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La garce au cœur noir

Romain Slocombe publie « Une sale Française » (Éditions du Seuil, 2024)


La garce au cœur noir
L'auteur de polars Romain Slocombe © ULF ANDERSEN / Aurimages via AFP

Le nouveau roman de Romain Slocombe commence comme un polar de Simenon. Une femme est interrogée par un commissaire de police. Il n’y a pas le sandwich jambon-beurre et les bières, mais l’ambiance est la même. Nous sommes en 1947, à Marseille. Elle se nomme Aline Beaucaire, c’est une Alsacienne, mère d’un petit Paul, employée dans les hôtels, tombée amoureuse d’un sergent pilote, espion au service des nazis, alors que son mari, Roger, est déporté dans un stalag en Autriche. Elle a suivi son amant peu recommandable, mais à la beauté du diable, en zone libre. Leur objectif était de rejoindre Alger, via Marseille qui grouille de vrais/faux espions.

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Protagonistes repoussants

La trajectoire d’Aline est romanesque dans une période où la frontière entre le bien et le mal est abolie. Tous les coups sont permis, surtout les plus tordus. Mais l’intrigue du roman de Romain Slocombe, tirée de faits réels, se corse. Cette femme, qui se prend pour l’actrice collabo Mireille Balin, amoureuse de Jean Gabin, dans le film Pépé le Moko, de Julien Devivier, est soupçonnée d’être la « Panthère rouge ». Cette dernière porte le même prénom qu’elle, et se nomme étrangement Bockert, une presque parfaite homonymie. La « Panthère rouge » est une belle blonde, née en Suisse, qui a frayé avec la gestapo et s’est rendue coupable de crimes horribles. Elle est accusée d’avoir dénoncé un maquis à Clermont-Ferrand, des enfants juifs dans les écoles de Nice, d’avoir assisté, et même participé, à des interrogatoires musclés pour faire parler des résistants. Bref, c’est « une vraie garce nazie ».

De nos jours, on saurait rapidement si les deux femmes ne font qu’une, puisque nous apprenons, lors de l’interrogatoire d’Aline Beaucaire, qu’elle fut mordue, enfant, au visage par un chien, et qu’elle en a gardé une cicatrice à la lèvre inférieure (page 109).

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Romain Slocombe, spécialiste de l’histoire de la collaboration, auteur d’une trentaine de romans dont L’Affaire Léon Sadorski (2016), nous entraîne sur un chemin semé d’embûches, où les traitres, les espions, les policiers, les truands sont réversibles. La dramaturgie, jamais, ne faiblit. Les rebondissements sont nombreux, avec soudain un crime qui ressurgit dans le Jura, et jette un peu plus le discrédit sur des protagonistes déjà repoussants. Il convient d’ailleurs d’être très attentif jusqu’à la fin du récit.

Tout ce que l’on peut me reprocher…

Avec Une sale Française, Romain Slocombe, montre avec habileté qu’il est d’imprudent de porter un jugement arbitraire et définitif sur l’Occupation, époque qui ne cesse de fasciner. Mis à part les résistants de la première heure, vrais patriotes, qui constituèrent « l’Armées des ombres », pour reprendre le titre du magnifique roman de Joseph Kessel, la majorité de nos compatriotes apprirent à barboter dans les eaux troubles du pétainisme et se refirent, à peu de frais, une virginité, une fois la guerre achevée.

Comme l’affirme Alice, pardon Aline : « Je n’ai jamais fait de politique, monsieur le commissaire. Je ne suis qu’une femme de ménage. Comme je vous l’ai dit, tout ce que l’on peut me reprocher est d’avoir manqué de prudence. Et d’être tombée amoureuse de Cat. »

Romain Slocombe, Une sale Française, Éditions du Seuil.

Une sale Française

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Pascal Louvrier est écrivain. Dernier ouvrage paru: « Philippe Sollers entre les lignes. » Le Passeur Editeur.

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