficacité et tient solidement ses positions. De retour du front, Eric Schmidt, ancien PDG de Google et très impliqué dans le développement d’une industrie de drones militaires ukrainiens, reconnaissait sur CNN le 17 juillet que les Russes maîtrisaient les airs et étaient devenus maîtres dans le brouillage électronique de l’adversaire. « Actuellement, ils interceptent ou clouent au sol les drones et avions que les Ukrainiens font décoller » ajoutait-il.

2/ Les pertes humaines sont lourdes côté ukrainien. Entre vingt et trente mille morts laminées dans le « hachoir à viande » russe en deux mois, selon les sources. « Il est correct de dire que nous avons deux fois plus de pertes de notre côté ».[1] déclarait au journal le Monde un commandant de la 21ème brigade début août. La question du renouvellement des troupes est délicate pour l’Ukraine, pays de 36 millions d’habitants, dont dix millions sont partis à l’étranger. L’armée de Kiev disposerait de plus de 50 mille hommes en réserve. La Russie, pays quatre fois plus peuplé, disposerait, elle, de près de 300.000 hommes prêts à monter au front. Et le recrutement se poursuit de manière soutenue dans l’ensemble de la Russie, avec l’objectif d’une armée d’un million d’hommes.

3/ Pénurie de matériel. Le New York Times, journal guère plus poutinophile que le Monde, a annoncé que l’Ukraine avait perdu 20% des équipements lourds engagés au cours des deux premières semaines de son offensive. L’Occident ne dispose pas des stocks d’armes suffisants pour rivaliser avec la puissance de feu russe sur le long terme. A défaut de pouvoir envoyer les obus conventionnels attendus, les Etats-Unis n’ont eu d’autre ressource que de livrer les controversées bombes à fragmentation, très meurtrières pour les civils et interdites par la plupart des pays occidentaux.

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La situation n’est objectivement guère brillante pour l’Ukraine et l’OTAN. Le temps ne joue pas en leur faveur. Dans ces conditions, ne serait-il pas temps de reconsidérer la politique suivie et de rechercher une issue au conflit ? Ces questions, on se les pose inévitablement à Washington et dans les capitales européennes. A Paris notamment, où il existe suffisamment de bons connaisseurs de la région pour analyser froidement la situation et envisager une autre direction. Mais sommes-nous prêts à franchir le pas et à mettre ouvertement le sujet sur la table ? C’est loin d’être évident.

Le pas à franchir est certes difficile. Il reviendrait à admettre que l’on a eu tort et que l’on s’est trompé sur de nombreux points. Pas facile pour les Etats-Unis et les Européens qui n’ont cessé d’exprimer des vues très tranchées et ont proclamé des objectifs ambitieux excluant tout compromis.

Diplomatiquement, il faudra accepter que la Russie ait des exigences de sécurité régionale légitimes et renoncer à la ligne très anti-russe incarnée en Europe par la Pologne et le Royaume-Uni, au profit de la position plus médiane évoquée par le président Hongrois, Victor Orban, ou, occasionnellement, par le Président Macron, au moins jusqu’au dernier sommet de l’OTAN.

Stratégiquement, il faudra admettre que la progression continue vers l’est de l’OTAN n’était pas une bonne idée et que la raison veut que l’Ukraine soit un Etat tampon, protégé par un statut de neutralité. Il n’est pas plus raisonnable de parler d’une entrée de Kiev dans l’OTAN en 2023 qu’il était raisonnable de laisser Cuba recevoir des missiles soviétiques pointés vers les Etats-Unis en 1962.

Militairement, l’image de l’OTAN en prendra un coup. Loin d’être une puissance militaire aussi impressionnante qu’elle le prétendait, il est évident que l’OTAN ne dispose pas actuellement des moyens matériels ni de la volonté collective de mener une guerre de terrain, longue et meurtrière, contre une armée aguerrie, bien équipée et combattant sur son terrain (ou ce qu’elle considère être son terrain dans le cas présent).

Le sort des provinces de l’est sous contrôle russe ne se règlera donc pas par les armes mais à la table de négociation. Qui aura le courage d’aborder le sujet en premier ? Une fois de plus, il est probable que ce soit les Etats-Unis qui sifflent la fin de la partie. Changer de pied sans prévenir est dans leurs habitudes, notamment à l’approche d’une élection présidentielle. De manière intéressante, une petite musique critique à l’égard des militaires ukrainiens commence à se faire entendre côté américain sur le thème : « Nous leur avons donné tout l’équipement dont ils avaient besoin. S’ils ne font pas ce qu’il faut avec pour emporter la victoire, ce n’est pas notre faute ».  Pénible à entendre pour les courageux soldats ukrainiens, ce propos a l’avantage de disculper l’Amérique et de faire porter le chapeau aux Ukrainiens eux-mêmes.

En Europe, la France pourrait tenir ce rôle de la nation qui s’emploie à substituer la diplomatie à la guerre. Nous avons les diplomates pour cela. Mais sommes-nous prêts à nous émanciper de nos partenaires européen et otanien ? Nous sentons-nous assez forts pour ouvrir la voie ou allons-nous attendre sagement que nos alliés américains le fassent, suivis dans la foulée par la Commission, avant, enfin, de faire entendre notre petite musique ? Une surprise n’est jamais à exclure, mais l’expérience de ces dernières années ne laisse guère de doute.


[1] Le Monde, 30 juillet 2023.



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Jean-Noël Poirier fut ambassadeur de France au Vietnam de 2012 à 2016. Il vit à Hanoï et travaille en Asie du Sud-Est où il a déjà vécu quatorze ans. Il traite pour Causeur de l'actualité vue de sa fenêtre en Asie.

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