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« Le béton est un matériau de redistribution des richesses »

Entretien avec l'architecte Rudy Ricciotti


« Le béton est un matériau de redistribution des richesses »
Rudy Ricciotti. AFP.

Rudy Ricciotti est un fou génial. Excusez le pléonasme. Lecteur de Barbey, Malaparte et D’Annunzio, cet architecte de renommée mondiale défend son esthétique maniériste la truelle et la bétonneuse à la main. Contre les normes environnementales en vigueur, Ricciotti prône l’emploi du béton, à la fois grand pourvoyeur de main d’oeuvre et plus écologique que les bâtiments postmodernes aujourd’hui en vogue. Entretien.


Daoud Boughezala. Je prépare un reportage sur un quartier en construction où la mixité se conjugue à toutes les sauces. Que vous inspirent les objectifs de mixité invoqués à cors et à cris par les grandes métropoles ?

La mixité n’est pas une lubie française. Elle est devenue une attitude européenne car des pays comme l’Angleterre, la Hollande, l’Espagne la pratiquent. Je ne critique pas cette tendance et je peux même en comprendre le fondement. La mixité sociale peut éventuellement arriver à apaiser notre société en proie à des affrontements. Ceci dit, toutes les villes n’ont pas les mêmes exigences, la politique urbaine est beaucoup plus active à Paris ou Bordeaux qu’à Marseille.

L’Île-de-France, où habitent 20% des Français, bénéficie de la moitié des retombées économiques de l’Etat.

Ah bon ? Je vous croyais révolté contre l’hégémonie qu’exerce Paris au détriment du « désert français »….

Evidemment, parce que la disparité entre Paris et province est énorme ! Paris a le problème des métropoles : beaucoup trop d’appétit ! Personne ne conteste l’idée de croissance, mais la croissance n’est pas nécessairement capitale, ni gloutonne, avec de plantureuses sommes investies par l’Etat. L’Île-de-France, où habitent 20% des Français, bénéficie de la moitié des retombées économiques de l’Etat. Dans les budgets alloués aux programmes, rien n’est jamais trop beau pour Paris alors que tout est toujours trop cher pour la province. Un logement social coûte 1200 euros du mètre carré en province contre 1800 à 2000 euros à Paris !

On célèbre le Grand Paris mais personne ne remet en cause l’idée de sur-ressources et des débordements inhérents . Or, si la densification est nécessaire autour des grands axes de transport, ce que différentes lois ont développé ces dernières années, personne n’imagine décentraliser Paris, délocaliser le ministère de la Marine à Toulon, le ministère de l’Aviation à Salon-en-Provence. Il y a quelques années, un projet de musée de l’Immigration a vu le jour. Où était-il prévu ? A Paris ! Alors que beaucoup d’autres villes sont concernées par l’immigration, à commencer par Marseille… Paris s’autorise l’autolâtrie!

Je suis un architecte provincial, provençal, réactionnaire, maniériste, petit-bourgeois et sans ambition internationale.

Vous paraissez nostalgique de la ville du XIXe siècle, le Paris d’Hugo et Baudelaire si bien dépeint par Walter Benjamin. Pourquoi ?

Et même sans scrupule le Paris de Zola ! J’éprouve une nostalgie pour la ville du XIXe siècle. C’ était la ville des métiers,  la ville des sachants. Architecte maniériste, au sens de Barbey d’Aurevilly, dans les colloques, je me présente comme un architecte provincial, provençal, réactionnaire, maniériste, petit-bourgeois et sans ambition internationale.

On importe des composants du second œuvre de Chine, des poutrelles métalliques de Turquie ou d’Inde, et des milliers de composants prêts à l’emploi

En somme, que reprochez-vous à l’architecture moderne ?

