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Le racisme anti-noirs aux pays du Maghreb

Les critiques à l'égard de Miss Algérie ne sont pas un cas isolé


Le racisme anti-noirs aux pays du Maghreb
Un migrant du Ghana à la frontière entre la Tunisie et la Libye, mars 2011. SIPA. AP21028632_000006

C’est un racisme dont on parle peu: celui dont sont victimes les populations noires dans les pays d’Afrique du Nord, et notamment du Maghreb. S’il ne date pas d’hier, la récente élection d’une Miss Algérie jugée « trop noire » pour les réseaux sociaux prouve qu’il est bien d’actualité.


La majorité des pays d’Afrique du Nord ont signé le pacte de Marrakech sur les migrations. Seule l’Algérie, jugeant le texte flou sur certains aspects, s’est abstenue. Le Maroc, la Tunisie, la Libye et, dans une moindre mesure, l’Egypte sont en effet devenus des interfaces inévitables pour des centaines de milliers de migrants originaire d’Afrique subsaharienne, rêvant de rejoindre une Europe idéalisée, via les enclaves espagnoles de Melilla et Ceuta, ou l’île italienne de Lampedusa. Ces pays sont au cœur d’un problème qui va prendre de plus en plus d’ampleur dans les années à venir.

Miss Algérie 2019, jugée « trop noire »

Or, les gouvernements de ces pays sont acculés à leur tour par la grogne grandissante de leurs administrés refusant de côtoyer ces populations à leurs yeux indésirables. Cette réaction lève le voile sur le racisme endémique des sociétés maghrébines contre les populations noires, même de religion musulmane. Un sentiment loin d’être nouveau mais qui a longtemps été esquivé, jusqu’en France, dans les rapports entre les différentes communautés.

Au Maghreb, plusieurs faits divers ont fait resurgir la xénophobie et le racisme de populations ayant perdu tout rapport à l’altérité depuis la fin du colonialisme. Les « kahlouche » (« nègres ») ou les « ‘abids » (« esclaves ») soulèvent toujours un mépris profond de la part des populations. A Djerba, les populations noires sont souvent enterrées dans le cimetière des « esclaves », à l’écart des autres. Plus généralement, les mariages entre arabo-berbères et noirs sont souvent hors de question et, en France, on trouve bien peu de mariages mixtes. De même, au Maghreb, plus on grimpe les échelons dans la société et plus les noirs sont absents. Alors quand Khadidja Benhamou, la Miss Algérie 2019, originaire d’Adrar dans le sud du pays, est élu le 5 janvier dernier, des flots de haine se déversent sur les réseaux sociaux : elle est jugée trop « noire » par certains. Mais les mots ne sont pas les seuls témoins de ce racisme

L’héritage de l’esclavage

Depuis une quinzaine d’années, de graves incidents se sont multipliés contre les populations noires en Afrique du Nord. Du Maroc à la Libye, en passant par l’Algérie. On ne compte plus les ratonnades policières, les lynchages, humiliations et autres faits divers consternants.

Cette vision de l’homme noir est intimement liée aux traites négrières. Pas celles du commerce triangulaire enseignées à nos élèves de quatrième. Non, les autres. Ces traites ont duré du VIIe au XXe siècle et ont fait 20 millions de captifs, d’après l’économiste sénégalais Tidiane N’Diaye dans son essai à succès, Le Génocide voilé.

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Ces noirs africains se retrouvaient sur les marchés d’esclaves du Caire, de Bagdad, de Tombouctou, d’Istanbul ou de La Mecque. La plaque tournante de ce marché était Zanzibar et son terrible roi Tippo Tip. Car le trafic était d’abord interne à l’Afrique. Beaucoup des enfants mourraient de castration, expliquant le faible métissage des pays d’Afrique du Nord. Au cours de ces trafics, les contacts avec les pays du Maghreb ont bien existés : les villes de Sijilmassa ou Ghardaia ont été des villes caravanières pendant des siècles. Au XVIIe, le sultan du Maroc, Mulay Ismail, organisa son armée uniquement avec des soldats noirs achetés sur les marchés du Soudan, de Djenné ou de Tombouctou.

Certains intellectuels musulmans, comme le grand historien du XIVe siècle Ibn Khaldun, ont même justifié ces activités. Selon lui, « les seuls peuples à accepter l’esclavage sont les nègres, en raison d’un degré inférieur d’humanité, leur place étant plus proche de l’animal », comme le rappelle Tidiane N’Diaye.

Migrants not welcome

Tout cela laisse des traces profondes dans la psyché des masses. En 1969, le festival panafricain, immortalisé par le film de William Klein, montrait Alger comme la « Mecque des Révolutions ». Des artistes de toute l’Afrique dansaient dans la Casbah fêtant une Afrique libre et décolonisée. Mais derrière ce spectacle musical et coloré, le vieux quartier algérois fut aussi le théâtre de viols, d’agressions racistes…

Au Maroc, l’Etat a été visé plusieurs fois par des plaintes émanant d’associations des droits de l’homme. Près du port de Tanger, des migrants essentiellement ivoiriens, ont constitué une jungle comme à Calais. A de nombreuses reprises, l’armée et la gendarmerie sont très violemment intervenues pour les faire partir. En 2014, dans le quartier de Boukhalef, c’est à la machette que des candidats à l’émigration sont attaqués. Bilan : un Sénégalais tué et quatorze blessés.

La géopolitique particulièrement instable dans le Sahel pèse sur le comportement des autorités. L’Algérie, jusqu’en 2012, a mené une politique peu contraignante sur les migrants venus du Mali. Mais avec le développement de la crise migratoire, ses méthodes ont changé. En décembre 2016, 1 200 personnes ont été renvoyées du pays. D’autres expulsions ont depuis été menées dans les grandes villes du pays. Emmenés en bus jusqu’à Tamanrasset, à 2 000 km au sud d’Alger, ils ont ensuite été relâchés de l’autre côté de la frontière, côté nigérien, parfois en plein désert.

En Libye, la chute de Kadhafi a lâché les fauves. Dans un premier temps, les soldats tchadiens, qui composaient la garde rapprochée de l’ancien dictateur, ont été lynchés par la foule. Puis ce fut au tour des réfugiés soudanais du Darfour, dans le Fezzan au sud du pays.

Quelques lueurs d’espoir d’une amélioration de la situation existent toutefois. Des associations luttent contre ce fléau. En 2016, une campagne de sensibilisation a été menée par des militants antiracistes algériens, marocains, tunisiens et mauritaniens réunis dans le collectif « Ni Oussif Ni Azzi, baraka et yezzi » (en français, « Ni esclave, ni nègre, stop, ça suffit »). Et en octobre 2018, le Parlement tunisien a voté une loi punissant le racisme que peuvent subir les populations du sud, souvent de peau sombre, et les migrants subsahariens.



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