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Sous les rodomontades, le renoncement à la République?


Sous les rodomontades, le renoncement à la République?
© Pascal Fayolle/SIPA

La République est un colosse aux pieds d’argile. Elle est condamnée au courage, sinon, elle s’effondre


Comment ne pas être bouleversé par la décapitation de ce professeur d’histoire géo qui n’a jamais fait que son travail d’instruction civique, avec bienveillance ?

Il aura voulu expliquer la liberté d’expression à ses élèves et il l’aura payé de sa vie. Comment mieux expliquer la liberté d’expression à nos jeunes qu’en leur présentant ce qui symbolise le mieux les menaces qui pèsent sur son exercice : les caricatures de Mahomet ? L’enseignant avait vu juste, et les reproches qui lui ont été faits par quelques parents d’élèves comme les appels à la mesure en provenance de sa hiérarchie en témoignent. La presse évoque même que, selon une note des RT, l’inspecteur d’académie s’apprêtait à rappeler ce professeur à son « devoir de neutralité ». Ce point est discuté mais nous savons que l’éducation nationale n’a pas toujours été d’un grand réconfort pour les enseignants en difficulté sur le terrain de la laïcité.

Samuel Paty était plus qu’un enseignant, puisqu’il portait sur ses épaules cette liberté perpétuellement menacée.

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Le droit au blasphème est acquis dans la République depuis bien longtemps. Ce n’a pas été facile et on se souvient encore de la figure du chevalier de la Barre. La République peut s’enorgueillir d’une solide tradition de liberté d’expression, encadrée dans ses excès par cette loi remarquable de 1881 sur la presse. Et parmi tous les modes d’expression, la caricature est le mieux accepté, en ce qu’elle fait appel au ressort de l’humour.

Si la République a trouvé la force d’imposer le droit au blasphème aux religions catholique, protestante, juive, elle peine manifestement à l’imposer à la religion musulmane, par crainte.  

Or ce renoncement est préjudiciable. La liberté d’expression est probablement celle qui nous relie le mieux, et nous permet de faire « société ». Nous avons tous des blessures, des sentiments d’injustice à foison, mais la liberté de les dénoncer fait de nous des citoyens, malgré tout ce qui nous oppose. 

La République repose sur deux jambes : les libertés qu’elle protège et la contrainte qu’elle exerce. Soit elle élève le citoyen, soit elle broie et nivelle toute différence.

Je reste persuadé que son fondement le plus solide demeure celui des libertés. Si ce socle-là s’effondre, tout s’effondre, car la contrainte n’est plus supportable sans les libertés.

Je préfère une République intransigeante sur les libertés de pensée, d’expression que la République qui détruit nos langues de Bretagne, et lamine toutes nos différences avec constance et méthode, au mépris du droit international et de l’humanité. Si le ministre Blanquer y va de sa politique hostile à nos langues minoritaires, libre encore à nous de le dénoncer.

La faiblesse de la République m’inquiète sur le terrain des libertés, car tout est fait pour ne jamais heurter la susceptibilité des musulmans, comme si on les pensait déjà en dehors de la société. Et les rodomontades récentes du pouvoir, après cette triste affaire, n’y changeront pas grand-chose.

Ainsi donc, certains hommes, certaines religions seraient insusceptibles d’intégrer les libertés essentielles de notre tradition politique et de notre mode de vie ? N’est-ce pas accorder aux musulmans un régime singulier en les enfermant dans leur déterminisme, en les considérant déjà perdus pour la société ? Devons-nous nous résigner à faire société à côté d’eux, en attendant l’effondrement général ou la guerre civile ?

Il s’agirait d’une démission d’autant plus préjudiciable, que si la République renonce à elle-même, et bien c’est terminé. La République est un colosse aux pieds d’argile. Elle est condamnée au courage, sinon, elle s’effondre. Serions-nous sur le registre de la démission collective ? Renoncer, c’est donner raison à l’ordre de la terreur. 

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Il s’agit en montrant les dessins moins ici de heurter les consciences que de les élever, en rappelant que la liberté peut être supérieure à ses propres convictions philosophiques ou religieuses. 

Ce n’est pas en limitant la liberté d’expression sur les réseaux sociaux, en supprimant les rayons communautaires dans les grands magasins, en imposant à tous un prénom français, voire même en plaçant dans un foyer tous les enfants des fondamentalistes comme le propose un député en marche, que nous ferons société. Il suffit de retrouver le sens des libertés. 

La République n’a jamais été aussi fragile. Ne serait-elle rien de plus qu’une longue autocélébration, un verbiage dépourvu de prise sur les inégalités, le chant de ralliement de ceux qui ont un avantage à défendre ? 

Il suffirait d’un symbole fort pour qu’elle se retrouve et surtout, du courage.

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Auteur d'ouvrages, d'essais sur la société française. "La désunion française" (2012)

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