Je suis réactionnaire, c’est-à-dire réactif à la modernité. La modernité est un mythe consommé depuis longtemps. Son bilan reste négatif. Je lui reproche d’avoir abandonné sa responsabilité politique de défense des emplois, des métiers et des savoirs. L’architecture contemporaine est compromise dans un consumérisme faisant la part belle à l’économie non-européenne délocalisée en France. On importe des composants du second œuvre de Chine, des poutrelles métalliques de Turquie ou d’Inde, et des milliers de composants prêts à l’emploi dans des cartons qu’il ne reste plus qu’à déballer. Et tout cela se fait dans une totale décontraction politique !  Sur mes chantiers, je fais en sorte de favoriser au maximum l’emploi territorialisé, une mémoire de travail territorialisée de façon à améliorer la cohésion économique et sociale. Dire cela, ce n’est pas être d’extrême droite ! Je trouve ça fou que ce discours sur l’emploi territorialisé, refusant la rupture, soit devenu totalement inaudible auprès de confrères trop sensibles. Mais si on veut donner des emplois à nos enfants, il faut bien les aider !

Le discours environnementaliste est inexpert et totalement immature.

Quitte à balayer la norme de Haute Qualité Environnementale (HQE) que vous avez démontée façon puzzle dans un de vos ouvrages. Jetez-vous donc à la poubelle éco-quartiers, l’emploi d’énergies locales renouvelables et autres terrasses végétalisées ?

Sans hésiter ! On est en train de construire les banlieues de demain, avec un sinistre avenir dans des bâtiments à la durabilité extrêmement précaire. Des bâtiments légers et sans masse, fabriqués avec des bouts de contreplaqué, d’aluminium, de plastique. Le discours environnementaliste est inexpert et totalement immature. Il n’assume aucune responsabilité économique et sociale. Personne ne dresse le bilan de l’empreinte environnementale. A Paris, j’ai conçu le Stade Jean-Bouin. J’ai comparé le bilan environnemental de la couverture en béton à celle d’une couverture en aluminium, en acier, et en verre. Eh bien, le béton en sort champion toutes catégories ! Lorsque j’utilise du béton, je travaille avec des ressources locales, et non des matériaux importés.

Le béton se crée, se fabrique et se développe dans un rayon de trente kilomètres.

A ce propos, vous défendez les vertus sociales du béton. Pourquoi ?

Contrairement au blé, au pétrole, au gaz, au coton, à la vanille, le béton n’est pas un matériau spéculatif. Il n’est pas un mode dématérialisé mais plutôt une pratique laborieuse. Il n’y a pas de pays au monde qui ne produise son béton. Le béton se crée, se fabrique et se développe dans un rayon de trente kilomètres. C’est un matériau de redistribution des richesses parce qu’il est comme la farine avec le pain : à partir de ce composant, on décline beaucoup. C’est localisable et ça ne se délocalise pas ! Le béton appelle des savoir-faire et des métiers – coffreurs, boiseurs, ferrailleurs,  ajusteurs… Il exige aussi une discipline verticale entre le chef de chantier, le directeur de travaux, le coordinateur, le géomètre, les ingénieurs, les conseillers en maîtrise d’œuvre, etc.

Visuellement, la densité de la résille en béton du Mucem pourrait s’approcher de la céramique.

Pour clore cet entretien, j’aimerais vous prendre en défaut. Vous défendez la pesanteur en architecture au musée Cocteau de Menton que vous avez rénové mais invoquez la « porosité » en présentant votre dernière grande œuvre qu’est le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem) de Marseille. Seriez-vous duplice ?

Cela peut paraître un oxymore mais je développe la porosité dans la matérialité et dans la culture du travail. Elle se fait sur le mode maniériste. L’effort, les métiers, les mémoires, comme qualité érotique. Visuellement, la densité de la résille en béton du Mucem pourrait s’approcher de la céramique. La fragilité provient de la narration architecturale, mais physiquement, on est dans une matière extrêmement solide qui a pratiquement la résistance de l’acier. C’est la conjugaison entre calculs savants, efforts physiques et faible consumérisme.

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est journaliste.

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