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Timidité

Mon appel en faveur d’une Marche des fiertés timorée, timide et introvertie a suscité bien des passions depuis un mois. En dehors des frontières de la communauté timide, il a été salué par un silence tonitruant et une indifférence unanime confinant au fanatisme. Dans ce concert de silences timidophobes, celui de la Halde a été le plus perçant d’entre tous. C’est elle qui remporte bas la luette la palme de la timidophobie institutionnelle. Le constat est aussi triste que simple : tout se passe comme si les non-timides avaient d’autres phobies à fouetter !

Pourtant, contre toute attente, c’est au sein de la communauté timide que les réactions à mon appel ont été les plus violentes. Je le reconnais sans détour : celui-ci a provoqué un véritable cataclysme au sein de notre communauté. Depuis un mois, ses membres se livrent une véritable guerre de tranchées et se trouvent, pour l’heure, divisés en d’innombrables factions dissidentes. Depuis un mois, les timorés tournent le dos aux timides et les timides crachent par terre lorsqu’ils croisent un introverti. Ces tensions, qui doivent s’apaiser d’urgence, ont culminé le 27 mars, lorsqu’un timide non-identitaire a tenté de poignarder deux timides identitaires avec un couteau en plastique. Si leurs jours ne sont pas en danger, ils ne le doivent qu’à la timidité de leur agresseur, qui n’a pas osé utiliser une arme véritable.

[access capability= »lire_inedits »]Pourtant, je le dis sans ambages : je ne retire pas un mot à mon appel. J’ai brisé publiquement, quoiqu’à mots couverts, le tabou de la timidophobie. J’assume pleinement cet acte et ses conséquences. Les progrès de l’humanité, dans sa longue marche vers l’égalité des conditions, comportent une dimension tragique que j’assume pleinement. Ils sont inexorables. Si ma bouche s’était tue, une autre bouche se serait ouverte. La timidophobie est un tabou. Ce tabou, je l’ai tout naturellement brisé. Je n’ai fait là que me plier humblement à l’interdit vénérable qui structure désormais nos sociétés d’après-demain : l’interdiction de ne pas briser les tabous.

Les innombrables lettres d’insultes rédigées par des timides sincèrement blessés, par des timorés malcomprenants ou par des introvertis singulièrement enhardis – comme j’ai fini par le devenir moi-même face à tant d’adversité – ne m’empêcheront pas de dire ce que j’ai à dire. Je tiens cependant à dissiper quelques confusions. C’est avec la plus grande fermeté, en effet, que je condamne certaines initiatives récentes d’une poignée de timides identitaires qui prétendent être inspirés par mon appel et dont les actes et les déclarations ont fait souffler, depuis quelques semaines, un vent de terreur et de désorientation au sein de la communauté timide.

Je m’oppose formellement, en premier lieu, à l’appel lancé par le collectif de timorés visibilistes « L’Arbre qui cache la forêt », exigeant la mise en place immédiate d’un Observatoire de la timidophobie. Cette pseudo-demande sociétale irresponsable, inspirée par un mimétisme irréfléchi, méconnaît entièrement la singularité de la souffrance timide. L’immense panique qu’elle a provoquée au sein des populations timides était plus que prévisible. L’angoisse violente qu’éveille chez la majorité des personnes timides l’idée d’être observées fait partie des données les plus fondamentales de notre combat. Ignorer cette difficulté majeure de la problématique timide serait une erreur aux conséquences catastrophiques. La lutte contre la timidophobie doit se passer d’Observatoire : tel est son singulier destin. Elle doit sortir impérativement des sentiers battus de la chasse aux phobes de nos grands-parents. Elle n’existe pas. Il nous appartient, aujourd’hui, de l’inventer. Comme il appartiendra à nos enfants timides de la réinventer demain.

C’est sans la moindre concession que je condamne également les actes des jeunes introvertis illuminés du collectif Ztop’timid’ et, plus généralement, la pratique du Shy-Kombat. Seule une bande de nazillons timides peut inciter ainsi notre communauté à répondre aux violences timidophobes par la violence physique. Les timides n’ont besoin d’aucun art martial spécifique pour mener leur lutte, fût-ce le Shy-Kombat, ce mélange sur-violent de capoeira d’autodéfense et de jiu-jitsu brésilien. Quant au passage à tabac en pleine nuit de trois timidophobes, dont l’un avait doublé une personne timide dans une file d’attente à la Poste, tandis que les deux autres avaient refusé de donner du feu à une personne introvertie – qui n’avait pas osé leur en demander, mais dont le ressenti perso de souffrance n’en était pas moins réel, il est vrai –, il s’agit là d’une pratique inqualifiable, d’un néo-fascisme shy que nous ne pouvons tolérer en aucune manière.

Ces extrémistes sont, pour l’heure, les plus grands ennemis de la libération timide. En les condamnant ici, je ne cherche naturellement pas à minimiser la gravité des violences timidophobes que leurs actes ont prétendu venger, avec un archaïsme qui nous rappelle les heures les plus noires du nazisme du Moyen Age. Je désire seulement souligner le fait que les timidophobes sont également parmi nous. Et que les plus ardents contempteurs de la timidophobie sont aussi, mystérieusement, ceux que nous avons le devoir de suspecter en priorité.
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Avril 2010 · N° 22

Article extrait du Magazine Causeur



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