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Roger Riffard, cet illustre inconnu

"La Grande Descente" et "Les jardiniers du bitume" de Roger Riffard – Bouclard Éditions


Roger Riffard, cet illustre inconnu
Roger Riffard © collection particulière Gilles Tcherniak.

Réédition des deux romans de cet écrivain oublié et chansonnier à la voix chevrotante


La première fois que j’ai entendu le nom de Riffard (1924-1981), c’était dans un rade de la rive gauche, dernier zinc authentique avant l’extinction de la race. Dans les odeurs de graillon, au milieu de fonctionnaires somnolents et de touristes égarés, un jeune confrère dégaina le nom improbable de Roger Riffard pour mieux asseoir son magistère intellectuel. Pour me dire, à moi le nostalgique encarté, le lustreur des Trente Glorieuses, je ne plaisante pas avec le passé. Je ne joue pas, bonhomme. Il y a trois ou quatre ans, on s’échangeait donc depuis une bonne vingtaine de minutes des noms d’acteurs morts et d’écrivains réprouvés pour mieux se renifler.

J’y allais de mon Hardellet fétiche, lui en douceur me balançait du André Vers, j’enquillais sur du Calet et du Fernand Trignol, et puis il finit par me lâcher dans un souffle : Riffard. Était-ce un apéritif vinique d’avant-guerre ou un tonifiant pharmaceutique administré aux populations souffreteuses du bassin parisien ? Pas mécontent de moucher le quadra fatigué que j’étais déjà à cette époque-là, il jubilait intérieurement. Souvent, ici-même, je peste contre le conformisme ambiant de mes collègues critiques, leur empressement à s’engouffrer dans les fausses gloires et les écrivains factices. Ce que j’appelle « la littérature stuc », le recouvrement des surfaces ternes et des textes faiblards par une couche de mensonge.

© Papier Plié

Un disparu de première classe

Avec Riffard, nous entrions dans la catégorie des disparus de première classe. Si son nom m’avait échappé, comment oublier cette trogne superbe, lunaire et fantoche, pinardière et poétique et puis cette moustache posée maladroitement sur une pointe Bic, le cheveu en bataille et l’œil ahuri, admirable synthèse de l’identité française. Ah cet œil plein de malice et de tendresse. Bon dieu ! Mais c’est… Bien sûr. 

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J’avais croisé ce Riffard chez Blier et Korber, également aux côtés de Belmondo ou de Louis de Funès, en troisième couteau furtif du cinéma français. Une nouvelle génération d’éditeurs s’émancipe du présent par un goût prononcé pour une littérature populiste. Ils n’ont pas peur des ouvriers et des cages d’escalier, du jambon persillé et des ateliers poisseux. Ils ont la tête de premiers de la classe, semblent sortir de propédeutique, mais cachent dans leur musette, des tubes du monde d’avant, livres épuisés, gueules cassées de l’édition, toute l’amertume des classes laborieuses en héritage. Ces jeunes dissidents ont échappé aux griffes de la technostructure. Il y a dix ans, ils auraient fini à la Banque de France ou lobbyistes à Bruxelles, aujourd’hui, ils cherchent des trésors enfouis dans les boîtes des bouquinistes et squattent le service de numérisation de la Bibliothèque nationale de France.

Bouclard, maison de qualité, éditeur récemment basé en Loire-Atlantique publie deux rééditions  La Grande Descente  et Les jardiniers du bitume  signés Riffard. On est loin des romans progressistes qui suintent un humanisme dégoulinant de bons sentiments. Avec Riffard, on entre directement dans le dur, c’est âpre, sans issue, splendidement incarné, la rédemption n’existe pas sur le pavé.

Un cheminot anar

Lecteurs sensibles, abstenez-vous, car vous allez être percutés par la rudesse de « ces prolétaires du rail » en mal d’amour et de verdure. Dans sa préface, Edouard Jacquemoud tente de percer le mystère Riffard, pour y parvenir, il a croisé la route d’Agathe Fallet ou bien encore celle de la regrettée Anne Sylvestre. Il nous présente le phénomène comme un « cheminot anar, chansonnier à la voix chevrotante », « son nom se transmet comme un secret d’initiés », écrit-il.

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Ami de Brassens, Riffard a écumé les cabarets dans un registre haut perché où la drôlerie et l’incongruité de sa seule présence enchantaient le public. Avant de panouiller dans le cinéma en apparitions éclair, il avait écrit deux romans parus chez Julliard en 1954 et 1956. Deux histoires cabossées où des cheminots ont des envies d’évasion, d’un lopin de terre et d’une bouche accorte, le soir venu. Ces forçats usent leur santé dans l’enfer du rail, ils jouent des poings par fatalité et écœurement. Assurément, les deux meilleurs romans de ce début d’année.

La Grande Descente et Les jardiniers du bitume de Roger Riffard – Bouclard Éditions, Collection « Récidive »

La grande descente

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Les Jardiniers du bitume

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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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